Assassin’s Creed : on a parlé d’histoire et de création avec l’un des boss de la saga

Assassin’s Creed : on a parlé d’histoire et de création avec l’un des boss de la saga

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Par Pierre Bazin

Publié le

Retour sur dix ans de saga Assassin’s Creed avec Aymar Azaïzia, directeur transmédia de la franchise.

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<em>(© </em>Ubisoft)

“Behind the Game” est une expo qui vous plonge dans l’envers du décor d’Assassin’s Creed : c’est l’occasion d’en apprendre davantage sur les nombreuses petites mains derrière cette saga vidéoludique. Avec de nombreux concept arts, beaucoup d’interactions numériques inédites, des interviews et une grande base de données, vous en saurez un peu plus sur les développements d’Assassin’s Creed Odyssey et Origins. Dans un style “Abstergo”, l’expo vous invite dans les coulisses de la mythique franchise. Mais malgré un faible prix (compensé en outre par le Discovery Tour offert avec le billet), on regrette que l’exposition soit finalement assez courte.

Voilà déjà plus de dix ans que la guerre secrète entre Assassins et Templiers perdure à travers les diverses époques historiques décrites par la série Assassin’s Creed. Avec une quinzaine de jeux à son actif (en considérant les principaux et ceux sur mobile), un film, des romans, des BD et même des jeux de société, la franchise a envahi des pans entiers de la culture – et Ubisoft ne compte pas s’arrêter en si bon chemin.

Les jeux vidéo Assassin’s Creed nous ont toujours fait remonter le temps, recréant des époques et lieux au gré des aventures de leurs nombreux héros. C’est un vrai défi pour l’éditeur et les développeurs, car il s’agit de reproduire (avec plus ou moins de fantasmes) une période historique, tout en insufflant une vraie richesse à un environnement virtuel.

(© Ubisoft)

Outre les polémiques inévitables lorsqu’on modifie l’histoire par des libertés créatives assumées, il y a aussi l’épineuse question de la continuité de la saga. Chaque épisode vidéoludique, chaque roman et finalement n’importe quelle adaptation doivent respecter la grande trame principale, la “diégèse”, qui unit tout l’univers d’Assassin’s Creed. Sachant qu’on parle d’époques différentes, cela peut être complexe. Nous avons rencontré Aymar Azaïzia, directeur transmédia de la franchise (entre autres), qui est chargé de préserver toute la cohérence de la nébuleuse que représente aujourd’hui Assassin’s Creed.

Aymar travaille sur toutes les “marques canadiennes” d’Ubisoft (Rainbow Six, Beyond Good and Evil, etc.), que ce soit pour des séries, des films, des jeux de plateau, des jeux sur mobile, des expositions ou encore des partenariats. Cela fait dix ans qu’il bosse sur la franchise Assassin’s Creed (AC) : il a rejoint Ubisoft juste après la sortie du premier opus et a connu depuis toutes ses évolutions.

Aymar Azaïzia, directeur transmédia de tous les contenus de la franchise. (© Ubisoft)

Konbini | Qu’est ce qui t’a séduit dans le premier Assassin’s Creed, en tant que joueur ?

Aymar Azaïzia | Au départ, ça a été toute cette fantaisie. Il y a une dimension qu’on a tendance à oublier, parce que ça s’est démocratisé : c’est l’open world, cette capacité d’aller partout, d’escalader tout. Il y a une vraie mythologie dans AC, contrairement à un Hitman par exemple, plus clinique dans sa vision de l’assassinat.

Ensuite, quand on regarde l’iconographie, comme avec le symbole de l’aigle, je me suis rendu compte que c’était quelque chose de déclinable à l’infini : dans un style chibi, de film, de cartoon, de BD, et tout ça grâce à une direction artistique toujours très poussée.

Aujourd’hui, la marque c’est grosso modo une quinzaine de jeux, auxquels on ajoute les nombreux romans et BD, un film, etc. Est-ce qu’il n’y a pas un risque de se perdre dans la diégèse ?

C’est clairement un gros challenge : essayer de rester consistant. Pour prendre un exemple type, quand on voit Marvel ou DC, tous leurs univers traitent des mêmes personnages, mais le mythe est souvent désintégré. Par exemple, la série Gotham n’a rien à voir avec les jeux Batman, qui ne sont pas liés aux récents films DC Comics.

On essaye de s’astreindre à l’exercice inverse : nos comics enrichissent le lore [la diégèse, ndlr], qui va enrichir le film, lui-même enrichi par les jeux. Aller sur plusieurs médias permet plus de libertés, parfois. Dans un jeu, on se limite à une seule époque, car sinon ce serait trop dense. Mais dans un roman graphique, rien n’empêche de passer du coq à l’âne car le format le permet.

Est-ce qu’à force vous n’avez pas peur de perdre votre public ? Qu’il rate quelque chose de l’univers ?

Les joueurs se posent souvent cette question et ils ont bien raison. Cependant, le plus important c’est qu’on puisse aborder n’importe quelle œuvre indépendamment. Chaque projet doit être une porte d’entrée à la franchise, pas une manière de vendre plus de jeux.

Par exemple, au Brésil il y a moins de joueurs à AC qu’il n’y a de lecteurs des romans ou des comics : c’est une autre manière de rentrer dans l’univers. On peut donc l’aborder de plein de manières, mais ce n’est pas rédhibitoire : on ne s’attend pas à ce que tout le monde achète tous nos projets, mais on fait toujours le lien.

Lorsque l’univers devient aussi large, il n’y a pas des contradictions ou des contresens ?

Évidemment, la question brûlot c’est toujours : “Qu’est ce qui est canon ?” On publie de manière régulière des “lore books” qu’on essaye d’écrire avec les fans. On doit justifier nos choix, et les joueurs nous aident et nous interrogent sans cesse. Bien entendu, on laisse toujours des zones d’ombre et de suspense : il ne faut pas tout gâcher. Moi, quand on me parle de “midi-chloriens” dans le préquel de Star Wars, ça me rend fou ! [Rires.]

Justement, à propos de tous les supports abordés, le film Assassin’s Creed a reçu de dures critiques, de la part de la presse et des spectateurs. Est-ce un échec pour vous ?

C’est notre premier film. Je ne te cache pas qu’en termes d’accueil critique, oui, c’est un échec – surtout aux USA, où on a essuyé de gros tacles à base de “Qui sont ces gens du jeu vidéo qui ont l’outrecuidance de venir au cinéma ?”. Bon, on connaît le refrain. En Europe et en Asie, c’est un peu mieux : on reste globalement satisfaits parce que les fans sont assez heureux et qu’on n’a surtout rien trahi. On aurait voulu faire plus, car comme tous les créatifs on veut toujours faire mieux, y compris dans les jeux. Ce n’est qu’un premier jet, et ce n’est pas le dernier.

On entend souvent que Assassin’s Creed rendrait l’histoire intéressante pour les jeunes, mais est-ce qu’il n’y a pas un risque de réception biaisée par la suite ?

On ne prétend pas que les jeux sont des outils de pédagogie en soit : ils sont avant tout facteurs d’intérêt pour vulgariser l’histoire. C’est notre toile de fond et effectivement on a un traitement hollywoodien – que ce soit sur le plan artistique ou pour des raisons de gameplay, on a besoin de retoucher l’histoire.

L’important est d’ouvrir les débats. De fait, on travaille beaucoup avec les secteurs académiques et culturels. Au final, il y a un intérêt fort des historiens pour Assassin’s Creed et la réciproque est vraie. Un jeu AC touche environ 10 millions de personnes : jamais un prof ou un cours ne touchera un public aussi large.

À chaque fois, la première question des fans avant l’annonce d’un jeu ce n’est pas sur le gameplay ou sur les personnages joués. Non, la toute première question c’est : “Ça se passe à quelle époque ?” Et systématiquement, dès qu’on l’annonce enfin, on voit un pic de lectures sur les articles Wikipédia relatifs à cette période !

Comment on choisit une époque qui va plaire au grand public, et même au monde entier ?

On prend souvent deux grosses variables en compte pour choisir l’époque : soit une époque pivot comme la Révolution française dans Unity, ou bien des personnages insolites à jouer, comme un pirate dans Black Flag par exemple.

Après, on sait bien qu’il y a des périodes comme la Grèce ou l’Égypte antiques qui trouvent écho dans tous les pays. On assume se servir de tous les fantasmes autour de ces époques : les héros légendaires, la mythologie, la naissance de la philosophie occidentale, ça parle souvent à tout le monde.

Quand on voit l’Égypte antique, il ne se passe pas une année sans qu’on ait une énième copie de Stargate ou de La Momie. Alors bien évidemment parler de César et Cléopâtre est plus accrocheur que la Révolution industrielle à Londres, ou même la Renaissance italienne – ça, c’était par exemple très osé, pour le public américain notamment. [Assassin’s Creed II se passe pendant la Renaissance, ndlr.]

À propos des polémiques, il y a toujours un fond politique choisi dans AC, avec cette opposition entre Templiers et Assassins, auxquels différents personnages historiques appartiennent fictivement. Vous assumez ces choix ?

Assassins et Templiers sont clairement dans des mouvements politiques, mais on essaye de montrer que les Templiers ne sont pas tous des méchants tout comme les Assassins ne sont pas blancs comme neige. Les deux camps se battent pour le bien de l’humanité : l’un veut le faire par l’ordre extrême, tandis que l’autre veut le libre arbitre total, mais cela pose problème aussi.

Lorsqu’on nous reproche des choix, je réponds que la neutralité historique n’existe pas et on sait très bien qu’on va provoquer une discussion – ce qui n’est pas un problème, ni le propos. On a choisi de donner notre interprétation et surtout de raconter notre propre histoire. Ce qui est amusant, c’est de voir le florilège de polémiques qu’un jeu qui se passe en France peut générer [Assassin’s Creed : Unity, ndlr]. Chez nous, il y a une vraie passion pour le traitement de l’histoire et j’adore ça.

Par exemple, quand on a fait la bande-annonce de Unity, on a mis une guillotine sur le parvis de Notre-Dame. On savait qu’il n’y en avait pas historiquement, mais le marketing voulait quelque chose de reconnaissable et une image forte pour le trailer (de plus les quartiers en question n’étaient pas prêts). On a eu le droit à une véritable tempête dans un verre d’eau, alors que le jeu final ne serait pas comme ça. En revanche, personne parmi ces “spécialistes” n’a tiqué sur la flèche de Notre-Dame, alors qu’elle n’existait pas à l’époque. Elle était détruite et en réparation à l’époque, mais on l’a gardée expressément.

On aime bien en rire. Dans Black Flag, on a mis une cathédrale qui était anachronique de 75 ans, et dans le jeu on entend un employé d’Abstergo expliquer que c’est parce qu’il la trouvait jolie. C’est peu ou prou le débat qu’on a eu au sein d’Ubisoft. Lorsqu’on fait des recherches historiques, on regarde beaucoup les visions des artistes de l’époque, et bien entendu les proportions peuvent être exagérées, les lumières forcées. On sait très bien que ce n’est pas réaliste, mais on ne cherche pas à faire une photo de l’histoire. On en fait un tableau avec toute l’interprétation artistique que cela implique.

Quels sont vos plans pour la franchise, en termes d’époques et de lieux à aborder ?

On travaille déjà sur un nouveau jeu, bien évidemment, et on a une liste d’univers qu’on aimerait traiter. On a une “roadmap” sur au moins six ans, même si on la challenge régulièrement. À cela, on ajoute tout le transmédia sur lequel on travaille beaucoup car on a déjà fait des recherches. On parle d’une série, par exemple.

Je tente : un petit indice sur le prochain univers ?

Jamais de la vie ! [Rires.]

L’exposition “Behind the Game” est visitable du jeudi 13 décembre au 6 février à la Gaîté Lyrique, à Paris, IIe arrondissement.