Avec son dernier clip, Bad Bunny nous rappelle qu’il est l’allié de la cause LGBTQIA+ dont on a besoin

Bad Bunny président

Avec son dernier clip, Bad Bunny nous rappelle qu’il est l’allié de la cause LGBTQIA+ dont on a besoin

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© Rimas Entertainment

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Par Flavio Sillitti

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Le chanteur portoricain invite l’acteur Steve Buscemi et rend hommage à un classique du cinéma d’horreur avec le clip de Baticano, plus politique qu’on ne le pense.

En 2023, Bad Bunny est le lauréat du GLAAD Vanguard Award, prix attribué chaque année par l’association états-unienne GLAAD de lutte contre les attaques homophobes dans les médias, et qui récompense une personnalité du monde du divertissement qui ne s’identifie pas comme étant une personne LGBTQIA+, mais qui a contribué de manière significative à la promotion de l’égalité des droits pour la communauté. Il succède à Cher, Janet Jackson, Antonio Banderas, Beyoncé ou encore Britney Spears.

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Et si vous vous demandez pourquoi Bad Bunny reçoit ce prix, son dernier clip horrifique pour “Baticano”, issu de son dernier album en date nadie sabe lo que va a pasar mañana, donne une bonne idée de l’engagement de l’artiste le plus streamé au monde.

Partagé tout pile pour les fêtes d’Halloween, on pourrait croire que la thématique vampirique du clip de Bad Bunny s’explique seulement par son calendrier de sortie. Sauf que, comme l’a souligné le média Dazed, Bad Bunny avait certainement d’autres priorités en choisissant de se glisser dans la peau du Comte Orlock, protagoniste de Nosferatu le vampire, film expressionniste allemand de Friedrich Wilhelm Murnau sorti en 1922, et qui est l’une des premières adaptations du célèbre roman Dracula de Bram Stoker publié en 1897.

Hommage au premier film de vampire “queer”

Le film, salué par beaucoup pour avoir fait entrer l’histoire de vampire dans la culture populaire, est également décrit comme une célébration des différences et comme une allégorie de la peur de l’inconnu, que le réalisateur F. W. Murnau, lui-même homosexuel, a bien connue. Le blog spécialisé Slash Film nous apprend d’ailleurs que le contexte d’après-guerre allemand dans lequel le film est sorti explique en partie les sous-thèmes queers que beaucoup perçoivent dans Nosferatu le vampire :

“Pendant la guerre, les femmes ont été autorisées à travailler dans l’espace public et, dans les années qui ont suivi, l’homosexualité et les sous-cultures gay sont devenues publiques. Comme pour tout grand changement culturel, nombreux sont ceux qui se sont fermement accrochés à leurs valeurs traditionnelles, et une vague d’anxiété a envahi toute la société. En utilisant la créature du vampire, Murnau a utilisé Nosferatu comme une allégorie des peurs masculines de la libération des femmes et de l’expression flagrante de l’homosexualité.”

Alors que le clip de Bad Bunny réinterprète plusieurs scènes culte du film de Murnau, une séquence en particulier semble rajoutée expressément pour souligner le message que veut faire passer cette sortie. On y voit un homme agresser sa femme sous l’œil de Jésus Christ, montrer des films d’horreur sanguinolents à son fils, mais lui cacher les yeux lorsque deux hommes s’embrassent à la télévision. De quoi questionner la morale et les dogmes religieux conservateurs en matière d’homosexualité — notamment en Amérique latine, d’où vient l’artiste, mais partout ailleurs également.

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Le choix du morceau “Baticano” pour faire passer ce message n’est pas dénué de sens non plus. Le titre fait référence au Vatican, siège de la papauté et du monde catholique, et épingle l’hypocrisie religieuse (et plus largement sociétale) par rapport à la libération sexuelle. Bad Bunny y réaffirme son amour pour le charnel, le coït, et parle ouvertement de pratiques en tout genre, par devant et par derrière, le tout sans filtre.

Plus loin, Bad Bunny affirme Me beso con Villana, me beso con Tokischa” (“J’embrasse Villana [Villano Antillano, ndlr], j’embrasse Tokischa”), en référence à deux artistes fortement critiquées par les sphères conservatrices à Puerto Rico, la première pour être une femme trans non binaire, la seconde pour faire de sa libération sexuelle le sujet de ses morceaux, et qui ont suscité l’indignation après s’être embrassées sur scène. Avec “Baticano”, le message est clair : Bad Bunny, qui a grandi dans un environnement catholique, n’en a rien à faire du conservatisme religieux, et ça ne fait pas de lui un moins bon croyant :

“No man on earth has the right to judge in the name of Christ (“Aucun homme sur terre n’a le droit de juger au nom du Christ”)
I know that He doesn’t give a f*ck how I dress.” (“Je sais qu’Il se fout de la façon dont je m’habille”)

La surprise du clip, c’est l’apparition de Steve Buscemi, acteur connu pour son rôle emblématique de M. Pink dans le Reservoir Dogs de Quentin Tarantino, mais également pour son rôle de Nick dans Un clin d’œil pour un adieu, que beaucoup décrivent comme l’une des premières véritables représentations gay au cinéma, avec un récit juste sur la crise du sida. Dans le clip de “Baticano”, Buscemi interprète le docteur qui redonne la vie à Nosferatu/Bad Bunny, et conclut le court-métrage avec une citation qui résonnera facilement pour toute la communauté LGBTQIA+.

“Dehors, le monde est cruel. Il est horrible. Ils ne sont pas prêts pour toi dans ce monde. Mais tu es beau, ne l’oublie pas. Tu es même trop parfait pour ce monde.”

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Un engagement inédit en scène rap/reggaeton

Depuis le début de sa carrière, Bad Bunny fait souffler un vent d’inclusivité dans deux mondes connus pour leur caractère hyper-masculin : le rap et le reggaeton. Par ses prises de parole, de position, sa façon de s’habiller ou encore les gens qu’il galoche, Benito Antonio Martínez Ocasio (de son vrai nom) a révélé être un véritable allié de la cause LGBTQIA+, sans pour autant devoir dévoiler quoi que ce soit de sa propre identité sexuelle. Le Dr. Nate Rodriguez, qui dispense un cours sur Bad Bunny à la San Diego University, partage :

“Même si Bad Bunny n’a pas fait de coming out ou précisé son orientation sexuelle, il a fait avancer la conversation sur la scène mondiale et dans ces lieux de la culture pop où les gens sont attentifs. La fluidité, c’est son message principal.”

On retient la fois où le rappeur a dévoilé son alter ego drag dans le clip de “Yo Perreo Sola” en 2020 pour promouvoir la sécurité des femmes en boîte de nuit, la fois où il a embrassé son danseur en pleine performance aux VMAs de 2022, et puis surtout sa prise de position forte en 2019, sur le plateau de The Tonight Show Starring Jimmy Fallon, lors de laquelle il a arboré une jupe et un T-shirt épinglant le meurtre transphobe d’Alexa Negrón Luciano, brutalement tuée à Porto Rico. Sur le T-shirt était indiqué : “Ils ont tué Alexa, pas un homme en jupe”.

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L’engagement de Bad Bunny fait chaud au cœur. Et même s’il est important de noter que son identité d’homme blanc cisgenre (a priori) hétérosexuel lui apporte des avantages non négligeables pour évoluer dans l’industrie musicale actuelle, sa ligne de conduite prouve qu’on peut évoluer dans des registres rap, hip-hop et reggaeton tout en s’engageant publiquement pour le droit des femmes et des personnes LGBTQIA+. On espère secrètement que la scène rap française masculine prenne des notes.