On a classé (objectivement) tous les films de Ridley Scott, du moins bon au meilleur

On a classé (objectivement) tous les films de Ridley Scott, du moins bon au meilleur

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(© Sony Pictures / AppleTV+ / 20th Century Studios / MGM)

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Par Arthur Cios

Publié le

Et oui, Napoléon est (presque) dans le top 10.

Il n’est pas simple de résumer la carrière d’un homme capable du meilleur comme du pire. La preuve avec 2021, année lors de laquelle il a sorti l’un de ses meilleurs longs et l’un de ses pires. Et pourtant, Napoléon, injustement critiqué par une bande d’aigris ne voyant pas la continuité parfaite de nombreux thèmes d’une filmographie, nous semble être la parfaite occasion de se replonger sur la carrière de Ridley Scott.

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Voilà les 28 films de Ridley Scott, classés (objectivement), du moins bon au meilleur.

#28. Une grande année (2006)

On comprend volontiers que Ridley ait été épuisé par le tournage titanesque de Kingdom of Heaven et qu’il ait tenu à avoir un truc plus tranquille pour se reposer. Des petites vacances avec Russell Crowe, quoi. Et on comprend que Ridley adore cette région de France – difficile de lui retirer ça. Si on poussait le bouchon, on dirait qu’on retrouve même des thèmes très “scottesques” (la corruption, la rédemption, l’innocence, un personnage névrosé).

Mais le fait est que c’est une comédie romantique faiblarde, avec une photo pas trop laide et des décors très beaux, certes, et un Didier Bourdon (oui) assez chouette, mais qui n’a aucun intérêt, cliché au possible et que vous avez déjà vue mille fois. Ce long-métrage n’est pas totalement nul mais c’est le moins fort du cinéaste, de très, très, très loin.

Désolés, Marion Cotillard.

#27. À armes égales (1997)

La deuxième moitié des années 1990 est une période compliquée pour Ridley. Qu’il se retrouve à devoir accepter cette commande de Demi Moore, actrice et productrice, pour un projet égocentré, en contradiction avec sa manière de décrire la guerre et l’armée dans le reste de sa filmographie, en dit long.

Pas entièrement débile, racontant la confrontation de femmes dans un monde sauvage (qu’il s’agisse de l’armée ou des institutions politiques) et la superficialité des opérations marketing du genre, G.I. Jane dans son titre original est l’un des scripts les moins subtils qu’ait dû travailler Scott. Vulgaire, beauf, se cachant derrière la carte du film féministe sur la femme forte, oubliable à souhait.

#26. Exodus: Gods and Kings (2014)

Sur le papier, le film semblait être fait sur mesure pour Scott. Lui qui a remis au goût du jour les films antiques avec Gladiator, lui qui aime tant ces récits sur la transmission, la trahison et la légitimité du pouvoir, lui qui n’avait jusqu’alors fait qu’un seul film qui parle frontalement de la religion (Kingdom of Heaven). Et pourtant…

Peut-être plus que sur la forme, où Ridley s’amuse à pondre de grands tableaux plutôt réussis et manie son casting sans trop de difficulté, c’est sur le fond et l’écriture que le film pèche énormément. Ramsès n’existe pas vraiment dans ce récit et est viscéralement caricatural. Le film n’existe que pour célébrer Moïse, et encore, on ne comprend pas tout du cheminement du personnage, ni de ce qu’il ressent. De manière générale, l’émotion est inexistante. Et malgré tout le spectacle, si on n’est pas un peu rattachés aux persos, le film ne peut s’accrocher à vous. Pas totalement nul, mais assez raté, donc.

#25. Lame de fond (1996)

Peut-être le film le moins connu du cinéaste, sans doute parce que c’est son plus oubliable. Ou en tout cas, avec le tout dernier de cette liste, celui où l’on ressent le moins la patte du cinéaste. Ce qui est surprenant pour un long-métrage semblant dans la continuité de son précédent film (1492 : Christophe Colomb) – en tout cas, pour ce qui est de l’ordre d’un tournage maritime.

Le fait est que dans cette histoire de passage à l’âge adulte avec ces jeunes partis sur un bateau-école, on ne retiendra pas la voix off, le pseudo-anticonformisme évoqué, cette scène de chasse au dauphin franchement gratos ou le fait que Scott semble parler un peu de lui et de sa jeunesse. On garde simplement la scène de la tempête. C’est déjà beaucoup, puisque c’est le cœur de l’intrigue. Mais c’est 10 minutes sur 130. Voilà.

#24. Traquée (1987)

Ah, pardon, on s’est trompés : c’est bien lui, le film le plus obscur du cinéaste. Si l’on en croit Letterboxd en tout cas. Et à vrai dire, c’est plutôt logique. Ridley Scott a pris le chemin inverse de la plupart des cinéastes, démarrant d’abord par des blockbusters avant d’aller sur des films plus intimistes. Et après deux échecs en salle (Blade Runner et Legend), il est logique que le réalisateur ait pris un thriller comme nouveau film. Un thriller qu’il essaie de rendre intelligent en parlant de classes sociales et en imitant vaguement une figure monstrueuse.

Problème : ce couple entre une aristocrate et un prolétaire n’est abordé qu’en surface, dans une romance trop peu crédible. Et quand le thriller revient au galop, c’est encore pire. Reste que Ridley filmant un décor actuel, ici un New York des années 1980, est une grande réussite. S’il y a des choses à dire et analyser sur le long (et ça a été fait), cela ne suffit pas à en faire une réussite. On passe aussi notre tour.

#23. House of Gucci (2021)

En 2021, Ridley Scott a sorti l’un de ses meilleurs films, haut la main. Et aussi un de ses moins bons. Ridley déteste le capitalisme exacerbé et les grandes familles, adore s’en moquer. Mais la moquerie dépasse bien trop le récit, caricatural au possible. Entre le côté jukebox insupportable et un casting qui en fait des caisses, les trahisons des Gucci ne sont jamais crédibles ou intéressantes.

On retiendra l’une des meilleures transitions de Ridley Scott : Jared Leto dont le cri est remplacé par un klaxon, clownifiant encore plus son personnage.

#22. Legend (1985)

Comment le réalisateur d’Alien et Blade Runner peut enchaîner deux chefs-d’œuvre avec un film aussi bâtard que Legend ? Un film aussi sublime visuellement, chargé en symboles, avec un jeune Tom Cruise et un Tim Curry magistral en diable au maquillage traumatisant, que dans les choux côté dialogue, narration et écriture.

On comprend que le cinéaste ait voulu aller vers de la fantasy, poussant à fond la notion de pureté salie par la corruption, mais scinder son film en deux avec d’un côté la lumière et de l’autre l’ombre, c’est peu subtil. Comme l’étalo, la colorimétrie ou encore la licorne. Intéressant, mais pas réussi pour autant.

#21. Hannibal (2001)

La seule suite de la carrière de Ridley Scott. Et le challenge n’était pas simple pour lui : faire, dix ans après, un nouveau volet du Silence des agneaux, avec Hopkins en célèbre cannibale et un script déjà tout écrit pour lui par Zaillian (un nom récurrent dans sa filmo), et réussir à en faire un film à lui n’était pas une mince affaire.

Et sans être fan du projet et du résultat final assez laborieux et où l’ennui est de mise, le fait est qu’il signe, vingt ans après le début de sa carrière, le retour de certains thèmes qui lui sont chers. Difficile de ne pas voir un peu de Legend dans la représentation du monstrueux et de l’amour torturé et d’Alien pour l’angoisse pure. Dommage que les personnages ne soient au final jamais vraiment intéressants ni effrayants, et ce, malgré une scène de dégustation de cervelle culte…

#20. 1492 : Christophe Colomb (1992)

Le film qu’on n’avait pas vu venir. La commande pour célébrer le 500e anniversaire de la découverte du continent américain pour les Européens avait tout pour être casse-gueule. Discours glorifiant le colon, interprété par un Français (Gérard Depardieu en l’occurrence), un début semblable à un DTV, des dialogues si explicatifs que l’on perdrait tout sens de la narration, une Sigourney Weaver sous-exploitée…

Et pourtant, quelque chose fonctionne. Difficilement sur le fond, donc, mais dans l’imagerie, qui peut rappeler par moments Fitzcarraldo de Werner Herzog. Cette cloche, purée ! Cette photo, ces séquences aquatiques… On sent pondre dans l’esprit du cinéaste ce qui sera les prémices de Gladiator et même Kingdom of Heaven. Cette grandiloquence qu’on adorera – et qui sera par la suite bien mieux écrite et incarnée.

#19. Black Rain (1989)

Le plus Tony des Ridley Scott. Un polar qui ressemble assez peu à ce que nous a pondu Ridley par la suite et qui peut ressembler, dans sa manière de faire, à ce que son feu frangin a pu faire de moins bon (on dit ça en aimant plus que de raison beaucoup de longs de Tony Scott). Surtout, un polar très dans son jus, plus 80’s que possible – et un peu trop semblable à ce qui s’est fait à l’époque.

Il n’empêche que c’est un beau coup de la part de Ridley, parti se refaire une santé en acceptant ce projet de commande de la Paramount, qui réussit à nous faire croire qu’il a vraiment tourné au Japon en exploitant l’architecture urbaine de L.A. et aussi à nous parler de dualité au sein d’un personnage entouré de miroir et de contradiction. C’est un film loin d’être parfait, vraiment, mais qui vaut le détour – car trop peu connu.

#18. Mensonges d’État (2008)

Ridley Scott et la corruption d’un monde beaucoup trop violent, épisode 43948. Le film est globalement assez peu apprécié alors qu’il comporte des choses assez remarquables. À commencer par son casting (avec son Russell Crowe tout droit sorti de Révélations avec Michael Mann et son Leonardo DiCaprio barbu), sa volonté de mélanger le thriller et le film de guerre ou la manière de raconter la manipulation de l’État américain, prêt à tout pour combattre ses ennemis.

On regrettera une esthétique basique, un scénario qui prend trop de temps à s’installer pour un climax trop court, et une résolution cliché à en crever. Mais ça n’enlève rien à l’efficacité d’un thriller parmi les plus sombres de son auteur. Et ça, ce n’est pas rien.

#17. Tout l’argent du monde (2017)

A-t-on mis le film aussi haut pour le défi technologique qu’a consisté le remplacement à la dernière minute de tous les plans et dialogues avec Kevin Spacey suite à ses accusations par un Christopher Plummer débarqué de nulle part ? Sans doute un peu. Sans doute, mais pas que.

Le film a été pris un peu de haut par la critique et le public parce que faussement plus secondaire. Peut-être parce que le kidnapping semble assez peu intéresser le cinéaste, qui préfère raconter la dégueulasserie d’un monde d’argent déconnecté de la réalité. Peut-être parce qu’il est un peu trop linéaire. Qu’importe : Romain Duris chez Ridley Scott, on dit oui.

#16. Robin des Bois (2010)

Soyons honnêtes : on avait la flemme de découvrir, treize ans après, un film qu’on imaginait au mieux lambda, au pire cliché. Surprise : on est débiles. Évidemment que le retour de l’association Ridley Scott à la réal, Russell Crowe devant la caméra, John Mathieson à la photo, Arthur Max au décor, et plus encore, à savoir la fine équipe derrière Gladiator, ne pouvait que fonctionner à 1000 %.

Pourquoi est-il aussi bas dans le classement, me direz-vous ? Parce que là, on commence à toucher du doigt le très bon et l’excellent et que, malgré une exploration du début de Kingdom of Heaven et un récit solide, il y a une épine dans le pied trop grosse pour ne pas être citée : l’histoire d’amour entre Robin et Marianne est archi-niaise, et le film demeure un peu naïf par bien des aspects (le méchant roi qui en fait des caisses notamment). Mais le fait est qu’à la fin, on en redemanderait bien – paraît-il que le director’s cut est une régalade. Bravo, Ridley.

#15. Seul sur Mars (2015)

Alors, on sait que pour beaucoup, ce film est un chef-d’œuvre. Un des meilleurs Ridley Scott. Et on comprend. Encore une fois, on a dit qu’on aimait vraiment profondément ce qui allait suivre, jusqu’au bout du bout. Pour autant, calmons les ardeurs : Seul sur Mars est loin d’être le meilleur Ridley Scott.

C’est vrai que son approche de la science-fiction est assez innovante, surtout post-Interstellar et Gravity. Sauf qu’il y a un problème majeur : on nous présente le personnage comme une espèce de petit génie qui peut résoudre tous les problèmes. Du coup, les enjeux semblent faiblards. D’autant plus que le côté perso n’intéresse visiblement qu’assez peu Ridley. Donc, contrairement aux deux films cités plus haut, l’émotion n’est que peu présente, et le suspens aussi. Reste une représentation de la solitude spatiale remarquable et un superbe thriller sur Mars, en gros.

#14. Alien: Covenant (2017)

Dira-t-on que le commun des mortels n’a pas compris que Ridley est le meilleur pour raconter le monde des Xénomorphes ? Oui. Certains débiles (c’est dit) ont reproché à papy Ridley d’avoir conté l’histoire qu’il avait toujours voulu raconter avec Prometheus – l’origine du Space Jockey, entraperçu dans le premier Alien et jamais depuis – après le double Alien vs. Predator plus que facultatif. D’avoir repris le contrôle de sa saga, en somme. Tout le monde a dit : “Beurk, nous, on veut les Xénomorphes”. Ridley les a écoutés et a fait cette pépite.

À défaut de se concentrer sur l’immense Space Jockey, donc, le cinéaste va conter l’origine de la créature culte, tout en cherchant à développer ce qu’il commençait à nous énoncer dans Prometheus : l’homme est la pire des créatures et à l’origine de sa perte, puisqu’il a créé la machine qui causera sa mort. Le tout avec des moments d’anthologie. Ça ne surpasse pas le reste, mais ça s’en approche fortement.

#13. La Chute du faucon noir (2002)

Il y avait de quoi flipper en voyant l’association Ridley Scott/Jerry Bruckheimer. On peut aimer le travail de ce dernier, mais voir un “Pearl Harbor like” chez Scott semblait à côté de la plaque. Heureusement, le film de guerre du cinéaste britannique ne sera pas du tout du pur divertissement à la Bruckheimer mais un objet à part et très particulier.

Racontant l’histoire vraie de militaires américains pris au piège lors d’une opération en Somalie en 1991, le film est surtout une plongée au cœur du conflit. Comprendre qu’il n’y a pas de réel scénario, uniquement de l’action pure et de la survie. Un peu comme le démarrage d’Il faut sauver le soldat Ryan. On regrettera le fait de se concentrer quasiment à 100 % sur les Américains, ne cherchant jamais à donner de la chair à l’opposition. Mais en même temps, on a rarement vu un film être, au final, un spot aussi efficace contre la guerre.

#12. Cartel (2013)

Un des films de Scott les moins bien reçus lors de leur sortie, et peut-être celui qui se retrouve le plus réhabilité au fil des années. Sans doute que l’on n’était pas prêts à voir la réalisation du cinéaste se mêler à l’écriture et aux dialogues du célèbre Cormac McCarthy dans l’adaptation d’un texte du romancier le plus viscéralement fidèle à la plume de ce dernier. Sans doute qu’on n’était pas prêts à voir Cameron Diaz se masturber en se frottant au pare-brise d’une voiture de luxe. Sans doute.

On a trouvé le film prétentieux, confus, extrême, bizarre. Et on le comprend. Le film, nihiliste au possible, est d’une noirceur faussement en contradiction avec des événements ou des dialogues proche du ridicule – sauf qu’il ne penche jamais du mauvais côté et joue avec le spectateur en permanence pour le décontenancer sans jamais trop en faire. Un film à réévaluer, encore et encore.

#11. Napoléon (2023)

On l’attendait celui-là. On tapait du pied à l’idée de voir un Anglais raconter sa version de Napoléon. On s’amusait d’avance de voir les droitards et réacs criser devant le manque de réalisme d’un film signé Ridley Scott – lui qui s’amuse toujours à réécrire la réalité pour arranger sa narration et son propos. On avait hâte de voir Joaquin Phoenix cabotiner. Et on a eu tout ça, et bien plus encore.

Que vous faut-il de plus ? Les plus grandes batailles de la carrière de Ridley Scott (et quand on connaît la filmographie du bonhomme, on sait que ce n’est pas rien), une violence rarement décrite dans les conflits de cette époque, et surtout, derrière cette peinture d’un Napoléon bougon, maladroit en société et à l’ego surdimensionné, le récit en creux d’un couple à l’origine de la figure de l’Empereur. Une histoire d’amour qui n’humanise qu’assez peu le dirigeant mais qui donne du volume à des choix lunaires du dictateur. Brillant. Visuellement, mais dans l’écriture aussi.

Après, on reconnaît que le montage laisse présager un director’s cut de folie – le film a été amputé d’1 heure et 20 minutes tout de même.

#10. Kingdom of Heaven (2005)

Si vous n’avez vu que la version cinéma, cette place vous semblera absolument incohérente. Et difficile de vous en vouloir. Mais si vous avez vu le director’s cut et que vous avez décelé l’émaillage psychologique de cette fable quasi philosophique et méditative, en plus d’être profondément mélancolique et avec une vision des croisades surprenantes pour un blockbuster hollywoodien post-11-Septembre, alors vous serez sans doute déçus de ne pas le voir mieux placé encore.

Comme toujours, la corruption est au cœur du récit. Sauf qu’ici, elle n’est pas que spirituelle, mais aussi corporelle. Si on regarde de plus près, Kingdom of Heaven est un Gladiator bis. C’est peut-être l’un de ses plus grands défauts. Si on regarde de près l’arc narratif, c’est pareil – si ce n’est que dans Gladiator, Russell Crowe est dirigé par une soif de vengeance, alors qu’ici, on se concentre davantage sur des enjeux politiques. Son autre grand défaut, malgré une photo belle à crever, une mise en scène de batailles époustouflante et un casting quasi parfait, est que même dans sa version longue… il est trop court. On ne trolle pas, il y a des ellipses qui bâclent par moments le récit et empêchent l’émotion de prendre le dessus. Sans ça, il serait dans le top 5 direct. Aucune hésitation.

Bon, et après, tout ce qui suit est de très (très) haute volée.

#9. American Gangster (2007)

“Gnagnagna elle est où la patte de Ridley ? Gnagnagna”. Les détracteurs sont parfois à la ramasse. Pardon mais comment ne pas voir dans ce polar d’une ambition narrative folle, racontant la montée et la chute d’un baron de la drogue afro-américain dans les années 1960-1970, un des plus “scottesques” des films de Ridley Scott ?

Thriller sur la corruption de la police, de la société, des défavorisés, qui se transforme en grand récit et fresque décrivant l’Amérique grâce à son environnement et ses décors, où Ridley sait se mettre en retrait quand il le faut et briller quand c’est nécessaire pour raconter au mieux la froideur de ce monde et de cette époque que lui a connue, le tout accompagné d’une écriture honnête et anti-caricaturale, American Gangster est un des meilleurs Scott. De loin.

#8. Les Duellistes (1977)

En 1977, Ridley Scott est un brillant réalisateur de pubs. Le Britannique a enfin la possibilité de se lancer dans un premier long. Et fasciné par Barry Lyndon, sorti deux ans auparavant, il se lance dans un film qui se rapproche peut-être plus au final des œuvres les plus anti-militaristes de Kubrick. Un film de cape et d’épée napoléonien, sur une vengeance sans fin, porté par un jeune Harvey Keitel et un budget minuscule – qui se retrouve être l’un des meilleurs longs du cinéaste.

Les premiers longs ont toujours quelque chose de fascinant dans ce qu’ils racontent des thèmes qui seront centraux dans la future carrière de leurs réalisateurs. Voir un jeune Ridley Scott aborder à ce point la masculinité ridicule centrée par la vengeance risible, là où les femmes sont plus intelligentes et futées, le tout en racontant en filigrane l’histoire avec un grand H (le parcours des deux hommes conte celui de Napoléon et son parcours), pour un premier film, c’est bouleversant. 800 000 dollars. Festival de Cannes. Et derrière, il enchaîne avec Alien et Blade Runner. Le plus beau début de carrière de l’histoire du septième art.

#7. Prometheus (2012)

Depuis le début, Scott est fasciné par le Space Jockey. Quand la Fox l’empêche de faire sa suite d’Alien et donne les clés de la saga à James Cameron (avant qu’elles changent de main en permanence), Ridley Scott ravale sa salive et patiente. À raison, puisque à la fin des années 2000, suite aux échecs des derniers volets, la Fox revient vers lui. Le grand retour de Ridley à la SF, avec une suite qui prend autant ses distances avec l’œuvre initiale qu’elle en est le complément le plus sublime.

Plastiquement d’une beauté renversante, co-scénarisé par un grand Damon Lindelof (!) aussi efficace que subtil, aussi imaginatif que riche, Prometheus a été rejeté par les fans de la franchise, déçus de ne pas avoir de Xénomorphes et ne comprenant pas la richesse de l’entreprise de Scott, qui affronte l’idée émise dès le début que la catastrophe qui amènera la fin des humains est de leur propre fait (comprendre qu’ils sont, malgré une forme d’idéalisme de base faussement humaniste, plus monstrueux que le monstre lui-même), à cause de l’IA et des robots. Tout est question de création et du créateur qui renie sa création – comme Scott qui reprend le contrôle d’une saga abandonnée pendant plus de trente ans ?

Brillant de bout en bout.

#6. Les Associés (2003)

Alors lui, on ne l’avait pas vu venir pour être honnêtes. Rattrapé ces derniers jours pour être à jour sur nos Ridley Scott manquants, on y allait pensant voir un film mineur de la carrière du cinéaste. On s’est pris un truc dans la tronche assez peu commun. Petit film, conçu entre deux projets plus conséquents en quelques semaines à peine, qui se veut raconter l’American way of life (un peu dans la lignée de Thelma et Louise), avec l’une des meilleures performances de Nicolas Cage. Un petit grand film.

Il ne paye pas de mine mais raconte parfaitement comment la société de consommation nous fait tourner en rond, aliène tout le monde (Cage souffrant littéralement de TOC) et peut blesser autrui – la corruption, oui, encore. Le récit de cet escroc qui voit le retour de sa fille au moment où il doit arnaquer son plus gros gibier évoque au final la question de l’identité, de ce qui fait notre identité. Qui sommes-nous ? Que faisons-nous ? Notre activité nous définit-elle ?

La réponse réaliste à Blade Runner, faussement plus légère, mais brillante – avec une fin à la Lolita inversée très impressionnante.

#5. Le Dernier Duel (2021)

Quand on a su que Ridley Scott allait de nouveau faire un film médiéval, certains ont eu peur de le voir retomber dans certains travers. On a vite compris que celui-ci serait à part, différent de l’épique habituel, beaucoup plus intimiste. Mais comme à son habitude, le petit raconte tout du grand récit.

Car on n’a que faire du duel. Le vrai duel, c’est celui de ce personnage féminin contre le patriarcat. Celui d’une victime dont on n’écoute pas la version. Le brio du scénario, jouant sur un côté Rashomon où chacun donne sa vision des faits, jusqu’au troisième segment qui est le sien (et que Ridley nous explique comme étant le seul vrai, la seule vérité, car celle de la victime), est superbe. Autant dans le fait que chaque segment apporte un peu plus d’épaisseur ou de contexte à ce qu’on a vu avant que dans le fait de montrer comment une agression est vue par le bourreau et la victime.

Pas loin d’être le film le plus politique et féministe de son auteur – et on parle de Ridley Scott, ce n’est pas rien.

#4. Gladiator (2000)

C’est un peu à la mode de cracher sur Gladiator, de dire du film qu’il est surcoté. Un peu facile de cracher, plus de vingt ans après, à cause d’un plan d’une main dans un champ de blé ou d’un côté épique qui agace visiblement. Pourtant, même sans le remettre dans son contexte, le film demeure un chef-d’œuvre. D’écriture, de mise en scène, d’acting surtout. Mais prenons un peu de recul.

Quand il s’attaque à ce projet, Ridley est considéré comme un has been, qui n’a rien fait de bon depuis Blade Runner grosso modo. Il débarque avec un péplum 3.0 aussi épique qu’intime. Une histoire de vengeance terrible et déchirante, qui va remettre au goût du jour les films antiques (sans lui, pas de Troie, d’Alexandre, ni de 300, pour ne citer qu’eux). Une fois encore, la petite histoire qui raconte la grande. L’élite déconnectée corrompue face à la pureté du héros toujours debout.

Ce que Ridley aura fait de mieux comme film historique. De plus beau en tout cas.

#3. Blade Runner (1982)

Il est bien plus facile d’écrire sur des films qu’on aime peu que sur des films immenses. Que dire de Blade Runner qui n’a pas déjà été dit 1 000 fois ? Sans doute le film de SF le plus important de l’Histoire, tout juste derrière 2001 : l’Odyssée de l’espace. La rencontre entre Philip K. Dick, le travail titanesque de Douglas Trumbull, Métal Hurlant, le cyberpunk naissant. Le tout dans un enrobage mêlant film noir des années 1930, Art déco, expressionnisme allemand et même un peu de cinéma italien. Un film synthèse, somme, gigantesque.

On pourrait parler d’un Harrison Ford qu’on découvre plus beau et puissant quand il est taiseux que taquin. On pourrait parler de ce vilain incroyable et de ce monologue final sous la pluie. On pourrait parler de la maestria d’effets visuels, de la beauté de chaque plan sur cette ville futuriste. On pourrait parler de ce rythme d’une lenteur déconcertante, se concentrant davantage sur l’ambiance que sur l’enquête. On pourrait parler du non-spectaculaire, aux antipodes de ce qu’on fait comme SF à l’époque (et qu’on fera plus tard). On pourrait parler du tragique, de l’amour brisé, de la question de l’identité, de la mortalité et de la moralité de l’humanité.

On pourrait dire tellement de choses. Une réinvention complète d’un genre, suite à un film peut-être plus révolutionnaire encore. Pfiou.

#2. Thelma et Louise (1991)

Le public a découvert que Scott pouvait raconter l’histoire de femmes aussi bien qu’il peut raconter ses récits bien virils. Une fausse surprise pour quiconque s’était réellement penché sur sa carrière – il faut voir la place de la femme dans Les Duellistes et, évidemment, dans Alien. S’il prouvera à l’avenir qu’il peut être un cinéaste féministe à souhait, ce qu’il fait est encore plus fort : il est précurseur, et l’un des seuls hommes à avoir fait du vrai “female gaze”, et ce, avant même qu’on ait vraiment théorisé cette vision.

Évidemment que cela revient en très grande partie au script de Callie Khouri. Évidemment. Mais ce que fait Scott de ce premier scénario est sublime. Un road trip mi-western, mi-policier, sur fond d’amitié féminine, de vengeance et de réponse à la violence des hommes – et, en filigrane, du patriarcat. En s’appropriant les codes masculins du cinéma, Ridley bouleverse toute une industrie et signe un véritable chef-d’œuvre aussi beau que sa fin, douce-amère. Une anomalie dans cet art à l’époque mais pas dans la filmographie d’un auteur bien plus important que ce que certains pouvaient dire.

#1. Alien (1979)

Le plus grand, à jamais.

L’association de noms immenses, de Giger à Mœbius. Le scénario et sa genèse par Dan O’Bannon parmi les plus culte de l’histoire du cinéma. Un jeune cinéaste, hanté par L’Exorciste, Massacre à la tronçonneuse et Star Wars, qui va combiner les trois – l’horreur réaliste, qu’on ne montre qu’assez peu au final, dans un futur loin d’être propre et utopique. Tout en allant piocher dans le whodunnit, créant la structure du slasher et en faisant du pied à Hitchcock. La naissance d’un des plus grands monstres de l’Histoire. Un monument de féminisme, d’anticapitalisme, de peur du futur, et plus encore.

Alien restera à jamais le plus beau film d’horreur. Beau visuellement, dans ses images, dans ses cadres, ses lumières. Beau parce qu’un peu fauché (un peu). Beau parce qu’avec une intelligence dans les effets pratiques dingue. Beau par sa violence, et par ce qu’il raconte de cette humanité dégueulasse.

Alien. Jusqu’au bout.