Ce documentaire sur la jeunesse russe, la drogue et le suicide est, malgré ses thèmes, l’un des plus beaux films de l’année

Ce documentaire sur la jeunesse russe, la drogue et le suicide est, malgré ses thèmes, l’un des plus beaux films de l’année

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(© La Ving-Cinquième Heure)

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Par Arthur Cios

Publié le

Trigger warning : les sujets évoqués sont vraiment difficiles.

Sa sortie est discrète mais son impact immense. Quiconque visionne How to Save a Dead Friend se prend une des plus grosses claques de l’année. Pourtant, de prime abord, le sujet et les thèmes de ce documentaire peuvent être rédhibitoires : le suicide, la jeunesse désœuvrée en Russie, l’addiction, la pauvreté, la mort, et plus encore.

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C’est que le procédé est particulièrement fort. La réalisatrice Marusya Syroechkovskaya filme, entre 2004 et 2016, à partir de ses 16 ans, tout son quotidien, comme pour oublier l’ennui de celui-ci. Elle filme tout, même le début de son couple avec Kimi, couple qui va durer malgré les difficultés et la drogue.

Sauf qu’en 2016, à 28 ans, Kimi meurt. La réalisatrice décide alors de monter ces années d’images, qui parlent aussi bien de son quotidien que de l’évolution de la jeunesse russe. En sort ce documentaire impressionnant, bouleversant, présent à l’ACID du Festival de Cannes en 2022.

On a eu envie de poser quelques rapides questions, par mail, à la réalisatrice sur ce projet si particulier.

Konbini | Vous avez commencé à filmer votre quotidien comme une manière de vous protéger. À quel moment vous filmer, filmer Kimi et tout ce qui vous entoure est devenu quelque chose d’autre ?

Marusya Syroechkovskaya | Quand Kimi et moi avons commencé à tout filmer, on ne savait pas si ces images deviendraient un film un jour. On rigolait, fantasmait à propos de filmer des choses de nos vies, mais sans idée particulière.

Ce n’est que quelques années après que Kimi est parti, deux ans plus précisément, que j’ai été capable de trouver la force de revoir toutes les images. Et j’ai vu que, quelque part, il y avait un film.

Est-ce que le fait de filmer tout tout le temps vous a aidée, vous a sauvée de vos pensées les plus sombres ?

La caméra était définitivement un mécanisme d’adaptation. J’étais très déprimée comme ado. Je ne savais pas que j’étais en dépression, je ne savais pas comment demander de l’aide ou exprimer mes sentiments. Donc ma caméra est devenue un outil pour m’exprimer et qui a fait que le monde faisait sens autour de moi.

Comment avez-vous abordé le fait de vous replonger dans les archives de vos vies à vous et Kimi ?

En fait, travailler sur ce film m’a permis de gérer mon deuil de Kimi, m’a aidée à prendre un peu de distance. Évidemment que la douleur ne part jamais vraiment. C’était une sensation douce-amère, la création de ce film, parce que d’une certaine manière, je décalais mon adieu à Kimi.

À quel moment avez-vous senti que ce ne serait pas qu’un documentaire intimiste mais aussi un documentaire politique ?

Je savais dès le début que c’était une histoire qui ne se déroulait pas dans le vide mais dans une époque et dans un espace. Il y avait tellement de choses qui nous ont affectés, Kimi et moi, du fait de cet espace et cette époque, directement et indirectement.

Je vous ai vue citer des inspirations fictionnelles ou des cinéastes pas habitués aux documentaires pour le vôtre. Pourquoi ?

Mon film est une manière de sauvegarder la mémoire d’un être aimé qui est parti. Mais je voulais aussi sauvegarder cette période, cet endroit et toutes les choses qui nous ont formés, Kimi et moi, quand on grandissait. Donc How to Save a Dead Friend est quelque part un hommage à Gregg Araki, à Harmony Korine, aux œuvres de David LaChapelle, et à des tas de musiques, du post-punk et du grunge à l’emo et à la witch house, aux transitions de Windows Movie Maker, aux esthétiques du début d’Internet et des forums en ligne.

Est-ce que le film a été montré en Russie ? Qu’est-ce que ça vous fait de voir le film être passé par Cannes et sortir à l’international ?

Malheureusement, le film n’a pas été montré en Russie, et je ne suis pas sûre de quand et comment ce serait possible.

Après que le film a été terminé et qu’on a commencé à le montrer dans des festivals, j’ai reçu tellement de retours de spectateurs qui me disaient qu’ils passaient par un moment difficile et que le film les a aidés à gérer ce mal-être, à ne pas perdre espoir et à aller de l’avant. C’était vraiment bouleversant à entendre. Je suis heureuse si ce film peut amener un peu d’espoir dans ce monde.