On a décrypté la couv Vogue de Rihanna, A$AP Rocky et leur bébé qui renverse les codes

On a décrypté la couv Vogue de Rihanna, A$AP Rocky et leur bébé qui renverse les codes

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© Sandro Botticelli/Galerie des Offices ; © Inez & Vinoodh ; © Léonard de Vinci/Musée de l’Hermitage

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Par Lise Lanot

Publié le

Taxée d'"émasculer" A$AP Rocky, la une de mars du British Vogue convoque nombre de références picturales et célèbre de nouvelles représentations, notamment autour de la maternité.

Le British Vogue ne déçoit jamais, notamment depuis l’arrivée à la tête de sa rédaction, en 2017, d’Edward Enninful, qui enchaîne les couvertures marquantes : choisir Kennedi Carter, photographe de 21 ans, pour shooter Beyoncé ; montrer Rihanna portant fièrement un durag ou rassembler neuf mannequins noires originaires du continent africain pour un numéro spécial, entre autres paris réussis.

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Le nouveau numéro ne faillit pas à la règle. Le magazine y fête l’arrivée du printemps avec une couverture présentant la nouvelle famille la plus puissante de la pop culture : Rihanna, A$AP Rocky et leur enfant – ainsi que, même si le couple ne le savait pas encore, un bébé à venir.

Attendue depuis de longues années concernant l’arrivée de son neuvième album et revenue en fanfare avec tous ses hits, une nuée de danseur·se·s et la présentation, déjà légendaire, de son baby bump lors de la mi-temps du Super Bowl, Rihanna a affirmé son retour de règne en introduisant sa famille en couverture de Vogue.

Parce que, sur la couverture, Rihanna devance son compagnon, qu’elle regarde fièrement l’objectif tandis qu’A$AP Rocky la suit, sa main dans la sienne, portant leur enfant, l’image a été vivement critiquée sur les réseaux sociaux par certaines voix qui avançaient qu’elle menaçait la masculinité. BREF.

Cependant, absolument chaque élément de la photo a une explication et reflète l’entretien du magazine et la vie du couple d’artistes. Shootée par le duo de photographes Inez & Vinoodh, la famille s’est retrouvée sur une plage de Malibu à la fin décembre. Si Rihanna se trouve au premier plan, et qu’elle est la seule à soutenir du regard l’objectif, c’est bien parce que la couverture affiche “Rihanna Reborn. The Superstar on Parenthood, A$AP Rocky and the mother of all comebacks”, et que l’entretien lui est dédié.

Le rappeur aurait même pu ne pas apparaître sur la couverture ; s’il est présent, c’est plutôt pour célébrer cette nouvelle ère de la vie de la chanteuse. Si A$AP Rocky ferme les yeux en embrassant leur enfant, c’est tout simplement parce que leur connexion, atteste la chanteuse auprès du journaliste de Vogue Giles Hattersley, est “indéniable”. “Je suis sur le banc de touche quand ils sont ensemble. Je suis clairement la fille qui essaie d’intégrer le boys club. [Le bébé] est obsédé par son père. […] Dès que Rocky croise son regard, il s’enflamme.”

Pas de surinterprétation à sortir de cette couverture donc, si ce n’est une célébration de l’ouverture des représentations liées à la famille et à la maternité contemporaines. À y regarder de plus près, la famille Fenty-Mayers convoque cependant une nuée de références artistiques. Décryptage.

Rihanna vs. La Vierge à l’enfant

Léonard de Vinci, Madonna Litta, vers 1490. (© Musée de l’Hermitage)

L’annonce(iation) d’un nouvel enfant est un thème récurrent de l’histoire de l’art, à commencer par une (autre) des familles les plus célèbres du monde, celle de Jésus et sa mère Marie. Les Vierge à l’enfant représentaient un passage obligé pour nombre de peintres, des débuts du Moyen Âge à la Renaissance.

Parmi les motifs récurrents de ces tableaux, on retrouve le tissu bleu marial réservé à la Vierge, la main de l’enfant tendue vers sa mère et l’unité formée par les deux personnages, le regard de la mère toujours baissé, comme pour rappeler son humilité.

S’il y a bien un (ou deux) absent(s) à ces tableaux, c’est le géniteur de l’enfant. Marie est majoritairement représentée seule avec son enfant, Joseph et Dieu étant aux abonnés absents. Rien de tel avec A$AP Rocky, nourricier, qui revendique sa paternité et surtout, sa tendresse pour son enfant rieur. Le bambin n’est plus seulement la responsabilité de la personne qui l’a enfanté. On note toutefois le respect des tons bleus propres à ces peintures, présents dans le paysage marin que foule Rihanna.

Rihanna vs. La Vénus sortie des eaux

Sandro Botticelli, La Naissance de Vénus, 1485. (© Galerie des Offices)

Voyant Rihanna s’élancer, majestueuse, à quelques mètres des vagues de Malibu, difficile de ne pas avoir en tête les représentations de Vénus anadyomène, c’est-à-dire la déesse, à sa naissance, sortant des eaux. La plus célèbre est celle signée Sandro Botticelli, en 1485.

Juchée dans la conque d’une coquille Saint-Jacques, Aphrodite cache son sexe de ses longs cheveux et une partie de ses seins de sa main. Elle est entourée de dieux et déesses qui aident son arrivée sur la terre ferme. L’air plutôt blasé, la déesse fixe un point inconnu du public, le regard dans le vide.

Là encore, Rihanna, son regard droit et son menton haut, est présentée en opposition aux représentations de cette figure mythologique. Vénus se laisse porter par les eaux, par le souffle de Zéphyr et une divinité qui vient cacher sa nudité. Rihanna au contraire, n’a besoin de personne et mène de front sa famille. Le mouvement de la chanteuse, en pleine marche, la hanche décalée, rappelle cependant la chevelure aérienne et le contrapposto de Vénus, cette posture célèbre de l’art classique qui présente une jambe fléchie portant le poids du corps.

Rihanna vs. Tamara en Bugatti verte

Tamara de Lempicka, Tamara en Bugatti verte, 1929. (© Collection privée)

Parmi les représentations picturales célèbres de femmes indépendantes, on note la Tamara en Bugatti verte de Tamara de Lempicka, un autoportrait Art déco où la peintre se met en scène au volant d’une superbe voiture de sport. Réalisée en 1929, la toile avait été commandée par le magazine de mode allemand Die Dame “pour figurer en couverture”, nous expliquions-vous en 2021.

La bouche rouge, le regard droit vers le public et les mains gantées serrées autour du volant, Tamara de Lempicka est sublimée dans une composition géométrique où se rencontrent le soyeux des tissus et la dureté chromée de la voiture. Elle s’y présente comme une “femme moderne de l’entre-deux-guerres, tournée vers le futur et l’émancipation dans l’habitacle d’un véhicule rapide, technologique et urbain”.

Près d’un siècle plus tard, Rihanna renverse les codes et a le pouvoir d’affirmer son indépendance et sa modernité justement en montrant sa cellule familiale, plutôt traditionnelle. Nul besoin d’une voiture rapide ou de se montrer seule, elle confirme son pouvoir et sa liberté selon ses propres termes, sa propre iconographie. Femme noire, mère de famille, milliardaire, chanteuse, actrice et femme d’affaires, Rihanna ne nous a pas encore fait goûter au neuvième album mais elle continue de décider des règles de notre son monde.