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Quand les grands réalisateurs américains se la jouent écrivains

Quand les grands réalisateurs américains se la jouent écrivains

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(© AEG Presents)

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Par Leonard Desbrieres

Publié le

La suite d’un film iconique, des mémoires, des romans : les monstres sacrés d’Hollywood délaissent leur caméra pour se consacrer à l’écriture.

Depuis plusieurs mois déjà, dans les étals des librairies, trônent des noms bien connus mais qu’on n’a pas tellement l’habitude de voir ici. Quentin Tarantino, Michael Mann, Brian De Palma, David Cronenberg ou encore John Waters : mais quelle mouche a piqué les réalisateurs stars d’Hollywood ?

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Non content de nous éclabousser avec leurs rêves de cinéma, les monstres sacrés de la caméra jouent désormais aux écrivains et espèrent convaincre, le crayon à la main.

Le polar au firmament : Michael Mann, Heat 2

(© Harper Collins)

À force de prier sans jamais voir notre souhait exaucé, on avait fini par renoncer. Jamais Michael Mann ne tournerait la suite de son chef-d’œuvre culte, Heat (1995). Une mise en scène virtuose, une tension à couper le souffle, un Los Angeles sombre et tentaculaire, et puis cette confrontation, inoubliable, tout en style et en punchlines entre les deux légendes Robert De Niro et Al Pacino : pour profiter de ce formidable geste de cinéma, il ne nous restait plus qu’à revoir régulièrement, sous tous les angles, ce monument du polar en savourant les scènes que l’on connaît par cœur et en croisant les doigts pour découvrir un moment de grâce qui aurait pu échapper à nos yeux de spectateur.

Et puis, à l’hiver dernier, Michael Mann a surpris tout le monde en annonçant, grâce à une bande-annonce cryptique, la sortie surprise de Heat 2 aux États-Unis. Depuis quelques années, Michael Mann travaillait donc sur la suite de son histoire. Rien n’avait filtré car ce n’était pas un film qu’il préparait, mais un roman qu’il écrivait dans le plus grand secret. Avec l’aide de Meg Gardinier, une des fines lames du roman policier américain qui a coécrit le livre, Michael Mann s’est donné les moyens de nous offrir un deuxième opus éblouissant.

Preuve que cette histoire n’a jamais cessé de le hanter, le réalisateur fait commencer son livre quelques minutes seulement après le générique de fin de son film et on suit le lieutenant Hanna (le personnage incarné par Al Pacino, donc) dans sa traque survoltée de Chris Shiherlis, le dernier survivant du gang de braqueurs interprété, à l’époque, par Val Kilmer.

Mais Michael Mann bâtit un puzzle romanesque bien plus complexe qu’une simple suite. Si, dans ses premières pages, le livre prend la forme classique du sequel, il alterne rapidement avec le prequel. D’un côté le présent, cet ultime duel entre un flic obsédé et un voyou en cavale, de l’autre le passé des deux personnages emblématiques de cette histoire, Neil McCauley (Robert De Niro) et Vincent Hanna.

(© Warner Bros.)

Michael Mann réussit un tour de force en jonglant avec les récits et en donnant une nouvelle ampleur à son univers envoûtant. Les dilemmes qui rongent les héros, le paradoxe entre la violence cruelle et le charme irrésistible des gangsters, les décors qui engloutissent peu à peu les personnages : Heat 2 n’est pas qu’un roman magistral et le polar de l’année, c’est le manifeste passionnant d’un génie du cinéma.

Et comme une bonne nouvelle n’arrive jamais seule, le tournage de Heat 2 est déjà dans les tuyaux. Avec un retour très probable d’Al Pacino et un Austin Butler (Elvis) pressenti pour le premier rôle. Trop de bonnes nouvelles à la fois.

Pan ! pan ! : Al Pacino devrait reprendre son rôle culte dans la suite de Heat de Michael Mann

Confessions d’un amoureux fou de cinéma : Quentin Tarantino, Cinéma Spéculations

(© Flammarion)

Depuis quelque temps, on entend toujours le même refrain dans les interviews de Quentin Tarantino. Il en aurait bientôt fini avec son cycle de cinéma, il aurait déjà tout dit, son dixième film serait le dernier. Avec, à chaque sortie de ce genre, la même conclusion : il aurait hâte d’ouvrir un nouveau chapitre de sa vie et de devenir écrivain.

Si l’on est en droit de douter des annonces du réalisateur fantasque, force est de constater qu’une sorte de migration artistique a commencé. L’année dernière déjà, il signait un roman intitulé Il était une fois à Hollywood, une novellisation de son dernier film qui n’avait pas forcément convaincu. D’abord, parce que le concept même de novellisation n’avait pas grand intérêt, ensuite, parce que le style boursoufflé et grandiloquent de l’auteur pouvait, par moments, agacer.

Heureusement, Quentin Tarantino prend aujourd’hui une magnifique revanche avec ce second livre qui vient tout juste de paraître et nous offre une déambulation autobiographique passionnante dans la vie et dans la cinéphilie d’un amoureux transi du septième art.

La Trilogie du dollar de Sergio Leone, Bullitt, French Connection, Taxi Driver : à chaque film, son chapitre mêlant coulisses, analyse historique, critique et digressions personnelles. Foisonnant, parfois déconcertant, toujours incroyablement érudit, Cinéma Spéculations est une plongée, caméra à l’épaule, dans le Los Angeles des années 1960 et 1970 et une déclaration d’amour au cinéma de quartier, lieu magique d’une jeunesse et d’une vie dédiée au cinéma.

Surprise : Quentin Tarantino sera sur la scène du Grand Rex pour une soirée unique le 29 mars

Mémoire d’un vieux dégueulasse : John Waters, M. Je-Sais-Tout

(© Actes Sud)

La galerie de monstres dans Multiple Maniacs, la course à l’horreur dans Pink Flamingos ou l’infernal voyage initiatique dans Female Trouble : il faut voir le cinéma de John Waters pour le croire. Chaque œuvre du pape du trash, du roi de l’underground produit irrémédiablement le même effet sur le spectateur. Au moment de pénétrer dans son univers, on est écartelé entre une joie presque enfantine, une envie de rire à gorge déployée de l’absurdité du monde et une terrible appréhension, la peur d’être choqué par un délire pervers qu’il aurait poussé trop loin.

Presque 40 ans après Provocation, son premier livre, un horrible petit traité de mauvais goût devenu au fil du temps un objet collector introuvable, John Waters s’offre une nouvelle virée littéraire et renfile le costume de l’écrivain pour s’adonner à l’exercice périlleux des mémoires. À 75 ans, Papy Waters se serait-il assagi et voudrait-il simplement nous raconter sa vie ?

Conseils impurs d’un vieux dégueulasse : à lui seul, le sous-titre nous donne une réponse assez claire. Ici, pas de nostalgie ou de repentance mais un répugnant manuel de savoir-vivre pour en finir avec la bienséance et mettre l’insolence au centre de votre existence.

John Waters détourne les codes du développement personnel et dynamite à tout va la morale ambiante. Qu’il évoque sa période underground et ses déboires hollywoodiens ou qu’il livre ses pensées sur la sexualité, le militantisme, la drogue ou la mort, le réalisateur sort la sulfateuse et nous arrose avec un humour noir destructeur.

Pour une double dose de trash, les éditions Gaïa feront paraître au mois de mai son tout premier roman, Sale menteuse que l’auteur présente lui-même comme une romance feel-bad outrancière et déviante. Surpris ?

David Cronenberg, Consumés

(© Folio)

Dans la catégorie des réalisateurs barrés, David Cronenberg est, lui aussi, très bien placé. Avec des films de genre sombres, dérangeants, parfois même à la limite du supportable comme Videodrome, La Mouche, Crash ou encore plus récemment Les Crimes du futur, le Canadien a développé un univers vénéneux qui joue avec les fantasmes les plus pervers liés à la technologie. Sociétés gangrenées par la course à l’innovation, corps maltraités par le transhumanisme, sexualités métamorphosées par l’avènement des machines : bienvenue dans des mondes futuristes où l’Homme est au bord du gouffre.

Avec la richesse de ses univers et la puissance d’écriture de ses scénarios, ce n’était qu’une question de temps avant que David Cronenberg ne fasse le grand saut. Consumés est un roman hypnotique qui concentre toutes les obsessions du réalisateur. Naomi Seberg et Nathan Math, deux journalistes à la fois amants et concurrents, se sont fait un nom dans le photojournalisme sensationnaliste et traquent aux quatre coins du globe, les affaires les plus spectaculaires et les plus sordides. À Paris, Naomi se lance dans une folle enquête sur les traces d’un professeur de la Sorbonne accusé d’avoir tué puis mangé une partie de sa femme. À Budapest, Nathan rencontre un chirurgien controversé qui aurait fait, du trafic d’organes, une spécialité. Ces deux histoires n’ont rien à voir et pourtant, elles sont liées.

Un trip halluciné au pays des pires atrocités, des déviances sexuelles les plus outrancières et de l’emprise délirante de la technologie sur nos vies. Seul bémol, la forme complexe et alambiquée du récit qui laisse à penser qu’entre le scénario et le roman, Cronenberg a eu du mal à trancher…

Le roman policier vintage – Brian De Palma, Les serpents sont-ils nécessaires ?

(© Fayot)

Comment reprocher à Brian De Palma son absence des plateaux de tournage ? À 82 ans, le réalisateur virtuose des films culte Carrie au bal du diable, Scarface, Les Incorruptibles, Mission impossible ou encore L’Impasse semble savourer un repos bien mérité. À part le film Domino en 2019, complètement passé à la trappe et un échec commercial cuisant en 2012 avec Passion, il faut remonter au Dahlia Noir en 2006 pour trouver la trace d’un succès de Brian de Palma. Comme un symbole de son œuvre sombre et sanglante, un polar noir, adapté de James Ellroy, un thriller étouffant sur lequel plane l’ombre d’Alfred Hitchcock.

Mais sur ses vieux jours, le réalisateur a trouvé un nouveau moyen de raconter ses histoires, plus intimiste, moins ambitieux, qui ne nécessite pas la même équipe surtout. Il écrit le roman du film qu’il ne pourra jamais tourner. En compagnie de sa femme Susan Lehman, il signe un polar délicieusement vintage.

L’histoire d’un directeur de campagne sans scrupule qui, pour faire gagner le sénateur pour lequel il travaille, recrute une jeune serveuse chargée de séduire un concurrent. L’histoire surtout d’une femme qui a plus d’un tour dans son sac. Si l’écriture est légère et le style simpliste, la narration galopante et l’ambiance feutrée font mouche.

Un thriller sans prétention, bien loin de son cinéma magistral mais, quoi qu’il en soit, on ne se lasse pas de la patte Brian De Palma.