Sarah Gavron : “Les suffragettes ont eu un très gros impact sur notre Histoire”

Sarah Gavron : “Les suffragettes ont eu un très gros impact sur notre Histoire”

Pour mettre en lumière le mouvement des suffragettes, la réalisatrice Sarah Gavron en a fait le sujet de son dernier film. Nous lui avons posé quelques questions. 

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Les suffragettes ne figurent pas dans les livres d’Histoire, et pourtant, si les femmes britanniques ont aujourd’hui le droit de vote, c’est grâce à elles. Ces militantes ont commencé leur combat au début du 20ème siècle. Emmeline Pankhurst, l’une des plus grandes figures du mouvement, fonde l’Union sociale et politique des femmes en 1903. De nombreuses femmes la rejoignent et commencent des actions beaucoup moins pacifiques que leurs prédécesseures.

Elles détruisent des vitrines de magasins, brûlent des endroits symboliques et n’hésitent pas à aller en prison plutôt que de payer des amendes. Puisqu’elles ne sont toujours pas entendues, elles font des grèves de la faim et bientôt la population commence à apprécier ces femmes qui se battent pour l’égalité. En 1913, la suffragette Emily Davison est tuée lors d’un derby. Elle devient une martyre pour la cause.

Puis, il y a la guerre et les femmes sont obligées de reprendre le métier de leur mari. Les suffragettes se divisent : faut-il plus de radicalité ou plus de pacifisme ? Finalement, en 1918, les choses bougent enfin. Les femmes de plus de 30 ans sont autorisées à voter. Dix ans plus tard, ce droit est étendu à toutes les femmes. Le Royaume-Uni devient alors le huitième pays à donner à ses citoyennes un droit acquis depuis bien longtemps par les hommes.

Cette histoire des suffragettes n’avait jusqu’ici pas été jugée assez cinématographique pour être portée sur grand écran. Sarah Gavron s’en est donc emparée pour la mettre en lumière. Son film, sobrement intitulé Les Suffragettes, raconte l’histoire de Maud (Carey Mulligan), qui rejoint petit à petit le mouvement et participe aux actions des militantes. Pour en savoir plus, nous avons rencontré la réalisatrice qui nous explique la préparation du long métrage et son envie de parler de ces femmes qui ont participé à l’Histoire.

Konbini | Personne n’a fait de film sur le mouvement des suffragettes avant vous. Pourquoi avez-vous eu envie d’en parler ?

Sarah Gavron | C’était un mouvement très fort qui a eu un très gros impact sur notre Histoire. Et pourtant, ce mouvement n’est pas connu et il est marginalisé dans les livres d’Histoire. Je me suis dit aussi que cela résonnait avec beaucoup de choses qui se passent aujourd’hui dans le monde. On se bat toujours contre les inégalités envers les femmes, il y a toujours des violences policières, etc.

Comment avez-vous préparé le film ?

J’ai travaillé pendant six ans avec Abi Morgan, la scénariste et productrice du film, Faye Ward et Alison Owen [également productrices, ndlr] pour développer le projet et vraiment m’imprégner du script pour trouver le meilleur moyen de le faire.

C’était un énorme travail de recherche et il y avait beaucoup de manières différentes de raconter l’histoire. On en a exploré beaucoup. La préparation du film était un vrai travail parce que c’était un film ambitieux avec beaucoup d’action.

Qu’est-ce qui vous a le plus frappé quand vous avez lu l’histoire de ces femmes ?

J’étais choquée de découvrir la violence qu’ont subie ces femmes de la part de la police et de l’État. Mais j’ai été aussi frappée par ce qu’elles étaient prêtes à faire. Elles sont allées en prison, elles ont fait des grèves de la faim, des manifestations… Elles ont aussi tout perdu : leur métier, leur famille, leurs amis.

Pourquoi avoir voulu inventer le personnage de Maud, jouée par Carey Mulligan, et ne pas se concentrer sur l’une des figures qui a réellement existé ?

Le personnage de Maud est basé sur deux ou trois femmes qui ont vraiment existé. Pour éviter de faire un biopic, on a voulu faire un mélange de ces femmes. Mais il y a aussi des personnages qui ont réellement existé comme Emmeline Pankhurst ou Edith New. On a voulu que l’héroïne soit une femme de la classe ouvrière car celles-ci ont été gardées dans l’ombre mais elles ont eu un gros impact.

Pourquoi avoir choisi Carey Mulligan pour le rôle de Maud ?

J’ai toujours aimé son travail. Je pense que c’est l’une des meilleures actrices de sa génération. Elle est sincère et quand on la voit, on sent qu’il y a quelque chose de très profond qui se dégage. J’étais vraiment très heureuse de l’avoir.

Le film a un aspect plutôt moderne et ne ressemble pas aux autres films historiques qui ont pu être faits. Qu’est-ce que vous vouliez exprimer avec cette version plus moderne ?

On voulait que le public se mette à la place de ces femmes qui vivent en 1912 et ressentent vraiment ce qu’était leur vie. C’étaient des femmes d’action, il y avait beaucoup de mouvements, d’énergie et on voulait que ça apparaisse.

On voulait que les performances soient les plus naturelles possibles. On a utilisé de vrais vêtements d’époque et on a tourné à la Chambre du Parlement. D’ailleurs, nous sommes les premiers à avoir pu tourner à l’intérieur ce qui était vraiment très excitant.

Les femmes se battent encore aujourd’hui pour avoir les mêmes droits que les hommes. À votre avis, qu’est-ce qu’il faudrait faire pour changer les choses ?

Il y a d’énormes progrès qui ont été faits dans certaines parties du monde. Mais il y a encore beaucoup de choses à faire. Il y a encore des écarts de salaire, de la violence conjuguale, beaucoup de filles n’ont toujours pas droit à l’éducation…

Les femmes se battent à travers le monde pour avoir des droits fondamentaux. Je pense que l’une des choses à faire est de continuer à parler. Dans l’industrie du cinéma par exemple, les femmes commencent à s’exprimer sur ce sujet.

Dans une interview, Carey Mulligan a dit qu’Hollywood est une industrie sexiste qui ne donnait pas assez la parole aux femmes. Est-ce que vous êtes d’accord avec ça ?

Oui. Quand on regarde les chiffres, 90% des films sont réalisés par des hommes. Cela ne réflète pas l’équilibre de notre culture. On doit se diversifier, il faut que l’on travaille sur ça. Le public veut voir cette diversité.

Est-ce que vous-même vous avez subi ce sexisme ?

J’ai souvent été la seule femme dans une salle remplie d’hommes. Mais j’ai rencontré des gens qui m’ont soutenue : des producteurs, des scénaristes, mon agent…

C’était un long processus pour réussir à trouver ces personnes et à ne pas reculer parce que je faisais partie d’un nombre très restreint de réalisatrices. C’est comme ça que j’ai trouvé ma voie et aussi en regardant celles qui faisaient déjà ce métier.