Il n’est pas normal que des étudiants aient “honte” de demander de l’aide pour manger

Il n’est pas normal que des étudiants aient “honte” de demander de l’aide pour manger

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© Jeff Pachoud/AFP

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Par Robin Panfili

Publié le , modifié le

Depuis plusieurs années, les associations d’aide alimentaire se donnent pour mission de soutenir les étudiants les plus fragiles. Mais depuis quelques mois, la situation empire.

C’est une étude qui fait froid dans le dos.

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Comme chaque année, le syndicat étudiant Unef dresse un bilan annuel de l’aide alimentaire à destination des étudiants. L’étude revient sur les grands enjeux de l’année passée et ceux des mois à venir. Et cette année, les conclusions des derniers travaux du syndicat n’ont rien d’encourageant. Deux chiffres permettent de prendre toute la mesure du problème : un étudiant bénéficiaire sur cinq a déjà envisagé ou envisage d’arrêter ses études en raison de ses difficultés financières, et 77 % des étudiants bénéficiaires d’aide alimentaire interrogés ont un reste à vivre de moins de 100 euros par mois, soit 3,27 euros par jour.

Par chance, certains de ces étudiants peuvent compter sur des associations qui mettent tout en œuvre pour leur venir en soutien, à l’image de Linkee. En Île-de-France, à Toulouse, Lyon, Lille et Bordeaux, l’association distribue des colis alimentaires de 5 à 7 kg constitués de surplus qu’elle collecte auprès des professionnels de l’alimentation, dont des fruits et légumes bio, des produits secs et frais, des plats préparés et même des produits d’hygiène. “La précarité alimentaire des étudiants était souvent présentée comme une situation exceptionnelle relative à la pandémie. Cependant, elle tend à se pérenniser, pire encore, à s’aggraver”, nous confie Julien Meimon, fondateur de l’association.

“La situation est dramatique”

Si l’aide alimentaire a toujours été au cœur de l’activité de Linkee, elle a pris une ampleur considérable, voire inquiétante pour les bénévoles, au cours des derniers mois. “La situation est dramatique. L’inflation a aggravé le quotidien des étudiants précaires et poussé de nouveaux étudiants à demander de l’aide. La fréquentation de nos points de distribution est en constante augmentation avec de nouveaux bénéficiaires qui rejoignent nos files d’attente semaine après semaine.” À tel point qu’en 2023, Linkee a déjà distribué plus d’un million et demi de repas, soit autant que sur toute l’année dernière.

“En Île-de-France, les prix du logement et de l’alimentation alourdissent les dépenses des étudiants et les placent dans des situations délicates dès le 15 du mois. Il y a aussi le manque de suivi à certaines périodes, notamment pendant les vacances, où les étudiants se retrouveraient isolés si des aides telles que Linkee n’étaient pas présentes.”

Et si la situation s’aggrave, c’est parce que les étudiants n’ont plus le choix de compter sur un soutien tiers, mais aussi parce que l’imaginaire collectif et l’idée même d’une aide alimentaire ont été complètement remodelés. “Chacune de nos distributions est un moment d’échange convivial, avec une ambiance chaleureuse et musicale, loin des stéréotypes associés à une aide alimentaire ‘classique'”, dit Julien Meimon. “La plupart de nos bénévoles sont des étudiants dont certains étaient auparavant bénéficiaires de notre aide, ce qui permet de faciliter une approche non stigmatisante. Par ailleurs, nos distributions sont ouvertes à tous les étudiants sans condition de revenu, simplement sur préinscription et présentation d’un justificatif de scolarité.”

Un problème français, mais pas que

Les étudiants français sont-ils davantage dans l’œil du cyclone de la précarité alimentaire ? C’est ce que l’on a souvent l’occasion d’entendre, au fil d’interviews et de témoignages. Or, ce n’est pas véritablement le cas. “Les phénomènes conduisant les étudiants à la précarité, tels que l’inflation, ne sont pas propres à l’Hexagone. L’inquiétude face à une situation qui s’aggrave traverse les frontières et touche tous types d’étudiants incapables de subvenir à leurs besoins”, nuance Julien Meimon.

“Certaines personnes peuvent avoir tendance à penser que les aides publiques font que les étudiants français sont mieux lotis que nos voisins européens. En réalité, on observe que le faible pouvoir d’achat des étudiants français ajouté aux difficultés d’accès au logement rend leur situation particulièrement compliquée, d’autant plus pour ceux qui ne sont pas soutenus financièrement par leur famille.”

Cassandre, 27 ans, est étudiante en master 2 de sociologie à l’université d’Évry, rattachée à Paris-Saclay, vit à Clichy et est l’une des bénéficiaires de Linkee. Une aide qui lui facilite la vie et qui lui permet de vivre ses études de manière plus sereine. “Bien que mes parents m’apportent une aide précieuse pour financer mes études et notamment mon logement, le coût de l’alimentation reste cher et il m’est difficile de manger des produits frais de qualité sans faire appel à Linkee. Parmi les produits distribués, il y a peu de produits transformés ; cela m’aide donc à manger plus sainement et me motive aussi à cuisiner.”

“Je ne suis pas habituée à bénéficier d’aide et je me disais que c’était assez contraignant de me déplacer et faire la queue, mais finalement, il y a des distributions un peu partout et il y a une bonne ambiance lors des distributions.”

Autour d’elle, Cassandre n’est clairement pas la seule à faire appel à une association d’aide alimentaire. “Les étudiants autour de moi sont très en difficulté. Cette année, l’organisation de nos cours ne nous permet pas d’avoir un job étudiant, la charge de travail en dernière année est importante, et je vois des amis qui avaient le temps de travailler avant qui ne l’ont plus et qui se retrouvent dans des situations très compliquées”, nous confie-t-elle. “Si mes parents ne m’aidaient pas pour mon loyer, je ne sais pas comment je pourrais m’en sortir.”

Et si l’accueil est pensé pour mettre les étudiants à l’aise, le sentiment de “honte” n’est jamais bien loin. “Je pense que certains élèves auraient besoin d’aide mais peuvent avoir un sentiment de ‘honte’, car ce n’est déjà pas facile pour tous les étudiants de reconnaître le fait d’être en difficulté, puis d’accepter d’être aidés”, poursuit Cassandre. “Le fait d’aller aux distributions en groupe ou tout simplement de discuter dans la file d’attente avec les autres bénéficiaires rend les choses beaucoup plus acceptables.”

Quid de l’approvisionnement ?

Mais si la demande augmente à mesure que l’inflation frappe, comment Linkee et les autres associations trouvent-elles des denrées pour les étudiants fragilisés ? Ces dernières se tournent vers les invendus de commerçants, supermarchés, traiteurs, professionnels de l’événementiel, tout en privilégiant les circuits courts. “Le gaspillage alimentaire est un enjeu prioritaire en France où 10 millions de tonnes de nourriture sont gaspillées chaque année alors que 10 millions de personnes sont en situation de précarité… Ainsi, nous présentons chaque jour nos solutions aux professionnels pour les aider à ne rien gâcher et faire profiter des personnes en situation de précarité de leurs bons produits.”

“Notre flotte logistique polyvalente, telle que des camions frigos pour respecter la chaîne du froid, nous permet de transporter et distribuer les denrées en flux tendu sans avoir de perte”, ajoute le fondateur de l’association. “Nous sommes capables de sauver tous les surplus, y compris sur les événements de grande envergure.” C’est ainsi qu’ils ont pu récupérer près de 5 tonnes de nourriture sur des festivals comme We Love Green et Rock en Seine.