Inoxtag peut-il vraiment vaincre l’Everest ? On a discuté avec Nadir Dendoune, celui qui l’a déjà gravi sans formation en alpinisme

Inoxtag peut-il vraiment vaincre l’Everest ? On a discuté avec Nadir Dendoune, celui qui l’a déjà gravi sans formation en alpinisme

Image :

Montage Capture d’écran Youtube

photo de profil

Par Benjamin Mangot

Publié le

"Ce n’est pas une course, mais une longue et éprouvante montée."

À voir aussi sur Konbini

Alors que le youtubeur Inoxtag vient d’annoncer son projet “Grimper l’Everest en 2024”, une partie des internautes est restée bouche bée devant ce défi qui semble presque irréalisable. À Konbini, ça nous a directement fait penser à l’histoire de Nadir Dendoune qui a gravi, en 2008, l’Everest sans aucune formation en alpinisme. Une histoire qu’il a racontée dans son livre Un tocard sur le toit du monde et qui a été adaptée au cinéma par le film L’Ascension avec Ahmed Sylla. Aventurier aux multiples casquettes (journaliste au Courrier de l’Atlas, réalisateur de films documentaires, écrivain et scénariste), Nadir Dendoune a accepté de répondre à nos questions pour mieux appréhender ce projet XXL d’Inoxtag.

Konbini | “Un an d’entraînement pour gravir le Toit du monde”, c’est un projet réaliste et réalisable ?

Nadir Dendoune | J’ai lu que ce jeune homme, que je ne connaissais pas auparavant, veut gravir dix sommets avant de se lancer dans l’aventure himalayenne et qu’il aura toute une équipe à sa disposition. Avec de telles conditions, oui, pour moi le projet est réalisable.

Quelles sont les plus grandes difficultés qu’il risque de rencontrer durant son ascension ?

Déjà, il faut savoir si physiologiquement, son corps supporte l’altitude. Certains, même de très grands sportifs, sont malades à 3 000 m. Les sommets qu’il compte gravir cette année devraient lui donner une bonne indication.

Les journées, surtout à partir du camp de base, sont très éprouvantes. Il faut supporter marcher de longues heures, enchaîner les étapes, gérer le manque de sommeil, le stress. Après le camp de base, chaque pas est difficile. À partir de 8 000 m, c’est l’enfer : un pas, cinq souffles. On n’avance quasiment plus. Et l’expédition dure environ sept semaines. Il faut savoir s’occuper…

Ses followers se rendent-ils compte de la dangerosité de cette aventure ?

Je pense qu’il doit avoir de tout chez ses followers, des gens conscients de la réalité et d’autres qui pensent qu’il s’agit d’un jeu. À lui de bien les informer.

Gravir l’Everest, ça ne se fait pas en un jour, peux-tu expliquer le périple entre l’arrivée à l’aéroport de Katmandou et le plus haut sommet du monde ?

Il lui faudra six, sept semaines, voire huit, pour atteindre le sommet de l’Everest. De Katmandou, capitale du Népal, il devra prendre un petit avion qui l’emmènera à Lukla, petit village perché à 2 800 m. C’est de là que partent les treks vers le camp de base de l’Everest à 5 300 m d’altitude. Tout dépend de l’allure, mais en général, il faut en moyenne huit jours pour atteindre le camp de base, un peu plus si on marche doucement.

Une fois sur place, il devra s’acclimater encore quelques jours avant de pouvoir grimper jusqu’au camp 1 à 6 000 m, et traverser la fameuse et dangereuse cascade de glace, puis redescendre au camp de base. Puis, les jours suivants, il ira jusqu’au camp 2 à 6 400 m avant de redescendre une nouvelle fois au camp de base.

“C’est le même procédé que la plongée sous marine : on fonctionne par paliers.”

On tente ensuite d’aller au camp 3. Une fois là-haut, on redescend de nouveau au camp de base. Cela peut paraître frustrant parce que le sommet n’est “qu’à 1 500 m” de ce camp, mais il faut respecter les règles d’acclimatation et redescendre au camp de base.

C’est le même procédé que la plongée sous marine : on fonctionne par paliers. Pour l’ascension de l’Everest, on monte, on redescend, on monte plus haut, on redescend, le temps que le corps s’acclimate au manque d’oxygène. Plus on prend de l’altitude, plus l’air se raréfie.

Quelques jours plus tard, si la météo le permet, on tente alors l’ascension finale qui se fait généralement en 3, 4 jours. Le premier jour, on monte jusqu’au camp 2, le jour d’après, au camp 3, le jour suivant au camp 4. Et dans la nuit, on tente le Toit du monde, 8 848 m. Les sommets se tentent toujours la nuit pour pouvoir redescendre en journée parce que la descente est plus technique que la montée et qu’il est préférable de voir où on met les pieds.

Aujourd’hui, certaines agences promettent 100 % de réussite aux clients qui peuvent mettre le prix. L’expérience que va vivre Inoxtag est-elle comparable à celle que tu as vécue il y a 15 ans ?

Toutes les époques sont différentes. En 2008, j’avais mis toutes mes économies, je m’étais même un peu endetté, pour cette ascension et les sponsors s’étaient foutus de moi quand je leur avais annoncé que je voulais gravir l’Everest. Sur les pentes enneigées de l’Himalaya, j’ai souvent pensé à leur mépris et j’ai presque envie de leur dire merci. Ils m’ont aidé à ne pas lâcher quand c’était difficile.

“C’est dingue comme, même à ces hauteurs, le fric t’avantage.”

Déjà à mon époque, certains alpinistes avaient beaucoup d’argent. Ils pouvaient alors se payer des porteurs et ce dès le village de Lukla. Je dois rappeler que les vrais héros de l’Everest, ce sont les sherpas. Sans leur aide, l’immense majorité des alpinistes occidentaux, moi compris, n’atteindraient pas le Toit du monde. Certains alpinistes que j’ai croisés en 2008 avaient même à disposition des bouteilles d’oxygène qu’ils utilisaient parfois à 6 000 m !

Ils avaient également un accès Internet illimité et un téléphone satellite pour appeler tous les jours leurs familles. Les sept longues semaines d’expédition ont été ainsi pour eux un peu plus facile à “digérer” que pour quelqu’un comme moi qui avais un tout petit budget. Je n’avais rien de tout ça. J’avais juste un bouquin, une histoire d’amour toute pétée que j’ai dû lire 10 fois ! C’est dingue comme, même à ces hauteurs, le fric t’avantage.

Quels conseils pourrais-tu lui donner pour qu’il atteigne son objectif ?

De marcher lentement, ce n’est pas une course, mais une longue et éprouvante montée, un chemin de croix. Je lui dirais aussi de bien s’hydrater, boire beaucoup d’eau, du thé, il m’arrivait d’avaler jusqu’à 9 litres d’eau par jour. Il faut aussi bien s’alimenter. En haut, on manque souvent d’appétit alors qu’on dépense beaucoup plus d’énergie qu’en plaine. Et puis, il devra faire preuve de patience. C’est long, sept semaines !

Il faudra du courage, qu’il pense aux gens qu’il aime quand l’ascension va devenir difficile. S’accrocher, serrer les dents, parce que quand tu arrives au sommet de l’Everest, le décor est stratosphérique. Je me souviendrai jusqu’à mon dernier souffle de ce 25 mai 2008 quand j’ai atteint le Toit du Monde.

Nadir Dendoune a réalisé, en 2021, le film documentaire Petits Pas. Vous pouvez suivre son actualité sur Instagram.