Dietland, une série cynique qui remet les points sur les i du féminisme et de la grossophobie

Dietland, une série cynique qui remet les points sur les i du féminisme et de la grossophobie

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AMC

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Par Delphine Rivet

Publié le

Cette comédie dramatique, irrésistiblement mordante, révolutionne déjà la représentation des personnes grosses à la télé.

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Avec cette adaptation du roman féministe Dietland, de Sarai Walker, AMC surfe opportunément sur le mouvement #MeToo en imaginant un groupe (dont on suppose qu’il est composé de femmes en colère) qui kidnappe des hommes accusés de harcèlement et d’agressions sexuels, et les balance du haut des ponts. Ce n’est sans doute pas très politiquement correct, mais il y a un certain plaisir sadique à voir, même pour de faux, la peur changer de camp.

On a suffisamment morflé toutes ces années à voir des femmes violées, tuées, battues, objectifiées à la télé, pour mériter un petit break plein de cynisme et d’humour noir ! Comme le dit Plum, notre héroïne qui cite Margaret Atwood, l’autrice de The Handmaid’s Tale :

“Les hommes ont peur que les femmes leur rient au nez. Les femmes ont peur que les hommes les tuent.”

Des femmes en colère

Showrunnée par Marti Noxon, qui a officié sur UnREAL et s’apprête à dévoiler sa prochaine série Sharp Objects (sur HBO), Dietland est une critique au vitriol de l’industrie des régimes, du fat shaming qui va avec, de la presse féminine, et de toutes les normes et injonctions qu’elles font peser sur les femmes, dès leur plus jeune âge. Le conditionnement est tellement ancré et malsain que Plum, notre héroïne merveilleusement jouée par Joy Nash, s’impose des diètes et du sport jusqu’à en perdre le souffle depuis qu’elle est gamine… depuis qu’elle a intégré qu’elle était grosse, et qu’être grosse, c’est être moche. À ce sujet, Sarai Walker a déclaré à Grok Nation :

“Je voulais explorer différents modes de résistance dans le roman. Plum s’engage d’abord dans une résistance sur le plan personnel, elle négocie sa relation avec son corps gros et sa vie, dans une culture misogyne et grossophobe.”

Sur les réseaux sociaux ou IRL, les adeptes du fat shaming harcèlent les gros·se·s qui osent foutre la paix à leur corps, en les accusant de promouvoir l’obésité et de ruiner leur santé. Le paradoxe, c’est qu’en se détestant, Plum se fait bien plus de mal à elle-même que si la société lui lâchait la grappe. Mais trois rencontres et la soudaine épidémie de meurtres vont tout changer. Elle va alors se mettre à rêver, non plus d’avoir un corps plus mince, mais de prendre sa revanche.

Là, vous vous demandez sûrement pourquoi on n’a toujours pas mentionné Julianna Margulies… Vous voilà exaucé·e ! Son personnage, Kitty Montgomery, est la rédactrice en chef du Daisy Chain, un magazine pour adolescentes. Elle est la grande patronne de cette usine à injonctions qu’est la presse féminine. Et Plum lui prête sa plume pour répondre au courrier de lectrices toutes plus désespérées par leur image les unes que les autres. Kitty est une femme qui a réussi. Elle est parfaite et se voit comme un modèle. Elle l’est, dans une certaine mesure, et c’est sans doute ça le plus triste.

À une autre époque que la nôtre, on aurait vu cette papesse des médias comme une ambassadrice du féminisme. Aujourd’hui, on sait bien que sa réussite s’est faite au détriment d’autres femmes, et sur le dos de ses lectrices qui ne reculent devant aucune torture pour être plus minces, plus belles… et toujours plus insatisfaites. Kitty, la femme fatale au cœur de glace, et Plum la rédactrice en surpoids qui préférerait disparaître. Dans ce duo improbable, le ressort comique ne dépend pas de celle que l’on croit. Dietland renverse la vapeur et c’est la vanité de la première qui est ridiculisée par l’esprit vif et l’humour corrosif de la seconde.

À l’issue du pilote, composé de deux épisodes (sur les 10 de cette saison 1), les meurtres du groupe baptisé “Jennifer” sont à peine effleurés. On se doute que la série garde ça bien au chaud pour la suite, et la perspective d’une société secrète féministe qui tyrannise les agresseurs attise assurément notre curiosité. Elle nous offre même sur un plateau un ersatz à peine déguisé du photographe Terry Richardson, accusé d’agressions sexuelles et de viol par plusieurs mannequins et personnalités, et qui va subir le courroux de ces femmes masquées. Mais le vrai coup de génie de Dietland, ce qui la rend immédiatement intéressante, c’est son approche, sans détour, de la grossophobie et des représentations de celles et ceux qui en souffrent.

#RepresentationMatters

Rarement une série aura aussi bien dépeint le quotidien d’une personne grosse. Ce que This Is Us aborde, entre deux cataclysmes familiaux, avec le personnage de Kate, Dietland le brandit en étendard. Avec un humour très noir, un scénario joyeusement bordélique par moments, et quelques trouvailles visuelles – le générique, réalisé en animation, est un sommet de cynisme et de cruauté –, la série s’empare d’un sujet boudé par Hollywood.

En cela, Dietland marque une véritable révolution dans le paysage sériel. Une révolution saluée notamment par Tess Holliday, égérie fashion, mannequin et activiste ayant lancé le compte Instagram @effyourbeautystandards dans un de ses posts :

“[…] J’ai pleuré plusieurs fois en regardant Dietland parce que je sais ce que c’est d’avoir une relation troublée avec la nourriture. Je sais ce que c’est d’avoir une partie de mon placard réservée aux vêtements pour ‘quand j’aurai perdu du poids’. Je sais ce que c’est de mettre ma vie entre parenthèses dans l’espoir que tout sera merveilleux quand mon corps sera plus en accord avec ce que la société considère comme ‘beau’. […] Les corps marginalisés sont moqués depuis la nuit des temps, mais plus maintenant. Je suis enthousiasmée par cette série qui s’attaque à des sujets que tant de gens ont peur d’aborder, en particulier le mouvement #MeToo. Les bases ont été posées depuis des décennies et maintenant, la révolution est là.”

Dans les fictions, les personnes grosses sont souvent responsables du ressort comique, ou héritent de qualités maternelles, nourricières. La seule série qui nous vient à l’esprit à avoir évoqué frontalement les questions d’image de soi en mettant en scène une jeune fille en surpoids, et les problèmes de santé mentale, c’est l’anglaise My Mad Fat Diary.

Hollywood ne représente pas les gens gros, et leur donne encore moins des premiers rôles. Ou alors on nous fait croire qu’ils le sont, soit en demandant à son interprète de passer du 36 au 40, soit en lui faisant enfiler un “fat suit” du type de ceux qu’a porté Courtney Cox dans Friends, ou les films bien honteux Big Mama, avec Martin Lawrence.

Si une bonne partie des spectateur·rices d’aujourd’hui reconnaissent que la diversité à l’écran doit être encouragée, elle exclut en fait les gros·se·s sans même s’en rendre compte. On pense couleur de peau, LGBTQ+, éventuellement des morphologies qui s’éloignent des standards, mais les personnes obèses comme Plum restent désespérément invisibles. Ce que la série montre d’ailleurs très bien, c’est qu’à force de ne pas se reconnaître dans les magazines ou à la télé, en plus du conditionnement malsain qu’elle a subi, Plum refuse de se voir. Son propre reflet dans un miroir lui fait détourner les yeux.

Avant de changer notre regard sur les personnes grosses, il faudrait déjà les regarder tout court. Même le mot “gros·se”, ou “fat” en anglais, est perçu comme une insulte, tandis que “grand·e” ou “petit·e” sont eux des qualificatifs neutres. “Mince” est généralement considéré comme un compliment. Cette caractéristique physique stigmatisée par nos sociétés modernes, les personnes concernées tentent de se la réapproprier. L’une des rencontres fondatrices pour Plum dans sa quête, c’est celle de cette femme qui fait une entrée tonitruante en pleine réunion Waist Watchers.

“I am a unicorn. I am a goddess. And I get more hot dick than I can handle.” (Je suis une licorne. Je suis une déesse. Je récolte plus de bites que je ne peux l’encaisser”).

S’il existe un female gaze, Dietland prouve l’existence d’un “fat gaze”. Un regard porté sur une femme grosse, initialement écrit par une femme grosse (Sarai Walker) et qui, s’il s’adresse évidemment à un public assez vaste mais sympathisant de la cause féministe et du body positivism, résonnera tout particulièrement chez les femmes grosses auxquelles on propose enfin une héroïne qui leur ressemble et partage des expériences communes. L’intersectionnalité commence aussi ici.

La première saison de Dietland est diffusée sur Amazon Prime Video, à raison d’un épisode par semaine.