Comment faire une bonne BO de jeu, par l’homme derrière la musique d’Ori

Comment faire une bonne BO de jeu, par l’homme derrière la musique d’Ori

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Par Pierre Bazin

Publié le

On a discuté avec Gareth Coker, le prodige derrière l'une des plus belles BO de l'industrie vidéoludique.

Il n’y a pas plus bateau que de dire combien la musique est indispensable à un jeu vidéo. Cela demeure néanmoins une vérité bien trop sous-estimée. Qu’importe la qualité finale, l’expérience d’un Breath of the Wild, d’un Doom ou d’un Mario n’est pas du tout la même avec et sans musique.

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Aussi, rares sont les jeux à avoir une bande originale si marquante et si parfaite qu’elle sublime un titre déjà excellent, et demeure un délice à écouter seule. À l’occasion de la sortie de sa suite, Ori and the Will of the Wisps, nous avons pu discuter avec Gareth Coker, le prodige derrière les notes qui illustrent depuis toujours les aventures de notre petite créature de lumière.

L’occasion d’en apprendre plus sur la manière dont il travaille, sur ses inspirations, sur les raisons qui font de ses BO de telles pépites et de mieux comprendre comment pondre une vraie BO réussie.

Konbini Techno | Quel est votre premier gros souvenir de jeu vidéo et de bande originale ?

Gareth Coker | J’ai toujours joué aux jeux vidéo, ce n’était pas un “accident”, ils m’ont attiré depuis l’âge de 4 ans. J’aime les films, les séries aussi, mais le jeu vidéo est le médium que je comprends et connais le mieux.

Mon premier gros souvenir de musique de jeu vidéo était probablement Final Fantasy VII, en 1997. La scène… vous savez… no spoilers… la scène triste [rires] ! Aussi les vieux jeux d’aventure LucasArts comme Grim Fandango, Day of the Tentacle, etc., toutes ces superbes musiques par Peter McConnell.

Comment devient-on compositeur de musique de jeux vidéo ?

Jeune, je ne pensais pas à faire carrière dans la musique et encore moins dans le jeu vidéo. C’est vraiment venu sur le tard, lorsque mes professeurs m’ont dit : “Tu devrais candidater pour des écoles de musique.”

Moi, j’y suis allé à reculons, je ne les croyais pas vraiment. Finalement j’ai été accepté et du coup c’est vraiment à 18 ans que je me suis mis sérieusement à la musique. J’ai appris, expérimenté et tenté plein de choses pendant ces études.

Je pense même que le fait de ne pas y avoir cru jusque très tard, et aussi parce que mes parents ne me mettaient aucune pression, m’a permis de profiter au maximum de ces années. C’est ça le plus important : quand tu t’éclates dans ton travail, tout devient plus facile.

Qu’ont dit vos parents quand vous leur avez dit : “Je vais faire de la musique de jeux vidéo” ?

Au début, ils n’y croyaient pas vraiment, mais sans émettre aucun jugement pour autant. Mon père est chimiste, ma mère prof d’anglais, ils ne viennent pas du “divertissement”.

Mais quand Ori and the Blind Forest est sorti en 2015, ils ont pris conscience que leur fils pouvait probablement réussir là-dedans [rires] ! Le moment charnière, je pense, c’est quand ils sont venus à l’enregistrement de la bande-son. C’était la première fois que je composais avec un orchestre.

Mon père, notamment, a enfin pu comprendre à quel point il était compliqué de gérer autant de musiciens et d’enregistrer autant de sons en si peu de temps. C’est à ce moment-là qu’il m’a dit que mon travail était vraiment dur. Je pense que c’est révélateur de comment les joueurs ne pensent pas forcément à tout ce travail, ils se disent juste : “Oh, de la musique qui arrive comme par magie dans mes oreilles pendant que je joue !” J’ADO-RE-RAIS que ce soit si simple [rires] !

Quelle est la particularité d’être compositeur pour un jeu vidéo et pas un autre médium ?

Le plus gros défi, au début de ma carrière, c’était de réfléchir à la répétition des pistes dans un jeu, sans que cela ne soit ennuyeux. On a tous joué à un jeu pour finalement se résoudre à couper les musiques, car on retombe sans cesse sur la même piste. Cette situation, vous voyez, c’est le cauchemar d’un compositeur !

Faire une musique de jeu vidéo, c’est avant tout la faire résonner au mieux avec le jeu, afin que les deux soient inséparables. Selon moi, tout est une question de sensations ressenties par le joueur. Si la musique correspond à l’émotion évoquée par le jeu : c’est gagné, pas besoin de chercher des sonorités alambiquées.

Il y a un homologue que j’apprécie énormément, malgré la différence radicale entre nos deux univers musicaux, c’est Mick Gordon, le compositeur des deux derniers Doom. Quand vous jouez à Doom, vous ressentez très spécifiquement le message transmis par sa musique qui est : “Va buter des démons MAINTENANT, ne fais rien d’autre, ne t’arrête jamais !” Même quand il n’y a plus de démons, la musique continue pour te dire d’en trouver d”autres.

Nous avons exactement la même approche avec Mick, c’est juste que les émotions entre Ori et Doom sont différentes, mais c’est tout.

Alors quel est le message de la musique d’Ori ?

Je crois que c’est un fan, un jour, qui m’a donné la meilleure métaphore pour la décrire : “C’est comme si j’avais une couverture chaude sur les épaules.”

C’est exactement ce que je voulais : je voulais qu’ils se sentent confortablement installés dans ce tout nouvel univers. La direction artistique d’Ori est absolument grandiose, mais aussi inédite. J’avais donc besoin que la musique transporte tout doucement les joueurs dans ce monde onirique.

Je ne cherche pas à faire ressentir de la joie ou de la tristesse spécifiquement. Il y a un peu de ça évidemment, mais le plus important, c’est de donner au joueur de l’espace pour qu’il se reconnecte avec l’émotion qu’il a envie de ressentir à cet instant T. Vous savez, il y a beaucoup de personnages dans Ori, mais les thèmes abordés se rassemblent autour de celui de la famille en général. On a tous une famille au sens large, mais nous n’avons pas vécu les mêmes expériences, nous avons chacun une histoire propre.

C’est un thème qui signifie tellement de choses différentes pour tant de personnes. Il était donc important que ma musique ne dise pas au joueur de ressentir d’une seule manière, mais plutôt de laisser s’exprimer le sens qu’il veut appliquer au jeu et à ses émotions. C’est vraiment le plus important, quand les gens me disent : “Je ne sais pas pourquoi les musiques dans Ori m’émeuvent“, je leur réponds : “Je ne sais pas non plus pourquoi, mais ça a un rapport avec ta propre vie !”

Concrètement, comment on fabrique la bande originale entière d’un jeu vidéo comme Ori and the Will of the Wisps ?

J’ai la chance d’être engagé à plein temps au studio, donc je peux vous expliciter les quatre phases sur environ quatre ans.

Quand un jeu commence sa fabrication, il n’y a ni son ni graphisme. Ori est juste un carré blanc et les niveaux sont des formes géométriques. Les level designers s’occupent donc de rendre le tout “fun”. En gros, si c’est déjà amusant à ce moment-là, on sait que le jeu sera génial avec toute l’esthétique à la fin.

Moi, à ce moment-là, je peux travailler sur le tempo, le beat, la vitesse, etc. Chaque jeu a son propre rythme, Doom aussi a son propre rythme, par exemple : très rapide évidemment.

Les artistes entrent en jeu et habillent le tout. Quand l’art visuel est ajouté, cela me permet, de mon côté, de trouver les instruments. Comment je vais les utiliser ? Comment les intégrer dans l’orchestre ?

Ensuite, l’histoire se met en place. Quels sont les personnages ? Leur importance ? Ont-ils besoin de thèmes musicaux spécifiques ? Quelles mélodies je vais utiliser ?

Quand arrive la quatrième année, je sais quoi faire avec l’orchestre, car j’ai pu tout travailler en amont les trois années d’avant. C’est bien plus simple d’ailleurs, car honnêtement à ce moment-là je connais le jeu mieux que quiconque au studio, vu que j’ai tout suivi.

Je n’écris pas vraiment de musique au sens propre pendant les trois premières années, mais je prépare énormément.

Où trouvez-vous votre inspiration ? Dans d’autres BO de jeux ?

[Rires.] J’adore cette question, parce que ma réponse surprend toujours : je n’écoute JAMAIS d’autres bandes-son de jeux pour m’inspirer. Selon moi, c’est la pire erreur qu’un compositeur puisse faire. J’en écoute bien sûr en tant que joueur et fan, mais quand je fais mes recherches, j’écoute de tout sauf des OST.

Je veux trouver quelque chose qui est plus fou et plus approprié pour le jeu. Par exemple, dans le premier jeu, pour composer le thème de la “Vallée du Vent”, j’ai écouté en boucle des instruments à vent indiens.

Je travaille bien plus avec l’algorithme de Spotify finalement. Vous savez cette option de découverte qui permet d’aller chercher une musique toujours plus étrange que la précédente. C’est exactement avec ce genre de recherches que je peux trouver mes inspirations. Le plus souvent, j’en prends quelques petits bouts et je vais ensuite y imprimer ce que je perçois comme “l’ADN de Ori”.

On sait que vous aimez ajouter de vieux instruments à vos compositions, est-ce le cas pour ce titre ?

Ori and the Will of the Wisps se déroule dans une forêt, donc on l’associe rapidement avec les instruments à vent et les bois. C’est normal, mais la plupart des gens pensent surtout : flûtes, hautbois, etc. C’est amusant, mais ce n’est qu’une surface trop lisse.

J’ai une amie extrêmement talentueuse qui sait jouer de 300 instruments à vent environ, provenant des quatre coins du monde. Quand j’ai une mélodie pour une nouvelle zone, je lui donne juste la partition et lui demande : “Qu’est-ce que tu en penses ?”

Quand vous entendez un son un peu insolite, c’est elle ! [Rires.] Par exemple, elle m’a joué une mélodie sur un Fujara, qui est tout simplement un didgeridoo slovaque.

Interview réalisée par Pierre Bazin & Arthur Cios.