On a classé (objectivement) les performances de Marina Abramović, de la plus hardcore à la plus émouvante

On a classé (objectivement) les performances de Marina Abramović, de la plus hardcore à la plus émouvante

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© Bennett Raglin/WireImage/Getty Images

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Par Donnia Ghezlane-Lala

Publié le , modifié le

Qu’elle manque de se prendre une flèche en plein cœur, de mourir sous la violence de son public ou de s’étouffer dans le souffle de son partenaire, voici notre classement.

Depuis le temps qu’elle nous passionne, il devenait urgent de dresser le classement (objectif) des œuvres de Marina Abramović, celle qu’on appelle aussi “la grand-mère de la performance artistique”. À l’occasion de la grande rétrospective organisée par la Royal Academy of Arts de Londres, retour sur dix performances émouvantes, violentes et radicales qui ont marqué sa carrière.

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#10. 7 Deaths of Maria Callas, 2021

On n’a toujours pas trop compris le lien entre Maria Callas et Marina Abramović, mais l’artiste serbe s’est quand même fait plaisir à l’Opéra Garnier en montant un opéra entier sur la mort. Le problème avec ce spectacle, au-delà du fait qu’il soit longuet, c’est qu’on ne la voyait pas beaucoup, notre chère Marina Abramović. Car la mise en scène laissait davantage d’espace aux cantatrices et aux vidéos. Dommage, c’est ce qui coûte à 7 Deaths of Maria Callas la dernière place de ce classement.

#9. Complaining to a Tree, 2020

Marina Abramović nous a habitué·e·s à bien mieux, mais pendant le confinement, comme tout le monde, elle faisait avec les moyens du bord. Sur la chaîne Sky Arts, l’artiste s’est donné pour mission de partager des performances afin de “guérir le monde”, en pleine pandémie. Parmi ces exercices, celui d’embrasser, d’enlacer les arbres. Sa Complainte à un arbre nous a fait du bien sur le moment, on l’avoue, parce que le monde allait à la dérive, mais comme tout ce qui s’est passé durant le confinement nous semble aujourd’hui bien moins chouette que sur le moment, c’est le cas, aussi, de cette performance.

#8. Light/Dark, 1977

Simple comme bonjour, la performance Light/Dark voyait le binôme formé par Marina Abramović et Ulay (décédé en 2020) s’échanger des gifles dans un face-à-face… énergique. C’est cathartique, c’est efficace et c’est pour ça qu’on a préféré faire figurer cette performance de 1977 dans notre classement, plutôt que d’autres comme Relation in Space (où leurs corps se percutent pendant une heure) et Relation in Time (où leurs chevelures respectives sont attachées l’une à l’autre, dos à dos pendant dix-sept heures).

#7. The House with the Ocean View, 2002

C’est peu après les attentats du 11-Septembre que Marina Abramović a livré cette performance : “J’ai trouvé que New York avait changé. New York et ses habitant·e·s, qui vivaient de manière plus émotionnelle, plus vulnérable, plus spirituelle.” Pendant douze jours, Marina Abramović a jeûné dans un simulacre d’appartement installé dans une galerie de la Grosse Pomme, afin de “purifier l’espace” suite à ce traumatisme national. Elle partait de ce principe : si elle parvient à se purifier elle-même, par le jeûne, alors, elle réussirait peut-être à changer l’espace, l’atmosphère. Elle adopte alors un mode de vie rigoriste qui lui fait oublier le temps, redéfinir son espace et s’inscrire dans le présent. Une véritable expérience spirituelle.

#6. The Lovers, The Great Wall Walk, 1988

Il n’y a pas de rupture amoureuse plus belle que celle de Marina Abramović avec Ulay. En 1988, treize ans après avoir partagé leur vie, leur souffle, leurs corps et leur art pour la première fois, les deux se séparent et décident d’offrir au monde leur ultime performance. C’est ainsi que The Lovers, The Great Wall Walk est née, après huit années à négocier avec le gouvernement chinois. Des deux côtés de la Grande Muraille de Chine, les ex-partenaires devaient se rejoindre en son cœur pour un dernier adieu, une étreinte. C’est déchirant, c’est puissant, c’est comme ça qu’on devrait quitter celles et ceux qu’on a aimé·e·s.

#5. Breathing in/Breathing out, 1977

Comme vous l’avez remarqué, 1977 fut une belle année pour Marina Abramović et son partenaire de l’époque Ulay, avec qui elle fit ses plus belles performances. Une autre performance de cette même année mérite d’être dans ce classement : il s’agit de Breathing in/Breathing out. C’est un an après leur rencontre que le couple décide de monter cette œuvre vivante, qui se finira en asphyxie. Pour Breathing in/Breathing out, le duo se tient face-à-face, à genoux, bouche contre bouche, respirant le souffle (ou plutôt le dioxyde de carbone) de l’autre, afin de célébrer leur union.

Il faut savoir que leurs narines étaient bouchées par des filtres de cigarettes et qu’il leur était donc impossible de tricher en respirant par le nez. Bien sûr, les deux terminent cette apnée amoureuse à bout de souffle. [Breathing in/Breathing out] possède l’intimité de l’acte amoureux tout en montrant ses dimensions compétitives et destructives”, expliquait le Stedelijk, musée amstellodamois qui a accueilli la performance.

#4. Rest Energy, 1980

À l’aide d’un arc et d’une flèche, Ulay vise le cœur de Marina Abramović, dans cet “exercice de confiance” fort sympathique. S’il lâche, elle meurt. On ressent alors toute la tension dans son immobilité, car le destin de sa partenaire réside entre ses mains, ses muscles, sa force et sa résistance. Au cours de cette performance à la fois poétique et violente, leurs battements de cœur étaient enregistrés. C’est cet équilibre parfait entre radicalité et émotion qui lui vaut la quatrième place de notre classement.

#3. Imponderabilia, 1977

Nous voici sur le podium. Évidemment, Imponderabilia en fait partie. Présentée pour la première fois à la Galleria d’Arte Moderna de Bologne, en 1977, la performance invitait le public à participer. Durant 90 minutes, Marina Abramović et Ulay se faisaient face, nu·e·s et immobiles, à l’entrée de la galerie. Pour y pénétrer, le public devait passer entre les deux corps nus, les frôlant sur son passage. Certain·e·s reculaient, d’autres décidaient d’y passer plusieurs fois pour pleinement vivre l’expérience. On n’imagine pas le bruit que cette performance a dû faire à l’époque, dans le paysage de l’art contemporain, mais sachez qu’elle devait durer trois heures et qu’à mi-parcours, les flics ont débarqué.

#2. The Artist is Present, 2010

C’est probablement la performance la plus connue et la plus émouvante de Marina Abramović et on espère que vous comprendrez pourquoi on ne l’a pas mise en premier. C’est au MoMA, en 2010, que l’artiste serbe s’est produite : elle devait, pendant trois mois, huit heures par jour sans se lever ni boire ni manger, s’asseoir sur une chaise face à une table en bois et regarder les visiteur·se·s qui lui faisaient face.

Beaucoup de personnalités, parmi les 1 000 participant·e·s, ont défilé devant ses yeux, comme le chanteur Lou Reed, l’actrice Jemima Kirke ou la chanteuse Björk. Mais le clou du spectacle de ces intenses face-à-face fut l’arrivée de son ex-compagnon Ulay, qui l’a bouleversée. On ne les avait plus vu·e·s publiquement ensemble depuis leur ultime performance sur la Grand Muraille de Chine. On ne vous cache pas qu’on a revu cette performance pendant la pandémie et qu’on a pleuré à chaudes larmes, nous aussi, au moment où l’artiste découvre le visage de son ex-partenaire et où les deux joignent leurs mains.

#1. Rhythm 0, 1976

Studio Morra, Naples, 1974. Marina Abramović, alors âgée de 28 ans, donne l’une des performances les plus radicales de sa carrière : Rhythm 0. Un peu comme dans The Artist is Present (2010), Rhythm 0 est une performance au cours de laquelle l’artiste serbe resta stoïque pendant six heures et échangea un moment d’une haute intensité avec les participant·e·s. Sauf qu’il y a une petite nuance : pour celle-ci, des objets étaient mis à disposition du public. “Six heures de véritable horreur”, c’est ainsi qu’elle qualifiera cet événement.

Parmi ces 72 objets disposés sur la table à côté d’elle, figuraient un parfum, du miel, des raisins, du pain, une plume, un Polaroid, une cuillère, une fourchette, de la peinture, des fleurs, mais aussi des ciseaux, une aiguille, une scie, des clous, une barre en métal, un scalpel, une bougie, un couteau, et une arme à feu chargée d’une unique balle. Vous l’aurez compris : ces objets étaient divisés en deux parties. D’un côté, la souffrance, de l’autre, le plaisir. Les instructions étaient les suivantes : “Il y a 72 objets sur la table que n’importe qui peut utiliser sur moi comme il le désire. Performance. Je suis l’objet. Pendant cette période, je prends l’intégralité de la responsabilité. Durée : six heures (20 heures – 2 heures).”

La performeuse était alors à la merci de toutes et tous et le public pouvait disposer à sa guise de son corps, s’emparer de ces items sans limite. Le but de cette œuvre était de connaître les limites du public, qui faisait partie intégrante de la performance : jusqu’où irait-il et qu’est-ce qu’il partagerait avec l’artiste, qu’est-ce qu’il lui confierait, lui demanderait ? Au début, tout se passe bien : les visiteur·se·s la parfumaient, l’embrassaient, l’enlaçaient, lui offraient des roses, du pain, du miel, des raisins, la caressaient avec la plume, discutaillaient.

Marina Abramović, Rhythm 0, 1974, performance de six heures, Studio Morra, Naples. (© Marina Abramović Archives/Photo : Donatelli Sbarra)

Puis, la performance a viré au cauchemar et a remué les vices les plus profonds chez certain·e·s, qui se sont mis·es, progressivement, à la malmener, à la maltraiter, à l’agresser, à la lacérer, à la violenter. L’artiste ne cillait pas. Thomas McEvilley, un critique d’art présent, a témoigné de ce moment : “Ça a commencé docilement. Quelqu’un l’a fait tourner sur elle-même. Quelqu’un a mis ses bras en l’air. Quelqu’un l’a touchée de façon assez intime. La nuit napolitaine a commencé à chauffer. Au bout de trois heures, tous ses vêtements ont été coupés avec des lames de rasoir. Une heure plus tard, les mêmes lames ont commencé à explorer sa peau. Sa gorge a été tranchée pour que quelqu’un puisse sucer son sang. Diverses agressions sexuelles ont été commises sur son corps. Elle était tellement attachée à sa performance qu’elle n’aurait pas résisté à un viol ou à un meurtre.”

Abramović rapporte que des visiteur·se·s se sont également amusé·e·s à la déshabiller, à la porter pour l’allonger sur la table. Au fil de la performance, le public témoin a fini par former un groupe de protection autonome. C’est au moment où un visiteur a placé le pistolet chargé devant sa tête, en posant les doigts de l’artiste sur la gâchette, que le groupe est intervenu, menant à une altercation dans le public où protecteur·rice·s bienveillant·e·s et défenseur·e·s du libre déroulement de la performance s’opposaient. À la fin des six longues heures, le public a fui de la galerie pour éviter toute confrontation avec l’artiste, nue, souillée, mutilée et en pleurs.

“Ce que j’ai appris, c’est que si vous laissez le public décider, il peut vous tuer. Je me suis sentie vraiment violée : ils ont découpé mes vêtements, planté des épines de rose dans mon ventre, une personne a pointé le pistolet sur ma tête et un autre lui a retiré. Cela a créé une atmosphère agressive”, a confié l’artiste, à l’issue de sa performance. Et si cette performance est à la première place de notre classement, c’est parce que c’est la première fois que Marina Abramović montra au public qu’elle n’avait pas peur de la mort.

L’exposition dédiée au travail de Marina Abramović est visible à la Royal Academy of Arts jusqu’au 1er janvier 2024.