Quel est ce tableau retrouvé qui traite du premier cas de harcèlement sexuel de l’Histoire ?

Quel est ce tableau retrouvé qui traite du premier cas de harcèlement sexuel de l’Histoire ?

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© Artemisia Gentileschi/Roi Charles III/Royal Collection Trust

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Par Lise Lanot

Publié le

En représentant cet épisode biblique, Artemisia Gentileschi dresse un lien avec sa propre histoire difficile.

Depuis un siècle, le tableau traînait dans une réserve du Hampton Court Palace, ancienne demeure du roi Henry VIII, jusqu’à ce qu’il en soit sorti en 2018 et qu’une équipe se mette à le restaurer et à questionner son attribution, jusque-là imputée à L’École française.

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Après cinq ans de travail, les spécialistes l’affirment désormais avec certitude : la toile représentant Suzanne et les vieillards est l’œuvre de la peintre Artemisia Gentileschi. L’annonce est d’importance, et ce pas seulement parce qu’Artemisia Gentileschi est une des rares peintres femmes du XVIe siècle à avoir pu exercer et atteindre la postérité. Le thème du tableau a fréquemment été convoqué dans l’histoire de l’art mais il se teinte d’une dimension particulière à la lumière des expériences vécues par son autrice.

Suzanne, la première victime de harcèlement sexuel de l’Histoire ?

On lit l’histoire de cette jeune femme se baignant seule et dérangée par deux vieillards concupiscents dans la Bible, dans le livre de Daniel. Elle refuse leurs avances et, surtout, leur chantage, puisqu’ils la menacent de l’accuser d’adultère si elle ne cède pas. Courageuse, et bien que pesant peu de choses face à la domination des deux hommes, anciens juges, Suzanne refuse et se retrouve condamnée à mort avant d’être sauvée par le jeune prophète Daniel.

La parabole a été convoquée de bien nombreuses fois à travers l’histoire de l’art. La peintre Suzanne Valadon a même tiré son pseudonyme de l’épisode puisque, comme le personnage biblique, elle s’affranchit des hommes âgés (pour qui elle posait au début de sa vie) et des artistes tels que Rubens, le Tintoret ou Van Dyck s’en sont inspirés pour leurs œuvres. Il est intéressant de noter que selon les représentations, les points de vue divergent : Suzanne est tantôt séductrice tantôt victime. Elle semble parfois lancer des œillades au public, comme chez Francesco Hayez ; tandis qu’elle est parfois montrée violentée, maltraitée et apeurée – chez Gerrit van Honthorst, Alessandro Allori ou Artemisia Gentileschi.

Artemisia Gentileschi, Suzanne et les vieillards, 1638–1639. (© Roi Charles III/Royal Collection Trust)

La toile retrouvée au Hampton Court Palace est datée de la fin des années 1630. À ce moment, Artemisia Gentileschi vivait à Naples, après avoir quitté Rome, Venise et Florence et après avoir gagné le procès qui l’opposait à son violeur et ancien mentor artistique. Le peintre Agostino Tassi, aidé d’un autre homme, avait violé l’artiste lorsqu’elle était âgée de 18 ans, alors que le duo travaillait sur des fresques. Témoin directe de cet événement traumatique, une amie d’Artemisia Gentileschi avait refusé de lui porter secours.

Pour “rétablir son honneur”, Agostino Tassi promet d’épouser Artemisia Gentileschi, promesse qu’il n’a jamais tenue et qui a convaincu le père de la jeune artiste de lui intenter un procès. Lors du procès, la peintre a dû subir un examen gynécologique pour prouver qu’elle n’était plus vierge. “N’importe qui aurait été brisé par cette expérience. Mais Artemisia a rebondi”, analysait Elizabeth Wicks plus tôt dans l’année auprès du Guardian. Artemisia Gentileschi est devenue l’une des peintres les plus influentes de sa génération, travaillant pour une clientèle internationale et pour la cour du roi d’Angleterre Charles Ier à une époque où les artistes femmes étaient bien rares et négligées.

Forte de son caractère et de son art, Artemisia Gentileschi a traité de son viol dans ses œuvres, qu’il s’agisse d’un autoportrait nu intitulé Allégorie d’inclinaison et au travers des histoires d’autres femmes, à l’instar de son Judith décapitant Holopherne ou, ici, de Suzanne harcelée par des vieillards. La baigneuse a trouvé sa rédemption et la peintre aussi, grâce à un prophète pour la première, et l’art pour la seconde.