Watch the Throne : le jour où Kanye West a relancé la carrière de Jay-Z

Watch the Throne : le jour où Kanye West a relancé la carrière de Jay-Z

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Par Guillaume Narduzzi

Publié le

L'album commun de Yeezy et Hova fête ce samedi 8 août son neuvième anniversaire. Retour sur ce disque phare des années 2010.

Jay-Z est un monument du rap américain. Figure indéboulonnable de la scène new-yorkaise, l’artiste a connu son apogée à la fin des années 1990 et dans la première partie des années 2000. Après la sortie de son exceptionnel Black Album en 2003, qui devait être le dernier de sa carrière puisqu’il avait décidé d’arrêter la musique à seulement 34 ans, Hova ne peut résister à l’envie de revenir sur le devant de la scène.

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Il ne connaîtra plus jamais le même succès d’estime que ses précédents opus en solo, que ce soit ce fameux Black Album donc, qui comporte deux productions de Kanye West et demeure probablement le meilleur de sa prolifique carrière, mais aussi des classiques tels que Reasonable Doubt ou encore The Blueprint – dont cinq titres ont eux aussi été produits par ce même Kanye.

Avec Kingdom Come en 2006 et American Gangster un an plus tard, Jay-Z ne parvient pas à retrouver son niveau d’antan et court après le passé. Il voit le train de la nouvelle génération, emmenée par 50 Cent, Lil Wayne, T.I. ou encore un Kanye West qui est également devenu un rappeur d’exception depuis, passer devant lui sans qu’il ne puisse s’accrocher au moindre wagon.

La renaissance de Jay-Z

Même avec The Blueprint 3 en 2009, pourtant doté d’un trio de tubes parmi les plus importants de sa carrière – l’hommage à Big Apple qu’est “Empire State of Mind” avec Alicia Keys, “Young Forever” et son sample du groupe Alphaville avec Mr Hudson et “Run This Town” avec la nouvelle superstar Rihanna –, Jay-Z peine à reconquérir les amateurs de rap et surtout les critiques.

Autrefois meilleur rappeur du pays, Shawn Corey Carter, de son vrai nom, est devenu un artiste un peu has been sur les bords qui a bien raté une deuxième partie de carrière décidément morne et semble prêt à tout pour renouer avec la réussite passée. Sa crédibilité, en tant qu’artiste légendaire, commence à être sérieusement entamée.

Cependant, il jouit toujours d’une cote d’amour importante et surtout d’une reconnaissance considérable pour l’œuvre accomplie il y a des années maintenant. Kanye West, lui, est alors perçu comme un excentrique sacrément allumé dans le paysage américain et a du mal à être considéré sérieusement comme un artiste à part entière, malgré sa magistrale trilogie The College Dropout – Late Registration – Graduation ainsi que l’inoubliable et influent 808s & Heartbreak.

C’est le moment choisi par les deux hommes, deux amis de longue date habitués à travailler ensemble et titans du rap à la croisée des chemins, pour unir leurs forces afin de collaborer le temps d’un album entier. L’un est en train de monter les marches de la gloire, tandis que l’autre les descend.

Cette annonce est faite en 2010 et le fruit de leur travail commun doit initialement prendre la forme d’un EP de cinq titres. Deux morceaux enregistrés à cette occasion, “Monster” et “So Appalled”, figurent finalement sur le mastodonte My Beautiful Dark Twisted Fantasy du fantasque mais génial Kanye West, qui renforce un peu plus son statut de référence incontournable du rap américain, dictant les futures tendances musicales avec l’un des meilleurs albums de la décennie.

Retour sur le Throne

À défaut d’avoir ses propres idées artistiques pour revenir au sommet, Jay-Z parvient à s’associer avec le rappeur le plus talentueux et imaginatif de l’époque. Ensemble, ils poursuivent leur processus créatif aux quatre coins du monde, que ce soit au Royaume-Uni, en Australie, à Paris, à Hawaï ou encore à New York. À sa sortie, le 8 août 2011, Watch the Throne est un triomphe tant critique que commercial. L’histoire est belle.

Cet album collaboratif pour le moins clinquant met à l’honneur l’une des meilleures associations de l’histoire du rap contemporain, sublimée par des prod’ de Ye en personne, mais aussi des pointures telles que Swizz Beats, RZA, The Neptunes ou Mike Dean, pour ne citer qu’eux.

Kanye West brille par son avant-gardisme, que ce soit par ses productions et ses idées, tandis que le phrasé de Jay-Z ne semble pas avoir pris une ride et rappelle à tout le monde à quel point il est et restera un rappeur exceptionnel. “No Church in the Wild” (et son clip signé Romain Gavras), “Otis”, “Who Gon Stop Me”, “Why I Love You” et surtout “Ni**as in Paris” deviennent des titres majeurs de la décennie qui débute, et enrichissent la collection déjà conséquente de tubes portant la signature de Jay-Z.

La patte Kanye West

Pourtant, à l’écoute, on sent clairement que ce projet marquant a principalement été dirigé par Yeezy et qu’il s’en est servi comme d’un laboratoire pour son prochain album qui sortira deux ans plus tard : le merveilleux Yeezus. Que ce soit le choix et l’utilisation somptueuse des samples, les sonorités nouvelles et modernes ou même la présence d’un certain Frank Ocean, tout semble venir directement de la tête de Kanye West.

Jay-Z en deviendrait presque une espèce de faire-valoir de luxe (et un atout marketing supplémentaire), comme un fil rouge sur un disque du Chicagoan. Bien que le résultat de l’association des deux hommes soit “gagnant-gagnant”, on peut d’ailleurs légitimement se poser la question aujourd’hui : qu’aurait donné Watch the Throne sans la participation du New-Yorkais ? 

Mais l’important est probablement ailleurs. Jay-Z a prouvé qu’il pouvait toujours remonter sur le tant convoité Throne du rap game et qu’il n’était pas (totalement) fini. Et ce même dans un rôle tenant davantage du lieutenant que du capitaine. Pour cela, il peut bien remercier Kanye West, l’un de ses anciens beatmakers, toujours inspiré dans ses propositions artistiques.

Par la suite, les deux rappeurs et amis continueront chacun leur chemin de leur côté, même si un deuxième opus de Watch the Throne se fait attendre depuis des années maintenant. Kanye West sortira le chef-d’œuvre Yeezus, l’un des plus radicaux de sa carrière (et probablement l’un des plus importants), tandis qu’au même moment, Jay-Z dévoilera Magna Carta… Holy Grail, sûrement l’un de ses plus apathiques, dépourvu de toute participation de Yeezy. Preuve ultime de la différence de dynamique entre les deux artistes.