Avec 24, La Fève arrête le temps et s’affirme pleinement

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Avec 24, La Fève arrête le temps et s’affirme pleinement

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© Pochette de “24” par : @walonestuff
@ben_dorado @pablojomaron

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Par Simon Dangien

Publié le , modifié le

Frais, historique, ambitieux. La mixtape attendue par tous va diviser, certes, mais aussi devenir une pièce d’histoire incontournable et un arc important du rap français.

Avec très peu de promo, un single “LOYAL” majoritairement bien accueilli et une pochette déjà légendaire, La Fève avait fait du La Fève, préparant minutieusement dans l’ombre le fruit de son travail, “J’ai pris mon temps, j’ai agrandi mon savoir“. Il livre ce 22 décembre son plus gros projet à ce jour, la mixtape 24, son âge actuel (génération 99, la meilleure). Des projets nous ont hypés cette année, mais il est vrai que le retour du rappeur est celui qui concentrait le maximum d’excitation.

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La couronne lui va si bien

Même s’il faudra encore du temps pour le dire afin d’éviter de tomber dans la caricature du premier retour, La Fève vient de sortir de ses tripes une œuvre conséquente de 58 minutes, et importante. Importante dans sa carrière, évidemment, mais pouvant même dépasser sa propre personne à l’image de ERRR, son précédent projet, sorti il y a deux ans presque jour pour jour. L’idée n’est pas de s’étendre en comparaison mais il est évident qu’après un si bel opus La Fève se devait de revenir encore plus grand, encore plus novateur, encore plus couillu.

Le rappeur de Fontenay-sous-Bois offre donc une suite rêvée à ERRR qui reste un excellent projet et qui, ça se ressent, permet à 24 d’être ce qu’il est. On ressent toute l’évolution dans la vie de La Fève, musicale ou personnelle. 24 est un projet très riche, et donc complexe. Fèv nous emmène dans son délire sans nous demander notre avis, nous traînant dans la boue jusqu’à ce qu’on se relève par nous-mêmes et que l’on commence à rider avec lui, car oui, au final, on finit tous par rider avec lui. L’outro du projet dans lequel il se permet un long monologue permet de mettre des mots sur un personnage s’exprimant très peu en dehors de sa musique. Le message se fait plus clair, plus direct et ce morceau est une immense réussite.

“Tu m’as vu à Atlanta, j’me suis régalé”

Les textes suivent la direction prise par le projet : riches, personnels, parfois, voire souvent, motivants avec le bon égotrip comme il le dit dans “RIP KEED” produit par le grand Zaytoven “les haters bandent sur mon parcours”. On ressent une réelle envie de transmettre chez La Fève, encore plus forte que celle de marquer son époque, quoique le rappeur pourrait nous répondre que c’est par la transmission qu’on peut rester dans le temps et finir par le traverser. La transmission, La Fève, ça le connaît. À 24 ans et avec assez peu de projets, il est sûrement le rappeur le plus influent de sa génération et avec 24, ce n’est sûrement pas près de changer au regard de la proposition.

La Fève bifurque, en gardant son ADN propre et sa voix si particulière comme bénie du ciel. Il offre un travail sans concession, aux influences américaines affirmées à 10 000 %. Il a plusieurs fois fait le voyage à Atlanta pour la création de cet album, véritable hommage à la trap de la ville et du sud des États-Unis. Et c’est là qu’on voit que La Fève joue avec le rap français et le modèle à l’image qu’il a envie de lui donner.

Malgré son nouveau statut qu’il gère à merveille, le rappeur nage à contre-courant (même au regard du format), ou plutôt au gré de son propre courant, en se gardant bien d’aller dans le mainstream. Ce détachement du rap français est d’ailleurs appuyé par les feats avec le britannique Knucks et le rappeur d’Atlanta Yung L.A. On retrouve malgré tout Tiakola et Zequin, qu’il faut suivre de très près.

24 est un opus qui peut et va sûrement diviser mais c’est son influence qu’il faudra surveiller à l’avenir. La manière avec laquelle La Fève évolue est juste époustouflante, ses choix, ses placements, son discours qu’il veut sans artifice ni anglicisme qu’il a peu utilisé ici malgré les influences américaines indéniables. On le sentait venir avec “LOYAL” et ça n’a pas manqué.

Même si sur 20 morceaux, on peut redouter certains skips ou oublis, on ne va pas bouder notre plaisir. Surtout, le travail des beatmakers est affolant du début à la fin de 24. D’ailleurs, la performance collective des producteurs en 2023 commence à être une récurrence qui mériterait un bouquin et La Fève n’y est pas pour rien. Kosei et Lyele que l’on retrouve sur la moitié du projet, Tarik Azzouz, qui a récemment travaillé avec Gazo et Tiakola, FREAKEY!, Louis Marguier, Zaytoven et j’en passe : il est évident que La Fève sait s’entourer des meilleurs et faire ressortir le nectar.

24 est globalement un projet qui fait bouger, où la mélancolie est quasiment absente, remplacée par sa proche cousine la nostalgie, que La Fève manie avec talent, justesse et émotion sans être trop cliché. Peut-être allons-nous voir avec cette mixtape un projet en français réussir à bien s’exporter aux USA et ouvrir des portes à de vraies connexions, comme d’autres rappeurs de la génération tentent de le faire.

Que l’on aime ou non la musique proposée dans ce 20 titres, on ne peut nier l’apport culturel que peut provoquer 24. Ces premières écoutes et la prestation entendue resteront longtemps dans les mémoires, c’est un projet taillé pour durer et on reparlera sûrement ensemble d’autres moments de l’album comme la présence de Tiakola, ce qu’elle signifie et engage ou encore de l’affolant “MA CHIENNE DE TRAPLIFE”.

Quelques premiers coups de cœur parce que ça ne fait pas de mal :

“RIP KEED”, “24”, “NAVRÉ”, “MA CHIENNE DE TRAPLIFE” et “SHAWTY – BONUS”.