L’artiste Fabian Oefner explore les limites de la photographie et ses possibilités à travers des œuvres à la croisée des genres.
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On avait déjà parlé de Fabian Oefner il y a quelques mois pour présenter son travail mêlant peinture et photographie. Il semblerait que l’artiste suisse reste passionné par ces deux arts puisqu’il vient de sortir une nouvelle série intitulée Photographic Paintings, qui se situe une nouvelle fois à la croisée des genres. Ses créations picturales vivent entre autres à travers les photographies qu’il prend.
Il y a ici une fine frontière entre ces deux genres car Fabian aime créer un objet pour ensuite le capturer, le figer. Et ce n’est que la photo finale de cette création qui sera exposée telle une œuvre d’art. Non pas la sculpture ou la peinture initiale. Dans son travail, cet artiste multimedia explore en profondeur les possibilités et les limites de la photographie.
Cuisine et chimie
Quand on regarde de loin ses œuvres accrochées sur les murs de son studio, on pourrait croire qu’il s’agit de peintures abstraites inspirées des rectangles de Mark Rothko ou des œuvres colorées de Clyfford Still. Il y a de splendides dégradés qu’on pourrait penser holographiques, des couleurs vives et de la texture. Les couleurs ont l’air d’avoir été appliquées sans effort, avec des coups de pinceaux subtils. Puis, quand on s’approche de l’œuvre, on réalise qu’il s’agit en fait d’une œuvre 2D, ou plus simplement d’une photographie. L’illusion est totale.
Pour faire converger les deux media, la photographie et la peinture, Fabian Oefner doit réaliser un travail chimique et plastique en deux temps. La première, c’est la création de la peinture/sculpture. Pour avoir ce résultat de couleurs et de textures, Oefner utilise du bismuth (une sorte de plomb). Il réchauffe plusieurs grammes de bismuth dans une casserole. À l’aide d’une spatule, il prélève la surface liquide du bismuth chauffé.
Ce matériau, une fois exposé à la lumière, change totalement d’aspect : des reflets et des dégradés de différentes couleurs apparaissent sur sa surface. Ces couleurs sont générées de manière aléatoire et dépendent de la température du plomb. Dans ce processus basé essentiellement sur la chance, Fabian n’a pas à réfléchir ou à définir les couleurs qu’il souhaite voir apparaître. Il laisse la nature, ou plutôt la chimie, décider de tout cela pour lui. C’est une approche très courante dans la pratique de la peinture abstraite.
Une œuvre qui passe par différentes dimensions
La seconde partie du processus concerne uniquement la photographie. Dès que la couche du bismuth est exposée à la lumière, elle change constamment de couleur, à chaque seconde. La photographie est là pour capturer les différentes étapes et les multiples changements. En capturant ces évolutions, il enregistre les différentes possibilités que lui offre le matériau et par conséquent l’œuvre. La seule étape qu’il contrôle vraiment, c’est quand il décide de prendre la première couche de bismuth liquide.
Pour finir, il retouche légèrement les images, en corrigeant seulement la poussière et les défauts de l’image. L’œuvre passe par différentes dimensions. Elle est d’abord palpable, 4D, réelle, puis elle passe par l’état numérique une fois qu’elle est prise en photo, et elle finit par être imprimée en 2D, avec un retour tangible dans le réel. De la peinture et de la chimie est née une œuvre photographique pour le moins conceptuelle. Comme à travers tous ses travaux, Oefner a voulu explorer la beauté éphémère et la poésie des effets du temps sur la nature, en révélant l’invisible, tout simplement.