La dernière Coupe du Monde de l’équipe de France l’a prouvé : les liens entre le rap et le foot n’ont jamais été aussi étroits.
L’apogée de cette connexion a été atteinte durant le Mondial, avec l’enceinte de Kimpembe qui crachait du Naza et du Niska de manière quasi continue. De Lilian Thuram, qui écoute du NTM dans Les Yeux dans les Bleus,à la relation entre Booba et Benzema aujourd’hui, on a fait le point sur les liens entre rappeurs et footeux avec Mehdi Maïzi, un amoureux de deux des plus grands esthètes de leur discipline : Dany Dan et Roberto Baggio. Entretien.
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Football Stories | Au cours de tes rencontres, est-ce que tu as pu remarquer que, comme on le dit souvent, les footballeurs rêvent d’être rappeurs et les rappeurs rêvent d’être footballeurs ?
Mehdi Maïzi | Je pense qu’il y a un lien très fort entre le rap et le foot, pour des raisons d’affinités ou sociales. Ce qui est marrant, c’est que pendant des années, ce sont les rappeurs qui regardaient les footballeurs, parce qu’ils les faisaient davantage rêver. Et depuis quelque temps, on a vu une sorte de rapprochement inversé. Ce sont désormais les footballeurs qui se rapprochent et affichent des amitiés avec des rappeurs, ce qui était impensable il y a 20 ans. Dans Les Yeux dans les Bleus, je crois qu’il n’y avait aucun morceau de rap, à part Thuram qui écoutait “That’s My People” de NTM. Maintenant, ils n’écoutent que ça.
Comment expliques-tu que les rappeurs et les footballeurs s’apprécient autant, et se fassent autant de dédicaces ?
Je ne veux pas faire de la sociologie de comptoir, mais il y a quelque chose de très simple : pour la plupart, ce sont les mêmes mecs qui viennent des mêmes endroits. Évidemment, le rap ce n’est pas uniquement des gens de banlieue, mais quand même, il y en a énormément qui viennent de là-bas et réussissent. De la même manière que dans le foot, ce n’est pas uniquement des gens de banlieue. Mais on a beaucoup d’exemples de personnes qui viennent des mêmes endroits, des mêmes quartiers, et qui partagent les mêmes centres d’intérêt. Le rap est majoritairement une musique faite par des jeunes, entre 20 et 40 ans, et le foot également. Je pense qu’il y a une sorte de lien générationnel très fort.
On peut aussi l’expliquer par le fait que le rap soit la musique numéro une en France ?
Je ne prêche pas pour ma paroisse en disant ça, mais il ne faut pas non plus gonfler le fait que le rap soit la musique la plus populaire en France. Par exemple, Niska a de plus gros scores en streaming que Patrick Bruel, mais ça ne veut pas dire qu’il y a plus de Français qui écoutent et connaissent Niska. On est parfois un peu aveuglés parce qu’on regarde uniquement les chiffres du streaming, là où le rap est très fort. Et puis, ce ne sont pas tous les footballeurs qui en écoutent. Je n’ai pas l’impression que Hugo Lloris écoute tant de rap que ça.
C’est davantage lié à un truc générationnel. Les mecs de 20 ans, 30 ans, écoutent du rap et c’est également le cas des footballeurs. Ils se rapprochent, ils se dédicacent. Quand tu vois l’amitié entre Booba et Benzema, tu as vraiment l’impression qu’il s’agit de deux potes, et non pas de deux mecs qui se forcent à se rapprocher.
“Booba et Benzema se sont construits de la même manière. Ils sont arrivés à un point où ils n’ont plus envie de jouer le jeu des médias traditionnels”
Justement, l’amitié entre Booba et Benzema est la plus connue aujourd’hui. Certains disent qu’elle est nuisible pour la carrière du joueur. Quel est ton avis là-dessus ?
J’ose espérer que Didier Deschamps ne scrute pas les likes sur Instagram, et ne fait pas sa liste en fonction de ça. Honnêtement, à mon avis, tout le monde est au-dessus de ça. Mais je pense que si c’était Booba et Griezmann qui étaient amis, on ne se poserait pas vraiment cette question.
La réalité, c’est qu’aujourd’hui Benzema est quelqu’un de clivant à cause d’autres histoires, qui n’ont rien à voir avec Booba, qui lui aussi est très clivant. Il est dans une logique de nous contre tous, nous contre les médias, nous contre les institutions… Et il s’avère que Benzema a justement des soucis avec les institutions. Très sincèrement, son amitié avec Booba n’influe pas sur ses performances sur le terrain. Sa non-sélection, c’est un choix qui est un peu sportif, et qui dépend d’autres éléments que son amitié avec le rappeur.
Tu penses qu’ils sont vraiment similaires l’un à l’autre ?
Je ne les connais pas assez bien, mais j’en ai l’impression. Ils se sont construits de la même manière. Ils sont arrivés à un point où ils n’ont plus envie de jouer le jeu des médias traditionnels. Benzema l’a fait, mais il n’en a plus envie. Et c’est pareil pour Booba, qui se protège beaucoup et qui n’a pas aimé ses rencontres avec les médias généralistes. Je pense qu’ils sont tous les deux au même moment de leur carrière. Benzema fait la sienne, brillante, l’une des plus belles du football français. Et Booba fait sa carrière sans ces gens-là.
Tu en penses quoi des footballeurs qui se lancent dans la musique, comme Memphis Depay, Kevin-Prince Boateng ou Jesé ?
Il y a deux écoles. Celle de Djorkaeff, dans les années 90, où tu avais l’impression que c’était de l’opportunisme. Je ne sais pas si Djorkaeff était un passionné de rap, mais je n’en ai pas le sentiment. Avec cette nouvelle génération, qui a grandi avec cette musique, j’ai l’impression que quand Mister V fait un album, c’est la même chose que si Memphis Depay sortait un album. Ce sont des mecs qui peuvent se le permettre, comme Tony Parker à l’époque – que j’ai toujours vu comme le mec qui se fait un kiff en rappant avec Fabolous et Booba.
Quand c’est fait de manière sincère et non opportuniste, je trouve ça cool. Tout le monde a le droit de rapper. Surtout que, parmi les rappeurs, il y a des gens très différents : Booba, Vald, Niska, Lorenzo, Caballero et JeanJass…
“À l’époque, il y avait une rumeur autour d’un album d’Anelka, qui devait bosser avec Doc Gynéco. Mais ce truc ne s’est jamais fait”
Quand tout le monde veut aller vers un genre musical, c’est signe de bonne santé pour lui. Ça veut dire que c’est devenu un truc pop. Même si les gens regrettent parfois que le rap soit devenu pop, moi je m’en félicite. C’est génial que ce soit une musique autant investie par les gens. Tu sens que ces mecs sont de vrais passionnés. D’ailleurs, à l’époque, il y avait une rumeur autour d’un album d’Anelka, qui devait bosser avec Doc Gynéco. Mais ce truc ne s’est jamais fait. Anelka était complètement dans cette culture, c’était un vrai rappeur. On est arrivé à un moment où on s’en fout d’où vient le rappeur. Le rap s’est affranchi de ces questions. Si c’est bien, c’est bien.
À ton avis, quel footballeur serait un très bon rappeur ?
Anelka aurait pu devenir le meilleur rappeur français. J’en suis persuadé. Parmi la nouvelle génération, dans une vibe afro-trap, ambianceur – parce que c’est la mode –, évidemment : Kimpembe. Pour moi c’est l’autre membre de Bomayé Musik, le label de Youssoupha sur lequel sont signés Naza et KeBlack. Et je veux un EP de Kimpembe sur ce label. Il peut le faire.
Et à l’inverse, quel rappeur serait un très bon footballeur ?
Pour le coup, on sait qu’il y a eu des rappeurs qui ont eu des débuts de carrière dans le foot, comme Sefyu. Dans les rappeurs de maintenant… [il hésite]. Je crois qu’il est nul et qu’il s’en fout du foot, mais mettons que ses qualités de rappeur soient transposées dans le foot, alors Damso. Il serait un bon numéro 10. Il a une sorte de vision de jeu assez transverse. Parfois il est un peu trop compliqué, il fait un peu trop de gri-gri, il est un peu trop perso et sans doute qu’on ne comprendrait pas où il veut aller, mais il serait super élégant. Donc je dis Damso, meilleur numéro 10 de sa génération. Comme Kendrick Lamar pourrait l’être aux États-Unis.
On a fait un article sur le match France-Belgique lors de la Coupe du Monde, mais avec des rappeurs. Si tu devais faire pour chaque pays deux cinq pour taper un five, tu prendrais qui ?
Équipe belge. Je suis désolé mais au goal je mets Caballero [il rigole]. Il serait incroyable dans les cages. En pointe, je mets Hamza. Un petit avant-centre à la Saviola, il ne prend rien de la tête mais il est devant. En 10, je mets Damso. Derrière, JeanJass avec Isha : très solides comme Nesta et Cannavaro.
En équipe de France. Je mets Kaaris dans les cages. Un vrai rempart. En pointe, je mets Nekfeu, petit attaquant stylé façon Olivier Atton. Ce serait notre Griezmann. En 6, je mets Fianso parce qu’il est partout. Sur les côtés, il faut des mecs rapides et solides en même temps. Je mets Ninho à droite, le meilleur rappeur français actuel. Et à gauche Rim’K, le tonton. Il est solide, ça bouge pas.
Et donc, qui gagne ?
Je pense que c’est comme le France-Belgique en Coupe du Monde. La Belgique est bien plus belle à voir jouer, Hamza fait des râteaux et des petits ponts, mais au final ils vont perdre sur un horrible contre de Ninho. Voilà ce qui va se passer. La France va gagner ce five. Mais j’aurais été capable de supporter la Belgique.
“À 11 ans, j’aurais pu écouter exactement ce qu’écoutait Zidane”
Est-ce que tu connais des artistes qui en fait sont des gros footix, qui parlent de foot vite fait dans des sons alors qu’ils n’y connaissent rien ?
Je pense que tous les mecs qui se sont mis à supporter le PSG depuis l’arrivée des Qataris sont incapables de te dire qui est José Cobos, l’arrière droit du club en 94-95. À partir de là, évidemment qu’ils ne connaissent pas le PSG. Mais c’est le jeu aussi. On ne peut pas se plaindre de ça, parce que c’est cool de vibrer pour un club même quand t’es pas un inconditionnel de la première heure. Il y a quelque chose de cool dans le fait de voir sa ville représentée en Ligue des Champions, avec de beaux joueurs.
Mais il y a aussi beaucoup de rappeurs qui s’approprient le club, qui n’y connaissent rien en foot et même en rap. Ils font des références à des rappeurs US et quand tu leur demandes, il n’y a rien. Il y a des escrocs partout.
Est-ce qu’être pote avec un footballeur, ça peut booster une carrière ?
Ce qui est sûr, c’est que quand un footballeur va te partager sur les réseaux sociaux, ça peut complètement te booster. On l’a vu pendant la Coupe du Monde, la ferveur particulière avec Naza ou Vegedream qui ont beaucoup streamé. On vit dans le monde des influenceurs, des posts sponsorisés et des stories Insta. Quand Griezmann entre sur le terrain de l’Atlético sur “Putain de Merde”, ça a un vrai impact, de la même manière que n’importe quel mec influent qui poste un truc sur les réseaux sociaux.
Avec cette Coupe du Monde, on a vu l’impact de l’enceinte de Kimpembe sur les plateformes de streaming françaises. Les footballeurs aujourd’hui ont des fans qui sont très proches de ceux des rappeurs. Il y a un pouvoir d’identification très fort. Moi, à 11 ans, j’aurais pu écouter exactement ce qu’écoutait Zidane. Ça veut dire que je me serais retrouvé avec la compilation des Enfoirés.
Faut qu’on parle de Naza aussi, dont les sons ont égayé le mondial des Bleus. Est-ce qu’on peut dire que c’est grâce à lui qu’on est devenus champions du monde ?
C’est une vraie question, et je pense qu’il faut la prendre au sérieux. Je me rappelle qu’en 98, Aimé Jacquet a toujours dit qu’on était devenus champions du monde grâce à Candela et Charbonnier. On sait que Candela a lancé “I Will Survive” et que Charbonnier mettait l’ambiance dans le vestiaire. On est aussi champions du monde grâce à Kimpembe, qui a peu joué, avec l’ambiance qu’il a mise et par extension grâce à Naza. Tous les sélectionneurs disent qu’une bonne ambiance c’est important, surtout quand tu as un groupe comme ça pendant une période aussi resserrée. Je pense que Naza, Vegedream et Aya Nakamura ont aidé ces joueurs-là et contribué à mettre une super ambiance. C’est comme quand tu pars en vacances entre potes, les sons que tu vas mettre dans le mobil-home vont avoir de l’influence sur le déroulé des événements.
Si Zidane était un rappeur français, ce serait qui ?
Il faudrait le plus élégant et la plus belle carrière. Je t’aurais dit Dany Dan, mais c’est pas la plus belle carrière du rap français. Donc soit Booba, soit Akhenaton. Je vais dire Akhenaton parce qu’avec le temps, il ressemble de plus en plus à Zidane. Il y a une magnifique photo d’eux, que j’essaie de poster à chaque fête des pères. Ce sont des gens très importants dans ma vie, qui m’ont façonné. AKH a une carrière incroyable et il est encore là. Zidane, inutile de dire ce qu’il continue à faire. Et Akhenaton est un rappeur très élégant.
Dans quel cas tu prends le plus de plaisir, entre regarder un très bon match de foot ou écouter un excellent album de rap ?
Il y a 10 ou 20 ans, j’aurais dit le foot mais plus maintenant. Aujourd’hui, quand tu tombes sur un album qui te parle vraiment, c’est un plaisir incroyable. Avec le temps je regarde moins de matches qu’à l’époque. Parfois je m’ennuie. Même un album moyen de rap, je vais me forcer à l’écouter alors qu’un match de foot moyen, je vais vite m’emmerder. Avec le temps, j’ai choisi le rap plutôt que le foot.
Si tu devais choisir entre Dany Dan et Baggio [son rappeur préféré et son joueur préféré, ndlr] ?
Je vais choisir Dany Dan parce que Baggio n’a pas besoin de moi. Dany Dan a une carrière qui défonce mais j’aurai toujours ce sentiment d’inachevé avec Daniel Lakoué [le vrai nom de Dany Dan, ndlr], ce sentiment qu’il aurait pu devenir le Jay-Z français. Pour moi, il est un peu comme Ben Arfa. Il aurait dû devenir le meilleur rappeur français de l’histoire, comme Hatem aurait dû devenir le meilleur joueur français de l’histoire. Je choisis Dany, parce que j’ai envie de croire qu’il a besoin de moi.