On a fait écouter Aya Nakamura à… Aya Nakamura, spécialiste du féminisme en France

On a fait écouter Aya Nakamura à… Aya Nakamura, spécialiste du féminisme en France

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© Mathieu Rocher pour Konbini

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Par Mathieu Rocher

Publié le

Au Japon, nous avons rencontré l’autre Aya Nakamura, universitaire spécialiste du féminisme… en France.

La potentielle Queen de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques s’est affublée d’un patronyme qui claque pour nous, alors qu’il est parfaitement ordinaire au Japon. À Tokyo, nous avons proposé à Aya Nakamura, universitaire spécialiste du féminisme en France, d’écouter les textes de l’artiste aux plus de 6 milliards d’écoutes sur Spotify. Un prétexte pour parler de statut des femmes, de diffusion de la culture nippone et même d’argot… Quand l’homonymie se mue en sororité.

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Tower Records est une institution de Shibuya, le quartier emblématique de Tokyo. Derrière son immense façade jaune et rouge, sept niveaux gavés de disques, dont un étage dédié aux vinyles et, depuis peu, au retour des K7, alors que le Japon reste un pays très consommateur de musique physique. Une immense succession de bacs dans lesquels on a fouillé à la recherche de Journal intime ou de DNK. Sans succès, le carton d’Aya Nakamura (qu’on désignera ensuite par ses initiales AN pour une meilleure compréhension) n’est pas encore parvenu sur l’archipel. Le personnel, un peu embarrassé par notre demande et, parce qu’on est Français, nous a plutôt guidés vers les opus des groupes pop tricolores qui marchent chez eux : Phoenix ou Tahiti 80. Pas grave, on avait amené le disque Aya qu’on s’est empressé de faire découvrir à… Aya Nakamura, chargée de cours à l’université Rikkyô à Tokyo.

Jeune fille rangée ?

Une rencontre qui fleurait bon l’évidence alors que, des Aya Nakamura, il y en a pléthore au Japon. Mais notre testeuse du jour, et son parcours peu commun, était destinée pour cette requête inattendue. Née à Tokyo, elle a vécu cinq ans à New York quand elle était enfant, puis aux Pays-Bas, suivant les mutations de son père. Admise à l’université de Tokyo, elle s’éprend des sciences humaines avant de se décider pour l’étude de grandes plumes féminines françaises. Ce sera d’abord Marguerite Duras, puis Simone de Beauvoir. “J’ai lu Le Deuxième sexe et les Mémoires d’une jeune fille rangée. Beauvoir y raconte que, dans son milieu, suivre des études poussées était quelque chose de mal vu. Et puis, à l’université de Tokyo, je me rends compte qu’il n’y a que 20 % de filles car l’institution est considérée comme la meilleure du Japon. Ça m’a choquée. Je me suis dit que les propos de Beauvoir étaient toujours opérants dans le Japon du XXIe siècle.” L’étudiante profite d’une année d’échange avec l’université de Grenoble pour venir en France, mais c’est finalement à Lyon qu’elle entreprend son travail de doctorat intitulé Devenir écrivaine de 1945 à 1970 (soutenu en 2023) avant de s’installer à Tokyo pour de bon. Retour à la maison, même si elle convient que “quand [elle est] en France, [elle a] un peu l’impression d’être aussi chez [elle]“.

Durant ses années dans l’Hexagone, elle a croisé une première fois AN : “C’est mon mari qui m’a acheté un disque parce que ça le faisait rire que nous portions le même nom”. Au quotidien, cette homonymie étonne dès qu’il lui faut réserver un restaurant ou aller chez le médecin, à sa grande surprise : “Enfant au Japon, j’ai toujours eu dans mes classes des camarades qui s’appelaient Aya et d’autres Nakamura”. Ce prénom se prête à plusieurs écritures et sens. Pour la chercheuse, il s’écrit 彩 et signifie “qui a de la couleur”. Quant à Nakamura, il s’agit du 7e patronyme le plus courant au Japon. L’anecdote est connue mais AN, née Danioko, a choisi ce nom en référence à Hiro Nakamura, le personnage de la série Heroes (2006-2010), joué par Masi Oka, qui a le pouvoir de maîtriser le temps. L’interprète de “Pookie” semble d’ailleurs sur la même voie tant sa trend dure. Un choix pas anecdotique qui montre, même par un passage par les séries US, l’impact tranquillement efficace de la culture japonaise dans le monde. Une impression qu’a souvent eue Aya Nakamura : “Quand je suis arrivée aux États-Unis, c’était la mode des Pokémon et des Tamagotchi. Plus tard, j’ai enseigné le japonais à l’INSA Lyon. Les élèves avaient 20 ans et étaient souvent très otakus de mangas, animes, jeux vidéo… Donc oui, j’ai pu constater que la culture japonaise se répandait. Où que j’aille à l’étranger, j’en trouvais des preuves”.

Le son de Shibuya

Côté musique, Aya Nakamura dévoile un fort éclectisme, du piano classique qu’elle a longuement pratiqué dans sa jeunesse, à Paul Simon, en passant par des références de la pop japonaise des années 2000 : Ayumi Hamasaki, Utada Hikaru ou encore Amuro Namie. Alors, les rythmes afrobeat ou dancehall d’AN, qu’en pense-t-elle ?

On commence par “Djadja” parce que y a moyen (l’interview ayant été réalisée le 1er mars, nous n’avons pas eu la possibilité de lui faire écouter la version all-time d’Amélie Oudéa-Castéra). Bien que parfaitement francophone, l’universitaire avoue qu’elle n’a pas tout compris. Puis, vient cet étrange moment où, au milieu d’un café tokyoïte, on en vient à expliquer la signification des paroles. Djadja = menteur, bails = histoires, y a R = y a rien… Finalement, peu importe pour la docteure en lettres qui a souri plusieurs fois à l’écoute et admet : “J’aime comment elle joue avec les mots. Sa façon de dire les choses m’intéresse. Le style est aussi une façon de déranger et parfois, c’est nécessaire”. Des inventions argotiques dont elle apprécie le côté ludique, elle qui a été beaucoup marquée par le propos et le style de Virginie Despentes, notamment de son King Kong théorie (Grasset, 2006).

Aya Nakamura écoutant Aya Nakamura © Mathieu Rocher pour Konbini

“Baby”, qui évoque les difficultés de communication entre hommes et femmes et la lâcheté des hommes, est l’occasion d’un rapprochement pour Aya Nakamura : “On dirait presque que c’est aux femmes d’éduquer les hommes. Ça existe en France comme au Japon. Ici, il y a un problème avec l’éducation à la sexualité. Elle existe dans certaines écoles privées, mais ailleurs, non. Il reste beaucoup de travail à faire pour évoquer les rapports entre les filles et les garçons”. Un propos qui résonne avec l’explosion du célibat au Japon. En 2022, un rapport du ministère chargé de l’Égalité de genres indiquait que 70 % des hommes entre 20 et 30 ans étaient célibataires, 50 % des femmes (en France, selon l’Insee qui dispose de chiffres pour les 26-29 ans, ces taux seraient de 30 % et 22 %). Écouter “Daddy” ou “Corazon” pour les faire se rapprocher, une solution ?

Féminisme sans frontières

Après “Hypé” et la miniature gorgeous à la robe verte qui l’accompagne, le girl power d’AN touche notre experte, surtout quand on lui fait part des critiques qui ont pu être lui être adressées : trop crue, trop sexy, trop tout… “Il y a de nombreuses façons d’être féministe. Quand AN met en avant son physique, c’est son choix. On peut assurément être féministe en ayant cette démarche. Toutes les façons sont possibles. Je me déclare également féministe.” Un étendard qui n’est pas si courant au Japon où le mouvement féministe existe, mais où certaines et certains ont du mal à le brandir pour ne pas heurter un ordre établi chéri par une large partie de la société japonaise. Une précaution dont ne s’encombre pas Aya Nakamura, qui allume sur les difficultés actuelles de son pays : “La volonté d’AN de défendre l’égalité est précieuse. Au Japon, nous avons de multiples problématiques d’égalité entre les genres. Par exemple, pour l’avortement, il faut le consentement du mari et l’accès à la pilule n’est pas si évident. Cela donne la sensation de la situation de la France des années 1980. Quand je suis revenue à l’université, je n’en revenais pas de constater que les garçons, qui venaient pourtant étudier la littérature, étaient aussi archaïques dans leur manière de raisonner”. AN/Aya Nakamura, même combat !