Qui est Filip Ćustić, l’artiste qui redessine la tech et distord l’humain pour mieux comprendre les machines ?

Qui est Filip Ćustić, l’artiste qui redessine la tech et distord l’humain pour mieux comprendre les machines ?

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© Filip Custic

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Par Flavio Sillitti

Publié le

On a discuté avec Filip Ćustić, dont l'art techno-dystopique nous fait "sortir du programme humain".

Né en 1993 à Santa Cruz de Tenerife, en Espagne, Filip Ćustić est un créateur à l’art protéiforme, déjà exposé dans le monde entier. Ses œuvres se lisent comme des poésies techno-dystopiques, sans jamais basculer dans le sombre ou le tordu. La beauté est ici évidente, les tons sont vifs, les lignes sont pures, les détails pullulent. C’est fascinant.

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S’il s’est fait connaître pour avoir signé la pochette du second album El Mal Querer de Rosalía ou les visuels de Lil Nas X, l’artiste à la fois photographe, designer et performeur fait s’exprimer ses œuvres aux quatre coins du monde. À l’occasion de sa dernière exposition en date, “human product”, au Parco Museum de Tokyo en collaboration avec la Colección SOLO, Ćustić souhaite “sortir du programme humain”, comme il nous le confie. Rencontre.

Konbini | Ton art s’inspire beaucoup de la technologie, avec des filtres visage in real life ou de nombreuses machineries high-tech dans tes visuels. Comment définirais-tu ta relation à la technologie ? La trouves-tu parfois effrayante ?

Filip Ćustić | Le concept de technologie ne m’effraie pas, il me fascine. Selon moi, c’est l’une des inventions humaines qui reflètent le mieux notre tendance à nous prendre pour Dieu, tout le temps. Aujourd’hui, j’ai le sentiment que la technologie est l’un des seuls éléments constamment en mouvement de notre époque. C’est un medium infini, avec des possibilités d’évolution sans bornes, et donc une source d’inspiration inépuisable pour moi.

“La technologie est un medium infini, avec des possibilités d’évolution sans bornes, et une source d’inspiration inépuisable pour moi.”

Tu passes de la photographie à la vidéo, de la sculpture à la performance, pour incarner une espèce de chimère techno-artistique. Choisis-tu volontairement cette pluralité ?

J’avais l’habitude de ne m’exprimer que par le biais de la photographie. Mais il y a quelques années, j’ai commencé à diversifier mes supports de communication. J’ai commencé à jouer avec la sculpture, à matérialiser mes idées en vidéo, à jouer avec des moyens plus virtuels tels que les filtres. Au fur et à mesure, mon art est lui-même devenu une technologie et c’est dans cette direction que j’aimerais aller.

Tu t’inclus toi-même, ou du moins des versions de toi, dans ton art. C’était un choix évident ?

Je pense que nous vivons à l’ère de l’ego, mais aussi de l’amour de soi. Notre époque est très narcissique, mais en même temps, ce choix de m’inclure dans mes œuvres est une réponse à cette fascination existentialiste qui me pousse à questionner qui je suis, qui j’étais, qui je vais être.

“Notre époque est très narcissique. Ce choix de m’inclure dans mes œuvres est une réponse à cette fascination existentialiste.”

Tu as réalisé des visuels pour des artistes comme Rosalía ou Lil Nas X. Quel est le défi le plus difficile à relever lorsque tu dois mêler ton propre univers à celui d’un·e autre artiste ?

Lorsque je travaille avec quelqu’un, je lui demande une totale liberté de création, car je ne peux mettre en avant que ce en quoi je crois. Si on me force à faire quelque chose, cela ne va pas bien se passer. Les projets avec Rosalía et Lil Nas X se sont très bien passés parce que les deux m’ont laissé une liberté créative totale. De plus, j’ai besoin de gens qui m’inspirent et c’est le cas de Rosalía et Lil Nas X. Beaucoup d’artistes m’ont contacté et j’ai refusé la collaboration parce que je n’ai pas ressenti cette connexion, et je pense que je dois être loyal envers moi-même.

Dans tes œuvres, la sexualité est toujours suggérée, mais jamais montrée directement. On ne voit jamais d’organes sexuels, qui sont subtilement cachés par des mains, des tissus. Comment traduirais-tu cette pudeur ?

C’est vrai que je ne représente jamais de corps entièrement nus. Je complète toujours cette nudité par quelque chose, et c’est ainsi que j’aime habiller le corps. Pour être honnête, je ne compose pas des “nus” de façon consciente, je n’ai pas l’intention de montrer ou cacher certaines parties du corps. C’est tout simplement l’aspect qui fonctionne le mieux pour la composition générale, donc je l’intègre de cette façon. Mais je ne pense jamais une création en fonction d’un corps. Je crée le corps pour compléter l’histoire que je veux raconter.

“Je crée le corps pour compléter l’histoire que je veux raconter.”

Ta première exposition solo au Japon s’intitule “human product”. Que raconte-t-elle ?

Pour “human product”, la culture capitaliste a complètement stimulé mon imagination. Je voulais ouvrir le débat autour de la façon dont la culture consumériste tente de nous transformer en “marchandises”, en nous faisant croire que notre existence n’est valable que si elle peut être monétisée. Mon art propose une réflexion sur l’existence humaine et notre capacité à nous (re)mettre à jour, presque comme des systèmes d’exploitations (OS), tout en examinant notre tendance à créer des systèmes complexes pour donner un sens à nos vies.

Y a-t-il des émotions spécifiques que tu voulais transmettre à travers cette exposition ?

Je voulais que les gens découvrent de leurs propres yeux des choses qu’ils n’ont jamais vécues auparavant. J’aimerais que l’exposition leur ouvre l’esprit, afin qu’ils puissent sortir des sentiers battus. Je veux simplement que les gens fassent l’expérience de nouveaux paradigmes, de nouvelles situations, afin que nous puissions sortir du “programme humain”.

Il y a un message politique clair dans “human product”, concernant le consumérisme et le capitalisme. Est-ce que c’était une volonté de départ de proposer un projet politisé ?

Je pense qu’à l’heure actuelle, les humain·e·s se concentrent beaucoup sur l’achat et la vente. Le concept de capitalisme en lui-même est très axé sur l’argent, mais je pense que ça devrait davantage être axé sur l’humain, pour savoir d’où nous venons et comment on a laissé le capitalisme nous entourer. C’était donc un choix volontaire que d’aborder le capitalisme, ce grand jeu complexe que nous avons créé, en tentant d’en sortir et de le déconstruire.

Vous pouvez suivre le travail de Filip Ćustić sur son site et son compte Instagram. PARCO Museum in collaboration with Colección SOLO