Des centaines de milliers de Vénézuéliens survivent en entraînant des IA

Des centaines de milliers de Vénézuéliens survivent en entraînant des IA

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sara bentot

La demande vient principalement des constructeurs de voitures autonomes.

La prochaine fois que vous verrez une vidéo ou un article sur les véhicules autonomes et leur avenir radieux, ayez en tête l’envers du décor : des centaines de milliers de Vénézuéliens, fragilisés après le déclin de leur économie, identifiant des arbres et des poteaux sur des images pour que des véhicules autonomes apprennent, par la suite, à les distinguer.

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Relayée par le MIT Technology Review, cette information provient initialement des travaux de Florian A. Schmidt, expert du “crowdworking” (phénomène que nous avions déjà évoqué ici, sous le nom de “digital labor”) et professeur à l’université de Dresde. 

Dans sa publication introduisant ce nouveau marché du travail, il explique pourquoi la population vénézuélienne semble toute indiquée pour cela :

“Vous avez ce groupe appartenant autrefois à la classe moyenne, bien éduquée, bien connectée, mais qui a sombré d’un coup dans la pauvreté.”

Trois quarts des effectifs

Désespérés du chômage, les Vénézuéliens ont vu leur destin s’entrecroiser avec celui de plateformes de crowdworking telles que Mighty AI, Playment, Hive ou Scale. Celles-ci fournissent à l’industrie des véhicules autonomes les données dont elle a besoin pour “éduquer” les algorithmes de ses véhicules.

L’année dernière déjà, des centaines de milliers d’habitants se sont inscrits pour travailler pour ces entreprises, représentant parfois jusqu’à 75 % des salariés de ces plateformes. Et, aujourd’hui, encore, 75 % des requêtes Google “Mighty AI” proviennent d’un site de recherche d’emploi vénézuélien. 

Le salaire des travailleurs n’y est pas supérieur à celui d’une plateforme comme Amazon Mechanical Turk (nous en avions parlé ici), mais il a l’avantage d’être stable, chose inestimable dans un pays où l’hyperinflation a atteint récemment 10 millions de pour cent !

Spécialistes du catalogage

Les géants de la tech utilisent ces plateformes de crowdworking pour cataloguer d’énormes quantités de données. Pour se faire une idée de la nature de la tâche, elle ressemble au défi que nous lancent les CAPTCHAS que nous rencontrons régulièrement sur Internet (nous vous en parlions ici).

Un besoin de données fiables s’est fait sentir au fur et à mesure que la compétition pour développer des voitures autonomes a pris de l’ampleur. Pour que le véhicule puisse naviguer et “voir” efficacement, pas le droit à l’erreur dans la compréhension des données.

Certaines tâches ont une plus grande marge d’erreur, à l’instar d’un algorithme qui donnerait des résultats de recherche par exemple. Comme l’explique Schmidt : “Si vous allez sur un moteur de recherche et que 3 résultats sur 10 n’ont rien à voir, ce n’est pas si grave. Mais quand il est question d’un véhicule, 30 % d’erreurs est intolérable.”

Le travail en lui-même est aussi bien plus demandeur : les caméras embarquées de la voiture enregistrent énormément d’informations visuelles, et les travailleurs de l’ombre doivent désigner chaque objet sur la photo ou la vidéo.

Les plateformes comme Mighty AI gèrent tout le processus : trouver, entraîner et diriger les travailleurs pour que les constructeurs n’aient jamais de contact avec eux. Cette barrière entre constructeur et travailleur est tellement vraie que la plateforme change de nom selon son interlocuteur, Mighty AI pour les fabricants, Spare5 pour les travailleurs. 

Selon Schmidt, qui s’est entretenu avec certains de ces travailleurs du clic (comme on les appelle parfois), cette situation relève, selon eux, de l’exploitation, mais ils ne peuvent se résoudre à abandonner un salaire fixe. Les plateformes le savent bien, et, bien que formés et gérés par elles, les travailleurs ne sont pas salariés mais freelances.

Ne pas reconnaître à ces travailleurs le statut d’employé permet d’économiser sur les assurances, pensions et protections qui leur seraient dues. Phénomène désormais bien connu sous le nom d'”uberisation”.