Comment se préparer pour partir couvrir un conflit ?
À voir aussi sur Konbini
À l’occasion du Prix Bayeux-Calvados, consacré au journalisme de guerre, nous avons pu découvrir les travaux de ceux qui risquent leur vie pour nous informer. Des reportages forts, poignants et nécessaires qui témoignent de nombreux conflits. Mais comment se former pour aller sur le terrain ? Comment se préparer à ces situations dangereuses, éprouvantes aussi bien physiquement que psychologiquement ?
Chaque année, Nikon organise un workshop destiné aux jeunes talents du photoreportage. Cette année, la marque s’est associée au Manoir, un centre de formation dédié aux reportages en zones dangereuses créé en 2017 par France Médias Monde. Une formation aujourd’hui rattachée à l’INA et soutenue par Reporters sans frontières, devenue une référence dans le domaine. Plus aucune chaîne télévisée ni aucun grand média n’envoient aujourd’hui l’un de ses journalistes en zones dangereuses sans que ce dernier n’ait suivi cette formation.
Comment réduire les risques ? Comment mieux organiser ses déplacements ? Quel hébergement offre la meilleure sécurité ? Quel comportement adopter en cas d’enlèvement, d’arrestation arbitraire ? Quels sont les gestes qui sauvent ? Comment éviter de se mettre en danger ? Quels sont les bons réflexes à adopter ? Comment protéger ses données pour ne pas perdre son reportage ? De la logistique en zone de guerre en passant par l’orientation à la boussole jusqu’à la pose d’un garrot, les reporters apprennent des gestes qui pourront leur sauver la vie une fois sur place.
Durant un après-midi, nous avons eu l’occasion de suivre l’une de ces formations aux côtés de reporters de guerre. S’ils avaient déjà suivi les cours théoriques, ces derniers entamaient cette fois la partie pratique. Sur un terrain de tir aux alentours de Bayeux, deux reporters devaient se sortir de la situation suivante :
“Vous êtes avec votre binôme photojournaliste, elle est partie à une centaine de mètres devant vous pour faire des photos. Vous lui aviez conseillé de ne pas y aller mais elle est partie quand même et il y a eu une grosse explosion. Là, elle est en train de vous appeler pour vous dire : ‘Je suis blessée, venez m’aider’. D’un coup, il n’y a plus de tirs, vous considérez qu’une extraction est faisable, vous avez bien étudié le ratio risque/bénéfice. Votre mission est d’aller extraire votre consœur.”
L’une des journalistes participantes à la formation était étendue sur le sol, pleine de faux sang. Des patchs en silicone (très réalistes) simulaient des blessures. Les journalistes ont dû tout d’abord extraire le corps et le mettre en sécurité. Pendant cet exercice, les formateurs tiraient à balles réelles aux alentours de la scène car les élèves doivent apprendre à connaître le bruit des balles – tirer des balles à blanc ne serait pas aussi formateur.
Une fois la victime mise en sécurité, les reporters devaient apprendre à évaluer les blessures, les prioriser et apporter les premiers soins. Ils devaient donc poser des pansements, faire en sorte d’arrêter les hémorragies. Si les soins n’étaient pas correctement faits, le formateur faisait couler d’importantes quantités de sang sur la blessure pour que l’exercice soit encore plus réaliste. Une fois les soins vitaux administrés, les deux journalistes devaient appeler les secours en étant clairs et précis. Ils devaient aussi être capables de communiquer entre eux, et ce malgré la panique. De l’extérieur, on les entendait échanger : “Je mets de l’eau sur les viscères, il ne faut pas que ça sèche !”
Une fois la mise en scène terminée, le formateur débriefe avec eux et leur indique les erreurs qu’ils ont pu commettre, en insistant sur le fait que certains petits gestes d’inattention pourraient coûter la vie d’un de leurs coéquipiers. Fermes mais justes, les formateurs n’hésitent pas à faire refaire plusieurs fois le même exercice à certains élèves : “Si tu poses mal ce garrot, les toxines peuvent remonter au cœur et ton confrère meurt. Tu vas me le refaire encore une fois, si tu le rates, je ne te donne pas la certification et tu ne pars pas en reportage.”
La formation additionne les expériences de plusieurs centaines de journalistes, et dispense des solutions éprouvées. Camille Courcy, cadreuse indépendante, partira bientôt au Yémen pour un documentaire, elle raconte :
“J’ai appris énormément de choses très différentes comme savoir compter mes pas pour me repérer dans la nature, savoir crypter mes données pour qu’on ne me vole pas mes fichiers mais aussi faire les gestes de premier secours. Là-bas, tout pourra me servir !”
À chaque session, la formation encadre 12 journalistes sur une durée 6 jours. Elle coûte 3 200 euros. Si, la plupart du temps, elle est payée par les médias qui envoient les journalistes, elle s’avère très coûteuse pour les indépendants – malgré la possible participation d’organismes comme l’Afdas. Toutefois, cet investissement s’avère rentable, voire vital, une fois sur le terrain puisqu’elle permet aux reporters d’adopter les bons gestes. Une formation passionnante à observer, qui nous montre à quel point ces journalistes doivent faire face à d’innombrables difficultés pour nous informer.
Pour plus d’informations, vous pouvez vous rendre sur le site de France Médias Monde.