Le combat d’une ado contre la grossophobie documenté avec émotion par Abbie Trayler-Smith

Le combat d’une ado contre la grossophobie documenté avec émotion par Abbie Trayler-Smith

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© Abbie Trayler-Smith

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Par Lise Lanot

Publié le

Un projet fort et intime qui dresse sur 12 ans le portrait d’une jeune "derrière les statistiques sur l’obésité".

À 11 ans, comme pas mal d’enfants de son âge, Abbie Trayler-Smith était amoureuse. L’objet de ses pensées s’appelait Mark, il avait son âge. Lors de leurs adieux à l’école primaire pour le collège, la petite fille fit signer à ses camarades et sa famille un petit carnet, afin de recueillir souvenirs, encouragements et tendres pensées. Mark avait pris une page entière pour écrire ses quelques mots à Abbie : “J’espère que tu vas perdre du poids !!”

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Même son de cloche de la part d’autres camarades et de membres de sa famille. Depuis son enfance, la photographe a vécu à travers le regard critique de ses parents, de ses ami·e·s, de toutes les personnes qui croisaient sa route et voyaient son IMC – son “corps imparfait” selon ses propres termes – avant toute autre chose, “avant le fait que j’étais drôle, maline et chaleureuse”. Alourdie par les remarques et jugements, cette étiquette est devenue sa “personnalité”, déplore-t-elle.

Shannon, 15 ans, vérifie son apport calorique chez elle, à Sheffield. (© Abbie Trayler-Smith)

La catharsis est arrivée une vingtaine d’années plus tard, lorsque la photographe a fait la rencontre de Shannon. La jeune fille de 14 ans était venue prononcer un discours sous forme de poème face à des expert·e·s sanitaires, à l’occasion d’une conférence sur “les services de santé et les adolescents”. Face à cette “force de la nature”, cette “ado courageuse” qu’elle n’avait “jamais su être”, Abbie Trayler-Smith s’est retrouvée bouche bée.

Les 12 années suivantes, la photographe a documenté le passage à l’âge adulte de la jeune fille. “Je l’ai vu avec son premier copain, j’ai rencontré ses copines et j’écoutais ses récits d’embrouilles familiales.” Du premier travail au premier appartement en passant par les premières vacances, les opérations, les pleurs, les heurts et les petits bonheurs, Abbie Trayler-Smith a tout immortalisé, avec tendresse et justesse.

Shannon, 22 ans, dans son premier appartement. (© Abbie Trayler-Smith)

Un récit intime d’utilité publique

Ce projet photographique n’était pas seulement destiné à sa modèle ou au public : il a particulièrement aidé l’artiste elle-même, qui a fait la paix avec son image à travers l’existence de Shannon. Dans le cadre de ce travail, Abbie Trayler-Smith a notamment “ressorti ses carnets d’ado”. Son ouvrage Kiss it! présente ainsi les carnets où la photographe, encore enfant, comptait ses calories ou dressait la liste des raisons de mincir – des raisons derrière lesquelles se cache l’influence des médias et de ce à quoi sont supposées ressembler “les femmes”.

Son livre Kiss it!qui rassemble ce projet de longue durée, partage émotions particulières et données universelles afin d’alléger le fardeau de la grossophobie, qui pèse sur nombre de personnes puisque la postface du livre rappelle qu’“une personne sur quatre souffre d’obésité en Angleterre [et qu’]il y a 30 ans, il s’agissait d’une personne sur sept.” Plusieurs facteurs (des vies de plus en plus sédentaires, des aliments de plus en plus sucrés, des “régimes” commencés de plus en plus tôt) expliquent cette évolution, ainsi que des prédispositions génétiques qui viennent mettre à bas les critiques et opinions inconsistantes du genre : “T’as qu’à moins manger et bouger plus”, note l’autrice Sally Williams dans l’ouvrage.

Shannon, 16 ans, se remet à l’hôpital. (© Abbie Trayler-Smith)

Problématique de santé publique (l’obésité est responsable de plus d’un million de décès chaque année à l’échelle mondiale), le surpoids est également lié à des enjeux économiques et politiques. “Il est bien connu que l’obésité est liée à des facteurs […] tels que le sous-emploi et la pauvreté. Ce sont souvent des circonstances de vie qui font qu’il est difficile pour certaines familles de manger sainement. Les foyers les plus pauvres du Royaume-Uni devraient dépenser plus de la moitié de leurs revenus juste pour manger sainement”, retrace l’autrice. Mêlant archives et photographies documentaires, l’ouvrage d’Abbie Trayler-Smith projette une lumière intime et nécessaire sur le surpoids, ce qui y mène et ce qu’il engendre.

© Abbie Trayler-Smith

Shannon, 22 ans, pendant des vacances à Costa del Sol en Espagne. (© Abbie Trayler-Smith)

Shannon, 19 ans, lors de sa fête d’anniversaire. (© Abbie Trayler-Smith)

Shannon, 16 ans, avec les mots “Embrasse ça” tatoués. (© Abbie Trayler-Smith)

Shannon, 16 ans, pose dans sa chambre pour une photo “Avant”, la veille de son opération à l’hôpital pour enfants de Sheffield dans le cadre d’un essai thérapeutique pour un ballon gastrique. (© Abbie Trayler-Smith)

Shannon, 16 ans, arrive à son bal de promo à son école de Sheffield. (© Abbie Trayler-Smith)

Shannon, 14 ans, sur la route de l’école. (© Abbie Trayler-Smith)

Raisons de perdre du poids, partie 1. (© Abbie Trayler-Smith)

Raisons de perdre du poids, partie 2. (© Abbie Trayler-Smith)

Le livre d’Abbie Trayler-Smith Kiss it! est publié aux éditions Gost.