Dépistage obligatoire du cannabis dans les lycées, l’idée fumeuse de Valérie Pécresse

Dépistage obligatoire du cannabis dans les lycées, l’idée fumeuse de Valérie Pécresse

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Par Théo Chapuis

Publié le

Valérie Pécresse a réussi à soumettre tous les lycéens d’Île-de-France au dépistage de cannabis. On vous explique pourquoi, sous un vernis bienveillant, cette idée n’est pas bonne.

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Élue présidente de la région Île-de-France depuis un mois à peine, Valérie Pécresse déborde d’idées. Elle les défend dans une tournée des radios (RTL, France Info…) qu’elle mène tambour battant depuis le début de la semaine, prenant la parole sur des sujets aussi divers – et pour certains, hors des compétences allouées par son mandat – que la sécurité, la déchéance de nationalité ou le prix unique du pass Navigo.

Or une petite ritournelle revient sans cesse dans la bouche de l’ex-ministre du parti Les Républicains (LR) : comme elle l’avait annoncé pendant sa campagne, elle a mis sur pied des tests salivaires de dépistage de consommation de cannabis dans les lycées de la région, avec avis positif direct pour ceux qui refuseraient de s’y soumettre, pour lutter contre le décrochage scolaire.

“Il y a un lien entre addiction et décrochage scolaire”, justifiait-elle sans citer d’étude. Et pour cause, il n’y en a aucune menée par l’Education nationale. France Info explique que pour toute donnée fiable, il faut se tourner vers deux études étrangères. L’une, australienne, affirme sans surprise que les fumeurs quotidiens ont davantage de risques de rater leur diplôme que les élèves abstinents.

Or, l’autre étude, britannique, affirme que les fumeurs occasionnels ne sont pas plus en situation d’échec scolaire que les autres. D’autant plus qu’un rapport de l’Inpes de 2008 note que des problèmes de fond comme la perte de confiance en soi, les problèmes personnels, la difficulté à gérer la pression conduisent davantage au décrochage scolaire que la consommation de cannabis – elle-même conséquence de ces soucis. Bref, Valérie Pécresse sait-elle vraiment de quoi elle parle ?

Au-delà de la question de la légalité de cette démarche, des défis pratiques qu’elle soulève et de la relative bienveillance que celle-ci pourrait inspirer tout d’abord, cette idée est saugrenue pour bien des raisons. Voilà pourquoi.

Un élève qui se drogue, on l’a déjà repéré

Ne soyez pas dupe. Si vous êtes lycéen et que vous fumez du cannabis régulièrement, il y a de fortes chances que le corps enseignant s’en doute déjà. Pour cause d’absentéisme, de flagrant délit, d’yeux rouges, de fatigue chronique, de retards incessant ou d’odeurs parfois un peu trop tenaces, vous êtes déjà grillé sans même avoir eu besoin de passer le moindre test.

Jean-Pierre Couteron, président de Fédération addiction, cité par Libération, est bien de cet avis : “Vous pensez bien qu’on n’a pas besoin de ces tests pour savoir s’il y a un problème de drogue ou pas.” Pour lui, le dispositif voulu par Pécresse viendrait simplement “confirmer ce que vous saviez déjà” chez les lycéens qui en consomment. Mais que faire de ceux “qui ne posent pas de problème et qui présentent un test positif” ? Valérie Pécresse ne le dit pas.

Le dépistage ne dit pas si vous avez fumé hier ou il y a 5 minutes

Certes, la France observe une recrudescence de conso du spliff ces dernières années. Près d’un ado sur deux a déjà expérimenté le cannabis, un jeune de 17 ans sur quatre en a fumé au courant du mois et un sur dix déclare en fumer “régulièrement”. Certes, l’attrait des jeunes pour cette substance a de quoi inquiéter. Contrôler les élèves pour savoir s’ils ont un comportement à risques vis-à-vis d’une drogue, peut-être. Mais mettre au ban un élève qui a tiré deux lattes sur un joint la veille au soir avec des amis, est-ce vraiment nécessaire ?

Eh oui, le test salivaire pose un problème d’efficacité à cause de la durée sur laquelle il agit : une douzaine d’heures maximum. Dans l’éventualité où les tests arrivent par surprise ou de manière ponctuelle, il suffirait qu’un élève n’ait pas fumé son dernier pèt’ trop tard la veille pour passer entre les mailles du filet au petit matin.

Seule une prise de sang permettrait de remonter sur de longs mois en arrière pour vérifier si l’élève a consommé du cannabis. Or Valérie Pécresse n’a sans doute pas l’intention d’enfoncer une aiguille dans le bras de chacun des lycéens franciliens au nom de la guerre à la drogue. Avec le seul moyen de détection salivaire, devraient uniquement être repérés les jeunes qui arrivent défoncés en classe – et qui sont donc déjà identifiables, nous l’avons dit plus haut.

Ni les médecins, ni les profs ne sont des flics

Valérie Pécresse revendique le soutien de SOS Drogues Info Service et affirme que la structure est capable d’assumer la logistique de ces tests. Comme l’expliquent les Décodeurs du Monde, il n’en est rien : SOS Drogues Info Service fournit des informations et une écoute téléphonique neutre et anonyme, point à la ligne. Pécresse ne veut-elle pas un peu mélanger les emplois de tout le monde ?

Menée en 2000, une étude menée par le Conseil de l’Europe planchait justement sur la question du dépistage systématique en milieu scolaire. Ses conclusions rappellent que les métiers d’enseignant, d’infirmier, de prof ou de policier ne sont pas interchangeables :

“L’enseignant est chargé d’une mission pédagogique, censée apporter connaissances et aide dans le processus de maturation de l’enfant. Il n’est pas censé exercer une fonction policière.”

De plus, toujours d’après ce groupe de recherche, “le principe de précaution” ne peut à lui seul justifier “une atteinte à l’intégrité de l’élève”, facteur possible “du risque de stigmatisation et d’exclusion”. Tout l’inverse, donc, d’une relation basée sur la confiance entre maître et élève ou patient et docteur.

Dépister, oui, mais après ?

Autre souci : à part avertir les parents des mineurs, la mesure de Valérie Pécresse ne propose aucune action (ni solution) dans le temps suivant, celui du soin et de la prévention. Si la présidente de la région a le mérite d’aborder la question de l’addiction chez les jeunes scolarisés, elle privilégie une vision à court terme qui n’aidera sans doute pas les jeunes consommateurs.

Amine Benyamina, président de la Fédération française d’addictologie, constate sur le site santé Pourquoi Docteur ? que l’élue LR veut avant tout séduire une partie de l’électorat :

“Cette mesure n’a pas vocation à régler les problèmes d’addiction – par ailleurs réels – chez les jeunes, mais uniquement à rassurer les parents et les encadrants. Quelle aide propose-t-on ? Les dépistages n’ont aucun effet sur la prévalence de la consommation. Par contre, ils risquent de placer les adultes sur un mode inquisiteur, peu propice au dialogue avec les jeunes.”

Jean-Pierre Couteron, président de Fédération addiction, explique dans la même publication que si le personnel soignant est formé à repérer les addictions, c’est pour préparer l’étape suivante “puisque le repérage en soit ne sert à rien s’il n’est pas suivi d’une démarche de soins ou de réflexion, selon les circonstances. Si la région a de l’argent, mieux vaudrait qu’elle finance ce genre de dispositifs”. À bon entendeur.