Le rap à l’ancienne est-il le futur du rap français ?

Le rap à l’ancienne est-il le futur du rap français ?

photo de profil

Par Aurélien Chapuis

Publié le

2022 est l’année du Solide Rap. Mais c’est quoi ? Quelles sont ses ramifications, ses stratagèmes ? Réponses avec Souffrance, Prince Waly et Dosseh.

Chaque semaine, Aurélien Chapuis alias Le Captain Nemo revient sur l’actualité du rap avec ses coups de cœur, ses découvertes et les enjeux du moment.

À voir aussi sur Konbini

Il y a quelques semaines, je me faisais la réflexion que les sorties rap français étaient assez éparpillées. On se retrouvait le vendredi avec moins d’actualité ou d’évidence. Pourtant, le rap n’a jamais été aussi créatif, des morceaux pleuvent à droite à gauche, mais les tubes sont moins immédiats comme par exemple ceux de Tiakola et de Gazo dans la première moitié de 2022, ou encore la fulgurance de “Fade Up” pendant l’été des festivals. À la place, des albums plutôt “à l’ancienne”, sérieux et construits sont le haut du panier. C’est ce que j’ai appelé le “solide rap” avec comme exemples Prince Waly, Dosseh, mais aussi le très bon Freddie Gibbs ou YG (je suis revenu dessus depuis, c’est un peu moins bien que prévu).

Chargement du twitt...

Tous ses albums sont bien produits, recherchés, avec une ligne conductrice et une écriture vraiment travaillée. Sur Trop tôt pour mourir, Dosseh développe des narrations impressionnantes avec Momsii sur “Branché”, avec Dinos sur “Demain j’arrête” ou sur le nouveau mètre étalon “Djamel”. Pour Prince Waly et son Moussa, on a aussi le même constat : écriture rigoureuse, profondeur de champ et construction musicale très fouillée. Les deux albums sont vraiment des bandes-son de films avec de nombreuses facettes qu’on découvre au fur et à mesure. C’est aussi le cas avec un album qui est sorti vendredi dernier : Tour de magie de Souffrance.

Souffrance est là depuis longtemps. Membre du groupe l’uZine, il a bourlingué dans toutes les écoles du rap français. Quelque part, Souffrance est intemporel, comme son nom l’indique. Il est technique, réfléchi, pose sur des instrumentaux avec des samples parfois très référencés. Souffrance semble être à l’ancienne, mais le résultat est étrangement créatif et novateur. Avec Souffrance, le rap n’était pas mieux avant, il l’est maintenant et peut-être après.

À 36 ans, le rappeur originaire de Montreuil n’a plus rien à (se) prouver, ce qui lui laisse une place énorme pour tester plein d’idées et de faire sur la longueur du “solide rap”. Encore plus fou, Souffrance a carrément un morceau qui s’appelle “Solide” et il représente exactement ce que je cherchais à définir dans les sorties rap français intéressantes du moment.

Il y a des essences de Lunatic, du Rat Luciano, de Kery James, de Salif ou de Niro. Dans l’instru, le sample vocal fait penser au traitement de Moby dans les années 1990. La musique de Souffrance est une somme de tout. Mais il y a surtout une mise à jour très 2022, très… solide.

Sur “Matrice”, on retrouve son collègue de Montreuil, Prince Waly. Comme par hasard, du “solide rap”. Plus tard dans l’album, sur le morceau “Comme en 2009”, Souffrance dit :

“C’est tellement à l’ancienne que ça en devient futuriste”

Est-ce que le futur du rap français se trouve dans son passé revisité ? Peut-être qu’une partie de la réponse est là. Le rap a toujours été une musique de recyclage où chaque génération recycle ce qui l’intéresse, la passionne, l’inspire. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme depuis la nuit des temps et des notes. Le retour du rap technique, aux kilomètres, parfois sans refrain, continue de s’installer durablement avec les succès incroyables de Freeze Corleone (“Freeze Raël”, disque de diamant, ça reste fou) ou l’ascension d’Alpha Wann. Les cycles du rap se relancent encore une fois, comme un reboot de MacBook. Tout est pareil, mais tout est différent. C’est solide.

Le 5 majeur de la semaine

Couli B – Bon délire

La jersey drill est sûrement le mouvement le plus créatif et provoc du moment en France. Derrière le succès de Kerchak notamment sur son “Peur” avec Ziak ou les dernières sorties de Gambi, il y a aussi Couli B qui a marqué pas mal de points avec son “Je sais” cet été. Avec ce nouvel extrait, “Bon délire”, Couli B est encore bouillant dans la rythmique, mais aussi le visuel. À suivre.

Mavi – High John

L’album de Mavi nommé Laughing So Hard, It Hurts est ce que j’ai le plus écouté depuis la semaine dernière. Le rappeur y est mystérieux, voire mystique, sur des instrumentaux jazzy à tiroir comme ce “High John” parfait pour entamer l’automne de manière douce et étrange. Il y a Alchemist dans le clip, ça me fait toujours plaisir de le voir. En boucle, en fait.

1pliké140 – No Lackin

1pliké est vraiment resté le véritable ovni du rap en français version drill. Très productif, avec une ambiance sonore unique, le rappeur de Clamart a une place complètement à part dans le paysage rap actuel. Ce nouvel extrait est toujours aussi radical et sans concession. Des vidéos toujours street signées Nefast, la qualité Netflix. Du rap hard-core pur. 1pliké140 est en concert à l’Olympia ce vendredi 21 octobre. Feux d’artifice en prévision.

Nardo Wick & Polo G – G Nikes

Nardo Wick est sûrement le nouveau talent de Floride que j’écoute le plus en ce moment. Présent dans la sélection Freshmen de XXL Mag, très fort en collaborations et en gimmicks entraînants, Nardo représente vraiment la violence par la nonchalance. Seule nouvelle tête présente sur l’album de Lil Baby (album qui, d’ailleurs, confirme ma théorie de la semaine dernière), Nardo Wick s’offre ici un de ses meilleurs passe-passe avec Polo G, mon autre chouchou de ces dernières années. Le résultat ? Une ogive aux multiples flows.

BandGang Lonnie Bands – Detroit Hu$$le

La scène de Detroit est extrêmement riche en ce moment avec un style particulier de flow décalé marmonné. Lonnie Bands est parmi les têtes les plus intéressantes de cette mouvance depuis plusieurs années comme sur ce nouvel extrait de son nouvel album Creatures in Paris. Car, justement, Lonnie Bands vient pour la première fois à Paris ce vendredi 21 octobre. Enfin plutôt à Montreuil, à la Marbrerie, pour une soirée inédite avec de nombreux talents de la nouvelle génération de rap en français comme Bob Marlich, Loto, Akkai ou Manast. Et moi. Je m’occupe du warm-up dès 23 heures. Donc venez tôt pour entrevoir ce que le rap offre de plus créatif en ce moment.

Le 6e homme : $NOT

On ne parle pas assez de ce gars avec sa capuche resserrée, très beau chaînon manquant entre Odd Future et Yeat. Son dernier clip est de toute beauté, c’est le moment de se plonger dedans !

Ligne nostalgique :

La légendaire marque Supreme vient d’annoncer une collaboration avec le label Duck Down Records, des pionniers de l’indépendance dans le rap new-yorkais avec son Boot Camp Click. Leurs artistes comme Black Moon, Smiff-N-Wessun, OGC ou encore Heltah Skeltah ont énormément influencé le rap mondial, notamment en France, cités par Booba, Oxmo Puccino ou encore les X-Men.

Ils ont aussi eu une énorme influence stylistique avec les paires Timberland, les visuels camouflage et les vestes militaires. Cette collaboration avec Supreme tombe à pic, car j’écoute à fond Black Moon en ce moment et leur album classique Enta Da Stage va bientôt fêter ses 30 ans. Incroyable époque du rap boombap, écoutons donc ça à fond !