Pourquoi les voix les plus cheloues du rap sont devenues les plus écoutées ?

Pourquoi les voix les plus cheloues du rap sont devenues les plus écoutées ?

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Par Aurélien Chapuis

Publié le , modifié le

Khali vient de sortir un album très attendu qui est déjà un beau succès. So La Lune continue son ascension avec un EP. Retour sur ces voix atypiques qui font le rap actuel.

Chaque semaine, Aurélien Chapuis, alias Le Captain Nemo, revient sur l’actualité du rap avec ses coups de cœur, ses découvertes et les enjeux du moment avec aussi 5 morceaux forts de la semaine et une conclusion nostalgique à l’ancienne.

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Sur IL ME RESSEMBLE PAS NON PLUS, le rappeur Khali fait exactement ce que son public attendait : déjouer les attentes. Déjà avec son projet LAÏLA sorti l’année dernière, Khali se plaçait comme un vrai auteur tortueux, un ambassadeur parfait de la next gen. Mais ce qui caractérise vraiment le style de Khali à la première écoute, c’est une recherche vocale différente, une signature bien éloignée des standards rap français.

Sur son album, Khali teste énormément grâce à un choix d’instrumentaux très large et très pointu. La recherche musicale originale, la mélodie distordue, une façon très personnelle de se raconter, le détail du mix quasi ASMR et le placement symbolique d’un petit élément caché comme un bonus dans un jeu vidéo : c’est la somme de tout ça qui intéresse actuellement le public rap français.

Des projets de plus en plus exigeants avec des artistes qui parlent de moins en moins en dehors de leur musique et qui ont des voix cheloues. C’est aussi le cas de So La Lune qui, depuis plusieurs mois voire plusieurs années maintenant, développe un univers singulier qui lui est propre, écorché vif, puissant et détaché à la fois. Jusqu’à finir en featuring sur le très bon “Transmission Automatique” de SCH, extrait de son dernier projet Autobahn.

Déjà avant ça, son morceau “Rodé” est devenu un classique, chanté à tue-tête dans les soirées spécialisées. C’est le cas notamment dans les Mouse Party dans lesquelles j’ai la chance de jouer et de voir ainsi monter les cotes de popularité de certains morceaux, de certains profils. “Rodé”, c’est un raz de marée.

So La Lune vient de sortir un nouvel EP nommé Kenna. Mon morceau préféré reste “Gepetto” pour son petit piano entêtant et sa mélodie enivrante. C’est celui où le rappeur cherche le plus à tordre les notes, comme si elles étaient du métal dans une forge et qu’il était en train de les façonner, comme Héphaïstos. Intéressant de voir aussi la collaboration avec Green Montana, un gros potentiel. Avec près de 500 000 auditeurs mensuels sur Spotify, So La Lune devient vraiment une valeur sûre du rap en français.

C’est assez fou de se dire que les recherches alternatives du rap indépendant des années 2000 (La Caution, Grems, TTC ou Triptik) sont devenues une certaine norme actuelle, musicale via des artistes comme Laylow ou La Fève, et vocale avec des Khali ou So La Lune. Cette liberté vocale a finalement commencé avec Koba LaD et son “Freestyle Ténébreux” qui fête ses cinq ans aujourd’hui, mais aussi Diddi Trix ou Chily dans leur style respectif.

Toute cette nouvelle tendance d’expérimentation vocale n’est évidemment pas une spécificité française. De l’autre côté de l’Atlantique, cette mouvance a commencé avec Young Thug et donc Gunna, Lil Keed et tous ses affiliés créatifs. En ce moment, Cochise a aussi une énorme cote de popularité, notamment avec un nouveau single dont j’ai parlé il y a peu.

La musique de Yeat est aussi très exigeante et continue d’intéresser un public de plus en plus large avec quasiment des suites d’onomatopées minimalistes accompagnées de nappes futuristes. L’alternatif est en train de devenir la norme, comme si le cycle actuel du rap arrivait à une fin. C’est franchement ce qu’on pouvait lui souhaiter de mieux.

Le 5 majeur de la semaine

Sto – 5 étoiles

Le rappeur du Nord de la France vient de sortir son premier projet Time Out (Vol.1) et comme à son habitude, il y a énormément de propositions musicales. Toutes les rythmiques et toutes les ambiances y passent, toujours avec des petites touches électroniques parfaitement disséminées. Parmi mes préférées, on retrouve “Planètes (interlude)” et son rythme quasi drum and bass mais aussi ce “5 étoiles” qui passe d’un mode drill à un mode 2-step UK garage sans crier gare, en quelques secondes. La versatilité de Sto, l’originalité et la sincérité de ses propos en font vraiment un des artistes à suivre absolument maintenant.

The Alchemist avec Wiki et MIKE – One More

Vous savez que j’aime MIKE, j’en ai déjà parlé ici. J’adore aussi Wiki, une des voix actuelles de New York, il est vraiment efficace, technique et malin. Encore plus malin, ce mouv de Patta et Tommy Hilfiger qui, pour leur collection capsule, ont missionné Alchemist de produire un trois titres avec Wiki et MIKE. C’est cool, c’est ancré dans ses racines sans être nostalgique, c’est moderne sans être cliché. La bonne petite surprise de la semaine.

Key Largo – Jersey One

Le duo originaire de Gonesse vient de sortir un nouvel EP nommé Winter Key. Et comme à chaque livraison, j’y trouve mon compte. C’est toujours très actuel, provocant et efficace. Mais leur morceau que j’ai préféré ces derniers temps n’est pas sur l’EP. C’est ce “Jersey One”, sorti pendant l’été, qui reprend le même sample que Styles P pour son “Good Times” mais version jersey drill. Franchement, à chaque fois que je l’écoute, je me prends une pile. C’est CRUUUUUU. Écoutez Key Largo.

Young Nudy – Ready

Young Nudy est sûrement un des rappeurs que j’ai le plus écoutés en 2022. Son album EA Monster est une véritable réussite entre le minimalisme de Playboi Carti, la nonchalance de son cousin 21 Savage et l’expérimentation vocale de Gunna. Sur son dernier album, ce qui reste en tête, c’est surtout l’adéquation futuriste de son choix de production et de ses petites touches vocales impressionnistes. “Ready” était un de mes titres préférés, bien vaporeux. Très content de le voir adapté en clip.

OhGeesy – Gallery

La nouvelle génération californienne est aussi talentueuse que violente. Membre de Shoreline Mafia, OhGeesy est sûrement un des meilleurs représentants de cette scène florissante, entre basse écrasée au sol et phrasé glacial. Ce son menaçant qu’on pourrait placer entre l’histoire rapologique de la Bay Area et la scène vivace actuelle de Detroit, a encore des beaux jours devant lui. OhGeesy, avec son style différent, sa bonhomie et son bagout peut clairement remporter la couronne.

Ligne nostalgique

J’ai toujours été très fan du son d’Organized Noize, que ce soit sur les albums d’Outkast bien sûr, mais aussi et surtout sur les albums de Goodie Mob. Soul Food a été un vrai choc pour moi, bien plus qu’ATLiens, par exemple, que j’ai connu, bizarrement, plus tard. Mon groupe, c’était Goodie Mob. Quand j’ai découvert le clip de “Cell Therapy”, ça a changé ma vie (oui, oui). Leur premier album est un des CD que je cherchais absolument la première fois que je suis allé aux USA, en 1997. Je l’ai trouvé dans un petit dépôt-vente en Virginie. Un graal.

Mais quand, un peu plus tard, j’ai creusé les arcanes de la Dungeon Family, si influente sur le rap sudiste, j’ai découvert deux disques vraiment fous, que j’écoute en boucle depuis : Brainchild de Society of Soul et The Vinyl Room de Sleepy’s Theme.

Derrière ces deux formations très opaques et R’n’B, on retrouve, en fait, les trois membres d’Organized Noize : Rico Wade, Ray Murray et Sleepy Brown. Le deuxième projet, sorti en 1998, est plus tourné vers Sleepy Brown et son délire très chaud de soul suave, presque du Curtis Mayfield modernisé (avec qui Organized Noize travailleront d’ailleurs pour son dernier album). Mais les deux albums sont vraiment excellents et peu connus.

Un régal de les réécouter plus de 25 ans après, un autre pan de la discographie incroyable de ce collectif novateur, toujours actuel. Mention spéciale pour les clips que je n’avais jamais vus pour la plupart, toute une époque. Bonne semaine !