Tarantino, itinéraire d’un féru d’hémoglobine

Tarantino, itinéraire d’un féru d’hémoglobine

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Par Antonin Gratien

Publié le , modifié le

Splash, boum, PAN, PAN, PAN ! Couiiiiiiiiiiic.

Dans l’oeuvre de Quentin Tarantino il y a : des références à l’histoire du cinéma, quelques gros plans sur des pieds féminins, beaucoup de punchlines et… Plusieurs litrons de sang. Grand leitmotiv du réalisateur, la mise en scène de la violence est restée une constante dans sa filmographie. Avec des approches variées, notons. Tout d’abord humoristique, cette brutalité portée à l’écran par l’étoile pop du cinéma US prend un virage esthétique à partir de Kill Bill. Puis se transforme en correctif insolite des travers de l’Histoire, dans ses films uchroniques. Tour d’horizon.

Une barbarie intimiste, et humoristique

Qui dit premiers pas derrière la caméra dit petit budget. Aussi, les débuts de Tarantino donnent moins à voir une violence spectaculaire – et forcément coûteuse – qu’une sauvagerie décalée, en espaces réduits. Chacun se rappellera ainsi, par traumatisme ou souvenir amusé, c’est selon, de cette scène dite « de la torture » dans Reservoir Dogs (1992), le premier long-métrage du réalisateur.

On y voit Mr. Blond (Michael Madsen), le plus psychopathe des truands du film, dodeliner en mutilant un policier sur fond de Stuck in the Middle With You (Stealers Wheel, 1972), une musique délicieusement groovy. Ce contraste entre gravité de l’acte et légèreté du traitement par l’image-son deviendra la signature de Tarantino.

On la retrouvera ponctuellement dans son film indépendant suivant, Pulp Fiction (1994). Ainsi d’un meurtre par balle perdue, présenté comme un malheureux (mais surtout pas tragique) « accident » , dans la voiture de Vincent (John Travolta) et Jules (Samuel L. Jackson). C’est que ces deux tueurs à gages envoient du plomb comme ils engloutiraient leur café matinal. Ou presque.

À son tour, Jackie Brown (1997) égaye le public à grand renfort d’assassinats aux caractères anodins. Excédé par ses railleries, un gangster de bas-étage (Robert de Niro) n’hésite pas tirer sur une jeune femme en plein parking. Sans manquer d’adresser une pique amusée au cadavre ensuite. C’est surprenant, c’est absurde – c’est pop.

La violence devenue danse

Lorsqu’il tourne Kill Bill : Volume 1 (2003), Quentin Tarantino a une Palme d’or (Pulp Fiction) ainsi que plusieurs dizaines de récompenses derrière lui. Il s’est fait un nom. Et le budget alloué à sa production s’en ressent. Le réalisateur passe d’un fonds de 12 millions € pour Jackie Brown à plus de 30 millions €, lorsqu’il s’agit de tourner le premier volet de la vendetta menée par La Mariée (Uma Thurman).

L’occasion de se faire plaisir, pour notre réalisateur jamais avare en règlements de comptes. Les deux épisodes de Kill Bill sont ainsi porteurs d’une violence à la stylisation inédite. Chaque affrontement devient prétexte pour accoucher de scènes trash exubérantes, léchées et jubilatoires. Le tout souvent inspiré des films de sabre japonais. 

Plus cabossée est l’esthétique de la violence dans Boulevard de la mort (2007), car l’oeuvre puise cette fois dans les séries B des 70’s centrés sur des courses-poursuites. Exit les combats au katana. Ici, la chorégraphie macabre adopte la forme de crashs sur bitume.

Gunfights salvateurs

Concernant la filmographie postérieure de Quentin Tarantino, les 8 Salopards (2015) mis de côté, non seulement la violence est parfois comique (par ses excès gores, sa trivialité…), ou sublimée à partir d’intertextualités cinéphiles, mais elle se drape aussi d’une cape justicière, vis-à-vis des iniquités de l’Histoire. Via l’élaboration d’uchronies, c’est-à-dire de narrations imaginaires basées sur des événements réels.

Inglourious Basterds (2009) porte à l’écran rien de moins que l’élimination d’Adolf Hitler et ses hauts dirigeants nazis dans un cinéma parisien. Concernant Django Unchained (2012), la main vengeresse n’est plus du côté d’une escouade de soldats juifs, mais d’un ancien esclave noir (Jamie Foxx). Œuvre décoiffante, ce 9 e long-métrage truffé de clins d’oeil aux westerns spaghettis s’achève par le massacre quasi cartoonesque d’un esclavagiste et ses sbires.

Nouveau rectificatif des tragédies passées avec Once Upon a Time… in Hollywood (2019). Grande déclaration d’amour au cinéma américain des 60’s-70’s, le film s’axe sur la carrière d’un acteur fictif (Leonardo DiCaprio) et de la menace du meurtre – lui, bien réel – de Sharon Tate (Margot Robbie) par la « famille » Manson. Dans la version de Tarantino, le drame n’aura pas lieu. Ce grâce à l’agilité surréaliste d’une doublure sous acide (Brad Pitt).

À grand renfort de batte de base-ball, mitraillettes et autres outils d’assaut plus ou moins saugrenus, les héros de Tarantino donnent un coup de baguette sanguinolent sur les injustices du temps. Sans jamais oublier ni le ton cool des débuts, ni l’approche graphique née à la mi-carrière du réalisateur.

Le prochain et a priori dernier film de Tarantino versera vraisemblablement dans le même registre. Mais ce chant du cygne supposé, dont on sait pour l’heure peu de choses, pourrait aussi surprendre. En introduisant, peut-être, une nouvelle dimension à ce qu’il convient désormais d’appeler la “violence tarantinesque”. On a hâte, forcément.