Reda Kateb, le triomphe de l’anti-star

Reda Kateb, le triomphe de l’anti-star

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Par Constance Bloch

Publié le

La première chose que j’ai dite, quand j’ai remercié la directrice de casting qui s’était vraiment battue pour que j’ai le rôle dans Engrenages, c’est : “Merci et je vais pas rater le coche”. Je sentais que c’était un moment où j’avais une porte qui s’ouvrait et je ne voulais pas manquer cette chance.

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Un caméléon

L’acteur ne se trompe pas. Rapidement, le coche vient à lui : il est repéré par Jacques Audiard qui lui offre le rôle d’un gitan, Jordi, dans son film coup de poing Un prophète. Le long métrage fait sensation à Cannes en 2009 où il décroche le Grand Prix du Jury, et Reda Kateb se retrouve, dans la vie comme à l’écran, sous les feux des projecteurs. Dans la foulée, il tient le rôle principal de Qu’un seul tienne et les autres suivront réalisé par Léa Fehner, largement salué par la critique.
Dès lors, les choses s’accélèrent pour l’acteur qui commence à être inondé de scénarios. Mais peut-être en raison du recul acquis après un bon début de carrière ponctué de galères, Reda Kateb ne se précipite pas dans la promesse de gloire tête baissée.
Il choisit avec une extrême minutie ses projets :

J’ai fait le choix des films que j’avais vraiment envie de faire. Au milieu de tous ces scénarios depuis 2010,  j’ai commencé à en refuser 9 sur 10. Pour mille raisons, je préfère parler des choses qui me plaisent. En tout cas dans ma filmographie jusqu’à aujourd’hui,  je n’ai jamais entrepris une chose pour de mauvais fondements.
Il y a des films plus ou moins bien, des choses que l’on aime ou pas, mais moi de mon côté j’ai jamais “cachetonné” [fait ça pour le cachet, ndlr], je n’ai jamais fait un film en me disant : “Ça va m’apporter quelque chose d’un point de vue carrière ou financier“. J’ai essayé d’être au plus proche de mes choix, et de faire des films que j’aimerais tout simplement bien voir.

J’aime l’alternance. Dans mes prochains projets, il y a Wim Wenders avec qui je vais commencer à travailler en mai et tourner en juin un truc très particulier : une adaptation d’une pièce de Peter Handke. Ça me plaît d’aller vers des choses expérimentales. Après il y a aussi La Rumeur [un groupe de rap français, ndlr] qui font leur premier long, qui sont mes amis avec lesquels on fait la route depuis un moment. Ce sera sûrement un film à petit budget.

Puis modestement, il poursuit : “Sur les premiers films, je ne me pose jamais comme donnant la chance à un petit jeune. Si je choisis de travailler avec quelqu’un, c’est que je l’estime assez pour me dire que pour moi aussi c’est une chance de travailler avec lui. En plus c’est excitant les premiers films, il y a une espèce de fièvre“.

L’amour du jeu

Le comédien semble donc être à la recherche d’expériences, et de ses réponses transpire avant tout l’amour du jeu. Un amour qu’il a développé très tôt, grâce à son père l’acteur Malek-Eddine Kateb. “Je pense que mon goût du jeu est né à l’âge de 3-4 ans, quand je suivais mon père en tournée et en répétition. J’étais dans les coulisses et je voyais des adultes se déguiser, des adultes qui avaient la possibilité de garder une vie dans laquelle ils s’amusent”, se souvient-il
À force de traîner dans les coulisses, Reda Kateb finit par se faire inviter à monter sur les planches quelques années plus tard. À 8 ans, il débute dans une pièce d’un ami de son père. Un soir sur deux, il donne la réplique aux comédiens sur scène, et pour le gamin au regard curieux de l’époque, c’est une révélation :

Après cette expérience, j’ai dit à mon père : “Je veux faire ça” mais j’avais 8 ans… À 11 ans, mon père a fait l’adaptation d’un roman de Tahar Ben Jelloun au théâtre, et il m’a offert un rôle. J’ai donc commencé à partir avec lui en festival et en tournée, à monter sur les planches, à vivre ça.

L’adolescence est une période décisive pour Reda Kateb. Au lycée, il fait un bac option théâtre à Vitry-sur-Seine avec “des jeunes de quartiers” qui, comme lui, s’intéressent à Shakespeare et à Molière. “Kery James était dans ma classe en seconde et je l’ai vu déclamer du Shakespeare comme je n’avais jamais vu personne en déclamer. Ou Cyrano de Bergerac. Je me souviens encore de la tirade du nez par Kery James, c’est marrant à imaginer aujourd’hui”, se remémore-t-il dans un sourire. “On écrivait des sketchs, on avait plein d’idées, on avait de l’ambition.”
Mais il n’y a pas que le théâtre dans la jeunesse de Reda Kateb. Sa mère “très cinéphile” l’initie aux joies du septième art, ce qui le conduit à travailler quelque temps dans un cinéma comme ouvreur puis projectionniste remplaçant. Autre choc, la découverte du hip-hop. “C’était le début des années 90 donc il y avait des choses qui bougeaient, j’ai vu les débuts de NTM, de IAM… Plein de choses m’ont inspiré, des choses dans lesquelles je me retrouvais en grandissant à Evry et Vitry. Mais je n’ai jamais voulu faire du rap (rires). Mais il y a quelque chose de cette culture qui est imprimée en moi.”

Identités

Grâce à ma prof de français au lycée, à mes parents et à cette mythologie autour de Kateb Yacine dans ma famille, je me suis forgé un rapport à la langue qui est notamment de pouvoir maîtriser plusieurs langages, plusieurs modes de langue. Ça me sert dans mon métier de comédien, mais aussi dans la vie. Ça m’a aussi servi à faire un entretien d’embauche, à partir en colo’ avec que des mecs de quartier et à me retrouver. À être moi-même dans des modes de langage différents.

Ses origines arabes, on lui en a (trop) souvent parlé : On ne me pose plus la question, enfin de temps en temps et je n’aime pas trop ça. Mais j’ai encore lu il y a pas si longtemps “la place de l’arabe au cinéma a changé” mais moi je ne suis pas l’arabe au cinéma, j’ai plein d’origines différentes.” 
Une autre sujet qu’il s’est aussi lassé d’aborder : sa “gueule”. Depuis le début de sa carrière au cinéma, elle a fait couler de l’encre, ce qui a un peu laissé l’acteur perplexe :

C’est très français cette chose de gueule. Est-ce qu’on a dit à Jack Nicholson, à Philip Seymour Hoffman, Al Pacino et De Niro qu’ils étaient des gueules ? Non. Quand on me parlait de ma gueule, est arrivé un moment où je ne savais juste pas quoi dire quand on me demandait : “Alors vous en pensez quoi d’avoir une gueule ?” “Bah faut demander à ma mère, je sais pas“, ça me mettait un peu dans l’embarras de ne pas savoir quoi répondre.

Une carrière américaine

Son visage marqué, qui aurait pu l’enfermer dans une catégorie de rôles de “bad boys”, lui a finalement permis de se glisser dans la peau d’une large palette de personnages, et à être demandé par des réalisateurs qui en rendraient jaloux plus d’un. Après une première expérience américaine avec Zero Dark Thirty de Kathryn Bigelow en 2013, récemment, c’est Ryan Gosling qui l’a sollicité pour son premier long métrage. “Il m’a envoyé un mail via mon agent avec son scénario en me proposant le rôle. Je l’ai rencontré deux jours avant de tourner à Détroit aux États-Unis”, raconte Reda Kateb. 

J’avais déjà du respect pour lui au-delà de l’acteur de Drive, je l’avais vu dans d’autres films, je sentais qu’il avait un univers, il avait quelque chose, c’est vraiment du flair, presque chimique. Il m’avait vu dans Un prophète et Zero Dark Thirty et il m’a proposé un rôle très différent.

Ce rôle, c’est celui d’une sorte d’ange bienfaiteur dans le monde noir et suffoquant construit par Ryan Gosling dans son beau Lost River. “C’est toujours particulier car quand on reçoit un scénario comme ça, on espère qu’on va aimer. Je n’ai pas été déçu, j’ai beaucoup aimé.” Bingo.

Le tournage, “c’était génial” avec “beaucoup d’improvisation“. L’apprenti réalisateur met en confiance son équipe, et noue une vraie relation avec les acteurs. “La première nuit de tournage il m’a dit : “T’es pas du tout obligé de dire ton texte, on peut très bien rouler pendant deux heures en bagnole sans rien dire, je te filme et on va voir si a un moment les mots viennent.” C’est ce qu’on a fait, il avait une petite caméra qu’il tenait lui-même. C’était assez marrant de conduire avec l’acteur de Drive qui me filmait.”

Pitchoune

Pour l’acteur, qui en “seulement” six ans de carrière compte déjà une filmographie ultra-riche, l’étape suivante s’est présentée de manière plutôt naturelle. À l’image de Ryan Gosling, c’est derrière la caméra qu’il a fait ses débuts il y a quelques mois en tournant son premier court métrage.
Pour ce film, Reda Kateb s’est inspiré de sa propre vie, et notamment de quelques années de galère qui ont donné naissance à l’histoire de Pitchoune :

À une époque,  j’allais faire le clown dans des anniversaires pour enfants chez des gens qui avaient des grands appartements ou des maisons, ou j’étais envoyé comme animateur, clown, cowboy ou pirate dans des comités d’entreprise, des évènements.
Il y a une dizaine d’années, j’ai fait deux jours d’animation au salon du camping car, et j’ai trouvé qu’il y avait quelque chose de tragicomique dans cette situation d’être habillé en clown, d’aller manger à la cantine habillé et maquillé au milieu d’un salon. Je m’étais dit que j’en ferais quelque chose, je ne savais pas encore quoi, et c’est devenu cette petite histoire.

Avec Pitchoune, dont le montage vient tout juste de s’achever, le très talentueux Reda Kateb rajoute une nouvelle corde à un arc déjà bien garni. Et pour la suite, il compte bien continuer à se faire plaisir, et à faire confiance à son (redoutable) instinct. “Jusqu’à présent je ne me suis pas trompé. Quand bien même je refuserais un film qui serait un grand succès derrière, je n’aurais pas de regrets.” 
Propos recueillis avec Louis Lepron.