2023, c’est confort : pourquoi on va encore passer l’année en chaussons (même dans la rue)

2023, c’est confort : pourquoi on va encore passer l’année en chaussons (même dans la rue)

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Par Caroline Ricard

Publié le

Sommes-nous condamnés à porter les chaussures de nos grands-mères ?

Dans les années 2000, bien que considérées comme hype dans certains cercles, les Birk’, Crocs et autres Scholl étaient plutôt considérées comme bien moches ou même vulgaires. Comment ces marques, souvent catégorisées comme “chaussures de grands-mères”, sont devenues l’évidence du moment, et sont prêtes à rester à nos pieds un bon morceau des années 2020 ?

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Rupture sociétale et recherche de confort

En mars 2020, le Covid débarque dans nos vies et c’est le début de la crise sanitaire que l’on connaît tous. Personne n’a pu oublier les sentiments ressentis à l’annonce du premier confinement : peur, doute, incertitude voire anxiété. Il faut dire qu’en plus d’une pandémie mondiale, ce sont tous les modèles que l’on connaissait qui se sont vus chamboulés. Plus d’interactions sociales en-dehors d’écrans interposés, plus de sorties et surtout, fini le schéma classique métro/boulot/dodo : place à la démocratisation du télétravail. Ah, le télétravail ! Comme tout le monde, on a connu les visios (intempestives) en bas de pyjama ou en jogging, ce qui, avouons-le, aurait littéralement été impossible auparavant. Alors comme toute rupture sociétale, des changements se sont imposés à nous et de nouvelles tendances ont émergé. Parmi elles, le homewear, apparaissant comme une réponse concrète à la recherche absolue de confort. Jill Gattegno, styliste et directrice artistique, affirme :

“Depuis le Covid, les gens ne veulent plus vraiment s’habiller, il faut avant tout que les choses soient simples. Ils veulent une mode facile et confortable.”

Il faut dire que dans ce contexte, hors de question de se pimper pour rester à la maison. Alors, à l’instar du secteur de la beauté qui a vu apparaître le concept de in and out (l’importance de prendre soin de soi de l’intérieur pour que cela se voie à l’extérieur), la mode a connu de plein fouet une hype difficile à prévoir : les chaussons d’intérieur portés à l’extérieur.

“Ce que ta grand-mère portait dans le jardin.”

Cette tendance, certains distributeurs comme Courir l’avaient vue venir.

“Avant d’effectuer les achats, on réalise des moodboards, on analyse les tendances… Et clairement, on a vite réalisé qu’il y en avait une énorme autour des UGG ou des Birkenstock par exemple ! Tous ces chaussons d’intérieur, finalement, mais cette fois portés à l’extérieur. Des chaussures que ta grand-mère mettait dans le jardin, mais que maintenant les blogueuses, les influenceuses et même les célébrités affichent sur les réseaux !”, nous explique Maria Torazzina, cheffe de marché chez Courir.

C’est ce point précis qui rend cette tendance aussi improbable ! Il y a encore quelques années, des marques comme Crocs, Birkenstock ou Scholl n’étaient absolument pas réputées pour leur esthétisme, encore moins pour un quelconque aspect mode. Seul leur confort importait et certains modèles étaient catalogués comme “chaussures de séniors”, “chaussures de grands-mères”, “has-been” ou tout simplement à destination du personnel hospitalier (là encore, pour le côté pratique et confortable).

On pense notamment au célèbre Classic Clog, le sabot classique made in Crocs. Pourquoi cette fracture sociale ? Tout simplement car pendant (très) longtemps, la mode n’avait pas pour vocation d’être agréable et confortable. Être bien dans ses vêtements, c’était surtout synonyme de laisser-aller. D’ailleurs si on fait les comptes, on aura beaucoup plus entendu “Il faut souffrir pour être belle” que “Venez comme vous êtes” (sauf chez McDo). Les équipes Scholl le confirment :

“Il y a encore 10 ou 15 ans, la mode semblait surtout signifier quelque chose d’inconfortable : des femmes portant des talons très hauts et des robes cintrées. Chez Scholl, on a développé la notion de ‘Haute Comfort’. L’esthétique et le confort ne sont pas opposés et servent plutôt de catalyseur l’un pour l’autre. Ainsi, on pourrait dire que le confort est la nouvelle norme de la mode !”

Un point de vue que nuance Jill Gattegno : “C’est vrai que le confort prend le dessus. Même moi, j’adore être à l’aise dans mes chaussures. Mais la perception de la beauté change et, personnellement, je ne trouve pas que ce type de chaussures soit beau, c’est juste confortable. Pour moi, la mode, c’est un effort, c’est apprécier une silhouette dans sa totalité et honnêtement, j’ai du mal à accepter qu’une silhouette soit complète avec une paire de Crocs [rires] !”, confie la styliste. Pourtant, il a suffi d’une crise sanitaire, d’un changement de positionnement et de quelques collaborations bien pensées pour que le game change.

Le Diable s’habille en Crocs

En 2017, Crocs faisait déjà son show à la Fashion Week. Une collaboration avec Balenciaga, une autre avec le créateur écossais Christopher Kane… Depuis, les collabs avec de grands noms du secteur de la mode ne cessent de s’enchaîner, comme Salehe Bembury, Palace, Christian Cowan ou encore Lazy Oaf, mais aussi des célébrités et artistes reconnus pour leur sens du style et leur grande audience : Justin Bieber, Bad Bunny, SZA et même la frenchie Natoo.

“Pour toutes ces marques, leur changement d’image passe par les réseaux sociaux, mais c’est aussi grâce aux collaborations qu’elles ont pu faire. C’est ce qui fait qu’aujourd’hui, elles ont une image mode totalement justifiée. Je pense notamment à Birkenstock et Stüssy ou UGG et Telfar”, ajoute Maria Torazzina. Scholl non plus n’est pas en reste côté collabs : “Nous avons collaboré avec des marques telles que Eres, Ganni, GmbH, des personnalités comme Honey Dijon et nous continuons à pousser la collaboration en 2023, comme avec Anita Hass et Y’s”.

Le point fort de ces collaborations ? Réussir à marquer les esprits des aficionados certes, mais pas que… ‘Je n’aime pas du tout le créneau des marques de chaussures confortables, mais s’il y a bien une collab qui m’a surprise, c’est celle de Crocs avec Salehe Bembury ! Je la trouve hyper-intéressante : le produit est détourné, les lignes sont plus créatives, moins médicales. Elle me fait penser à un rocher après une coulée de lave.’ explique Jill Gattegno. Après tout, n’est-ce pas exactement le but d’une collaboration ? Apporter le meilleur de chaque univers et réussir à toucher une audience plus large ?

Une tendance faite pour durer

Au cours du premier semestre 2022, le site Lyst a observé une augmentation des recherches de 593 % concernant les sabots Boston de Birkenstock. Comme pour les sabots Scholl, les consommatrices et consommateurs apprécient le côté confortable, mais aussi la qualité et la durabilité des chaussures.

Crocs a également explosé son chiffre d’affaires prévisionnel (640,8 millions de dollars au deuxième trimestre 2021, soit +93 % par rapport à l’année passée) et les contrefaçons des Classig Clog ne cessent de voir le jour, malgré de nombreuses actions en justice. Autre point important : le prix de certains modèles a largement augmenté ces dernières années, se rapprochant dangereusement de produits luxueux (180 € pour une paire de Boston fourrée, 120 € pour les chaussons Tasman et jusqu’à 189 € pour les sabots Pescura), ce qui n’a pas l’air de freiner la clientèle pour autant.

La hype ? Maria Torazzina assure que non : “C’est vrai qu’on a observé une augmentation des prix, mais ce n’est pas lié à l’augmentation de la demande. Comme toutes les marques, c’est surtout lié aux soucis de production, à l’inflation et à la conjoncture actuelle.” Reste à savoir si le consommateur de base se retrouve toujours dans l’offre et les prix actuels.

Enfin, l’ambiance générale a plutôt l’air d’être en faveur du fameux homewear. La dernière étude de l’Ifop pour la Fondation Jean Jaurès révèle en effet que post-Covid, 45 % des Français et Françaises interrogés ont toujours la flemme de sortir de chez eux, raison de plus pour Courir de mettre le paquet pour l’année prochaine :

“Ces marques sont tellement demandées qu’elles n’ont plus la possibilité de réassort, elles ont même du mal à suivre la demande ! Avant, par exemple, on n’était jamais en rupture de stock pour UGG. Pour l’année prochaine, nos volumes sont incomparables avec ce que l’on a acheté cette année. On avait certes prévu la tendance, mais là, les résultats sont tellement incroyables qu’on achète beaucoup plus et que notre offre va être encore plus large.”

Aucun doute, les chaussons/chaussures ont encore de beaux jours devant eux. Il ne vous reste plus qu’à piquer les paires de votre grand-mère au prochain repas dominical, n’en déplaise aux fashionistas.