Rone reprend l’œuvre de Benjamin Britten avec la Maîtrise de Radio France, et c’est magnifique

Rone reprend l’œuvre de Benjamin Britten avec la Maîtrise de Radio France, et c’est magnifique

Rone s’est allié à la Maîtrise de Radio France pour jouer l’œuvre de Benjamin Britten.

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© Hana Ofangel.

Depuis trois ans, le projet Variations mené par Sourdoreille et La Compagnie des Indes réunit plusieurs duos composés d’un artiste de musique électronique, et d’un ou de musiciens de classique ou de jazz. Cette année, Rone s’est allié à la Maîtrise de Radio France et ses 24 jeunes choristes pour se réapproprier l’œuvre du grand compositeur anglais Benjamin Britten (1913-1976) pour un live unique, disponible à partir d’aujourd’hui sur le site de Culturebox.

Rencontre avec le musicien qui nous raconte son processus créatif mis à l’épreuve dans ce projet fascinant.

Konbini | Quel était ton rapport à Benjamin Britten avant de te lancer dans ce projet ?

Rone | C’est amusant parce que c’est un compositeur que j’ai découvert relativement récemment, avec le film Moonrise Kingdom (2012), de Wes Anderson. J’étais scotché par cette ambiance musicale, ça m’avait touché. J’avais ensuite beaucoup écouté sa musique, mais j’avais surtout développé une obsession pour deux ou trois morceaux que j’écoutais en boucle. Quand Sourdoreille m’a contacté pour interpréter du répertoire classique, j’ai tout de suite pensé à lui. Pour être honnête, au départ, je n’étais pas très chaud, j’étais dans une période où j’avais plutôt envie de m’isoler pour composer un nouvel album. Et puis je me disais que ce crossover entre classique et électronique était un peu déjà vu, que ça tournait en rond. J’avais expérimenté des choses semblables avec la Philharmonie, d’où le risque de me répéter. Tout d’un coup, j’ai pensé à Britten et ce qui serait faisable avec une chorale.

Le projet Variations, ce sont des duos qui font se rencontrer des musiciens électroniques avec des musiciens classiques, jazz ou de musiques savantes… Là, ça n’est pas un duo finalement.

Je pense qu’il faut voir cela comme un duo avec Sofi Jeannin, la cheffe de chœur, dont l’instrument serait cette chorale de la Maîtrise de Radio France. En plus de Britten, j’avais depuis longtemps ce fantasme de jouer avec une chorale. J’ai toujours été fasciné par les gens qui chantent collectivement, quel que soit le type de chorale. Dans la pop, la musique bulgare, russe… Je trouve ça d’une puissance hallucinante et inégalable. Sur mon dernier album, Mirapolis, j’avais eu la chance de travailler avec un petit chœur basque de cinq femmes. Là, il y a 24 jeunes filles, c’est autre chose.

© Hana Ofangel.

Le choix des œuvres s’est fait en fonction des morceaux dont tu parlais précédemment, ceux qui t’obsédaient à un moment donné ?

Oui, c’est vrai que ça s’est fait un peu autour de ces morceaux. Ça m’a aussi obligé à rentrer plus en profondeur dans l’œuvre de Benjamin Britten, à écouter quasiment tout ce qu’il a composé. Honnêtement, je n’étais pas immédiatement convaincu par tout ce que j’entendais. J’ai dû apprivoiser certaines pièces. Mais ces morceaux que nous avons choisis, je les aime tous désormais, un peu comme si je les avais moi-même composés. Il a fallu les dompter, mais c’est ce qui intéressant : aller chercher l’inspiration dans des harmonies qui ne me sont pas familières. Je me sens bizarrement assez familier avec Benjamin Britten, alors que c’est un compositeur du siècle dernier, anglais, assez éloigné de ma culture.

À un moment donné, je suis devenu un peu fou, j’avais l’impression que nous étions cousins [rires]. C’est marrant parce qu’au départ, j’ai pris les morceaux que je préférais, à savoir “Cuckool”, “Old Abram Bone”, et “This Little Babe”. Je les ai joués dans un ordre aléatoire, un peu comme un DJ set. Mais à force d’écoutes, j’ai décidé de respecter l’ordre des morceaux, notamment les morceaux de son œuvre A Cermony of Carols. J’ai enlevé les deux derniers de l’original, et ai mis à la place deux titres d’une autre pièce, Friday Afternoons, qu’il a écrite vingt ans après.

Tu disais que tu as déjà joué avec des musiciens classiques, mais quelles sont les particularités d’un chœur ? Comment s’adapte-t-on à ce type de formation ?

C’est très spécial. Le fait que ce soit un ensemble d’individus, un collectif, cela multiplie les sensibilités musicales. C’était une expérience assez étonnante. La partie instrumentale, chez Benjamin Britten, est souvent très épurée, très simple, pour laisser place aux choristes. Il peut y avoir juste un piano, juste une harpe… Cela me laissait de la place pour expérimenter des choses avec des sonorités électroniques. C’était le bon compromis : j’étais à la fois fidèle à l’œuvre, sans la détruire ou la déconstruire, mais avec la possibilité d’essayer de nouvelles sonorités, de nouvelles pistes.

Tout cela s’est passé en trois étapes. J’ai préparé le projet dans mon coin d’abord, sans la chorale, je cherchais des sons. Je suis arrivé avec toute ma matière en répétition avec la Maîtrise de Radio France, pendant deux jours. Il s’est passé plein de choses, j’étais bouleversé d’entendre ces voix si jeunes. Dans un troisième temps, je suis revenu sur la partie instrumentale, avec ce qui s’était passé en répétition.

Cet espace de liberté par rapport à la composition d’origine, quel est-il exactement ?

J’ai pris la décision d’être le plus fidèle possible aux partitions de Britten. J’ai beaucoup hésité pourtant, j’aurais pu prendre quelques notes, les mettre en boucle, ajouter un kick, et laisser les chœurs s’exprimer dessus. Je voulais me rapprocher de la démarche d’un interprète classique. Le travail s’est surtout fait sur les textures sonores, ce qui m’appartient, mon univers. Tout en entrant en écho avec les voix. Il y a notamment des passages où ce sont les solistes qui chantent, il faut prendre cela en compte, trouver de nouvelles textures sur les synthétiseurs.

Tu avais les partitions, tu as donc une formation classique ?

Non, pas du tout, je ne sais pas lire la musique. J’ai en fait travaillé avec Romain Allender, qui est notamment l’assistant musical d’Alexandre Desplat. Il a par exemple travaillé sur The Grand Budapest Hotel et L’Île aux chiens de Wes Anderson. C’est une belle coïncidence, mais cela sous-entend surtout qu’il connaît très bien l’œuvre de Benjamin Britten. Il m’a énormément aidé en faisant le lien avec Sofi Jeannin. C’était le choc de deux univers, et il en a été le traducteur.

Quelles sont les particularités musicales de Benjamin Britten auxquelles tu as particulièrement fait attention ?

Ce qui est intéressant dans sa musique, c’est sa dimension narrative, elle raconte quelque chose. Je n’avais d’ailleurs pas envie que le public applaudisse entre les morceaux, c’était un peu une angoisse pour moi. Mais ça n’a pas été le cas. Je voulais que ce soit comme un fil continu, comme quelque chose de théâtral. Le tout sans être sacré, car ça n’est pas spécialement l’aspect religieux de cette musique qui m’intéressait, plutôt le côté féerique, étrange, avec ces voix d’enfants très naïves, touchantes, mais aussi très inquiétantes. C’est un contraste que j’avais envie de rendre encore plus prononcé. En insérant des basses, des sonorités électroniques, je voulais jouer avec les outils contemporains pour faire une version encore plus moderne que ne peut l’être l’œuvre de Britten.

© Hana Ofangel.

Parfois, dans ton interprétation, on devine les pianos de Britten, les cordes, etc., mais avec des sonorités très différentes. Avais-tu tout de même le désir que le public reconnaisse certains instruments ?

Il fallait rendre hommage à Britten, il fallait donc des liens dans les sonorités, mais lorsque j’utilise un synthétiseur analogique ou autre. J’essayais de me rapprocher du son des instruments d’origine. Je m’en rapprochais pour ensuite m’en éloigner en modifiant les sons. Là était la difficulté, insérer ma personnalité dans cette création, sans dénaturer Britten.

Il y a des morceaux, comme le superbe “Spring Carol”, qui sont basés non pas sur le chœur, mais sur les solistes…

J’aime beaucoup ces moments, qui sont en fait des instants de fragilité. Le reste du temps, il y a la puissance du chœur, et quand une voix se détache, ça me bouleverse. J’ai plusieurs fois eu des larmes lors de ces passages-là. Tout d’un coup, j’ai beaucoup plus de responsabilités, car il faut que j’accompagne cette voix fragile avec une matière électronique. Ce sont les moments les plus intenses, et les plus excitants pour moi.

La fragilité amène de la difficulté ?

Exactement, il faut trouver une puissance, c’est tout l’intérêt de ma musique en général, faire ressortir ce qui est en moi, tout en respectant cette jeune fille de même pas 16 ans qui exprime tellement de choses. Il y a une humanité dingue. Il fallait que je sois, avec mes machines, dans cette même finesse. Et c’est effectivement une difficulté.

As-tu gardé des choses de cette expérience que l’on pourrait retrouver dans tes prochaines créations ou dans ton prochain album ?

C’est le genre de projet qui nourrit à fond les musiciens. On sort remplis de tout ça. Je ne sais pas encore comment ça va ressortir, mais ça me paraît évident tant cela m’a enrichi. Ça ressortira d’une manière ou d’une autre. Mais ce sont des choses un peu mystérieuses…

La série de live Variations contient cinq duos :

Le 14 novembre : Rone et La Maitrise de RF jouent Benjamin Britten
Le 21 novembre : Molécule et Vanessa Wagner jouent Claude Debussy
Le 28 novembre : Carl Craig et Francisco Mora jouent Sun Ra
Le 5 décembre : Gold Panda et Anoushka Shankar jouent Ravi Shankar
Le 12 décembre : Peter Van Hoesen et Gabi Sultana jouent John Cage