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Valentin Raffali, le chef et électron libre qui dynamite la cuisine de demain

Talents of Tomorrow by Konbini

Valentin Raffali, le chef et électron libre qui dynamite la cuisine de demain

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© Des Enfers et des Anges

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Par Robin Panfili

Publié le , modifié le

"Mes assiettes peuvent surprendre et même déranger, mais je l’assume car c’est ce que je cherche."

Depuis plus de 15 ans, Konbini va à la rencontre des plus grandes stars et personnalités de la pop culture dans le monde entier, celles et ceux qui nous font rêver au quotidien à travers leur passion, leur détermination et leurs talents, afin de vous livrer tous leurs secrets. En 2023, la rédaction de Konbini a décidé de faire briller avant tout la jeunesse et la création francophones à travers 23 portraits de jeunes talents en pleine bourre, à suivre dès maintenant et dans les prochaines années. Des acteurs et actrices prometteur·se·s aux chanteur·se·s émergent·e·s, des chefs qui montent aux sportifs et sportives en pleine éclosion en passant par des artistes engagées de tout horizon, Konbini vous présente sa liste des 23 personnalités qui vont exploser en 2023.

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La fiche d’identité de Valentin Raffali

  • Lieu de l’interview ? Au comptoir de son restaurant Livingston. Le comptoir est situé au milieu de la salle du restaurant et ressemblerait presque à sa chambre, avec sa déco autour, entouré de photos de ses amis.
  • Le meilleur moment de l’année 2022 ? Un pop-up à Londres avec son ami et chef John Javier, dans son restaurant The Tent. “J’avais l’impression de vivre un chapitre de Kitchen Confidential d’Anthony Bourdain : petite cuisine, grosse flamme, du métal à fond. L’ambiance était folle. Je me sentais exactement là où je devais être. On a peu dormi et beaucoup cuisiné.”
  • La personnalité qui t’inspire aujourd’hui ? SCH.
  • Ton plus grand fan ? Kenza, sa petite sœur.
  • Une pensée positive ? Un café devant la plage des Catalans, à Marseille, seul, à la fraîche. À 8 heures du matin, lui et sa musique.
  • Ta commande au kebab ? Salade-tomates-oignons, sauce blanche, algérienne, Fanta citron.

Portrait. Il est difficile d’écrire sur les chefs lorsqu’on n’est pas soi-même chef ou étranger au monde tourmenté et tempétueux de la restauration. Depuis longtemps déjà, je dis que je vais écrire sur Valentin Raffali, jeune chef installé à Marseille et l’un des plus grands espoirs de la cuisine de demain, sans pouvoir m’empêcher de repousser le moment. Car si le monde de la cuisine est délicat à raconter, la personnalité de Valentin Raffali l’est encore davantage.

Finalement, après plusieurs années à se croiser entre Paris et Marseille, à discuter, à lire entre les lignes, à chercher à se comprendre, on s’est dit que c’était le moment pour pouvoir enfin le raconter, sans se tromper, et dans toute sa complexité. Le jour que l’on a choisi pour notre entrevue, officielle et solennelle cette fois, est un lundi, le matin. Le service n’est que dans quelques heures mais Valentin Raffali est déjà au restaurant, vissé à son précieux comptoir-à-tout-faire.“Un lieu très personnel”, dit-il. “L’endroit où j’écris mes menus, où je note mes idées, où je fais mes listes de travail, où je bois le café le matin et un verre le soir, après le service.” Celui-ci est encore loin, mais la journée est déjà chargée, alors on se promet d’aller à l’essentiel. Dommage, l’interview qui devait durer une bonne demi-heure en durera le triple. Après tout, quelle idée d’expédier le récit d’une vie en une poignée de minutes. Surtout la sienne, déjà rocambolesque et abondante, à 25 années à peine franchies.

“Être jeune et chef, ça ne veut rien dire, ce qui compte, c’est ce que tu en fais.”

Valentin Raffali est aujourd’hui chef, mais il est de ceux qui n’ont pas eu le choix, du moins au départ. “J’ai commencé à travailler à 15 ans, je ne suis pas venu à la cuisine parce que c’était cool.” C’était le milieu des années 2000, l’âge d’or d’une époque où ça criait fort et ça filait droit en cuisine. Un temps où l’on apprenait “à la dure”, avec des brigades à l’ancienne “qui n’existent plus vraiment aujourd’hui”. Ses premiers pas en cuisine, Valentin Raffali les fait près de chez lui, chez un chef Meilleur ouvrier de France (MOF), Serge Chenet. “Il m’a pris de zéro et lorsque j’en suis reparti, deux ans plus tard, j’étais déjà un adulte. Il a fait de moi un gamin solide. Je me souviens d’une expérience très dure.”

Assez vite, Valentin Raffali a des envies de plus et des envies d’ailleurs. Issu d’une famille modeste, avec une maman “qui travaille beaucoup”, il ressent rapidement le besoin de s’émanciper, de trouver son chemin et, surtout, son indépendance. Il la cherchera en Australie, où ça ne donnera pas grand-chose, puis dans le sud de l’Angleterre, où il atterrira dans les cuisines d’un drôle de manoir. “Un restaurant étoilé, dans le même style que celui de mon apprentissage. Un établissement de campagne, prestigieux, mais toujours à l’ancienne.” Il y retrouve les pieds de cochon, les tripes et les rognons. Une cuisine rustique, considérée aujourd’hui comme désuète, mais la seule qu’il ait connue jusque-là. “Pour moi, la cuisine, c’était ça. Je ne me posais pas la question : ‘Est-ce que les tripes, c’est cool ?’ Je faisais ce que le chef me demandait, et c’est tout.”

Sa quête de plus et d’ailleurs l’amène aussi en Suisse où il part retrouver des amis, après s’être fait virer des cuisines du manoir anglais. Un hiver dans les montagnes “pour mettre de l’argent de côté et me remettre sur pied” avant de rentrer à Marseille, où il retrouve une bande d’amis dont il ne s’est jamais séparé. Un peu perdu, comme tous les garçons de son âge, Valentin Raffali se décide à envoyer des CV à quelques chefs marseillais dont il admire le travail, d’Alexandre Mazzia à Lionel Levy. C’est chez ce dernier qu’il posera ses valises. “Comme tout le monde, j’ai commencé par sa brasserie, puis par le restaurant étoilé, tous deux situés dans l’hôtel InterContinental. Si mon premier chef m’a beaucoup poussé, Lionel Levy a lui aussi beaucoup cru en moi. Il m’a tout le temps soutenu.”

“Je ne me posais pas la question : ‘Est-ce que les tripes, c’est cool ?’ Je faisais ce que le chef me demandait, et c’est tout.”

Mais un jour, tout va basculer. Valentin Raffali habite alors dans la rue d’Aubagne. À quelques pas, le restaurant La Mercerie – aujourd’hui considéré comme l’une des tables ayant provoqué l’essor de la bistronomie à Marseille – est en travaux avant son ouverture. “Je passais tous les jours devant pour aller au travail et je regardais le chantier avancer.” Le jour de l’ouverture du restaurant, alors qu’il s’apprête à partir en congé, Valentin Raffali vide son casier au travail et part boire des bières sur le Vieux-Port. “En rentrant, je suis passé devant La Mercerie et j’ai su”, dit-il. “Il y avait un barbecue qui fumait, des mecs en T-shirts en cuisine, la musique qui crachait du Notorious Big. Moi je ne connaissais pas ça. Mon parcours, c’était toque et veste de cuisine obligatoire, le vouvoiement et beaucoup de règles très strictes.”

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Il ouvre la porte et tombe nez à nez avec deux des associés du restaurant, Laura Vidal, sommelière, et Harry Cummins, le chef. “Je leur ai dit que j’étais en vacances une semaine et que j’étais chaud de venir voir ce qu’ils faisaient, s’ils avaient un peu de place pour moi. Le chef anglais, Harry Cummins, s’est approché et m’a demandé mon âge : ‘How old are you, man?’ À ce moment, je bossais dans la restauration étoilée et il fallait que je sois rasé à blanc. Je faisais donc assez jeune. Je lui ai répondu : ‘T’inquiète, j’ai 21 ans’.” Le lendemain, il est déjà sur le pont. Presque comme dans un film. “Je suis arrivé et j’en suis jamais reparti. J’ai tout de suite senti que c’était l’endroit où je devais être. Les gens en cuisine sont devenus mes amis. La cuisine me correspondait. Tout avait du sens, j’étais au bon endroit.”

Les débuts, eux, sont moins idylliques. “À vrai dire, je suis arrivé un peu confiant. Je venais de la cuisine étoilée, je me sentais bon et à l’aise. Mais dès que je suis arrivé à La Mercerie, Harry Cummins m’a fait comprendre que le chemin était encore très long”, confie-t-il. “Il m’a dit : ‘Écoute, c’est super ce que tu fais, mais maintenant, tu vas tout réapprendre’.” Les six premiers mois sont un peu compliqués et parsemés de remise en question. “Je pensais être bon, mais il m’a complètement remodelé.” Avec le chef, Valentin Raffali se métamorphose et se transcende. Il doit apprendre à mieux contrôler ses gestes, ses humeurs, ses mots et ses réflexes, hérités des cuisines à l’ancienne qui l’ont formé. “J’ai passé mes premières années à cuisiner sans réfléchir. Je reproduisais ce qu’on me demandait, mais sans utiliser mon cerveau ou me demander pourquoi. Avec Harry Cummins, tout a changé.”

“J’ai passé mes premières années à cuisiner sans réfléchir. Je reproduisais ce qu’on me demandait, mais sans utiliser mon cerveau ou me demander pourquoi.”

Les jours de fermeture, Valentin Raffali retourne quand même au restaurant, où il retrouve Harry Cummins derrière les grilles baissées. “Je venais apprendre le poisson et la découpe avec lui, les condiments, ou simplement réparer des trucs, ranger la chambre froide ou nettoyer l’économat. J’étais tellement reconnaissant de ce qu’ils m’offraient que je venais sans réfléchir.” Après avoir fait tous les postes, appris la culture du feu et enfilé la casquette de bras droit du chef, il décide de quitter le restaurant après deux ans et demi. “C’était la première fois que je partais avec le sentiment d’avoir accompli quelque chose. Il y avait un plan à suivre, je l’ai suivi et terminé. Je me suis amélioré en cuisine, mais aussi en tant qu’humain.”

Des mois plus tard, Valentin Raffali rentre à Marseille, après une aventure new-yorkaise puis arlésienne, où il posera les premières pierres de son style culinaire. Quelques semaines plus tôt, il avait soufflé à Harry Cummins, Laura Vidal et Julia Mitton, les patrons de La Mercerie, son idée d’ouvrir un restaurant à Marseille, son restaurant. Et quelques semaines plus tard, alors qu’ils trinquent, Valentin Raffali et le chef anglais se motivent à aller visiter un local, puis deux. “On a cherché sur Leboncoin les locaux disponibles et on est tombés sur un restaurant qui nous convenait, dans un quartier qui me plaisait. On l’a visité tout de suite, et c’est comme ça que Livingston est né.”

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Dès le départ, Valentin Raffali a une idée assez précise de ce qu’il souhaite faire. Une cuisine libre, créative, sans œillères ni garde-fou. “Livingston devait être littéralement la même chose qu’on l’ouvre à Marseille, Londres, Rabat ou Tokyo.” Valentin Raffali a fait de ce restaurant “un lieu libre d’expression”. Un lieu, surtout, “où je puisse m’exprimer sans m’excuser”. Depuis ses cuisines dont il ne s’éloigne jamais, il peut sortir une moyenne de trois nouvelles assiettes par semaine. “Ça fait plus de 500 plats dans l’année. Souvent, le plat que vous mangerez chez Livingston sera né la veille, ou l’après-midi même.” Une cadence qu’il assume et qu’il revendique, mais qui peut aussi parfois le mettre en difficulté. “Quand tu es dans cette philosophie, tu ne peux pas faire l’unanimité. L’important est d’apprivoiser les gens. Si j’avais ouvert Livingston en faisant des calamars frits, des pieds paquets et des pizzas moitié-moitié, on ne serait pas là, en train de faire cette interview. Et on ne serait pas là à se demander si je fais l’unanimité ou pas.”

Et si Valentin Raffali et Livingston “dérangent” parfois, c’est tant mieux. “Je me suis toujours dit que si j’ouvrais un restaurant, j’irais à fond. J’ai de bons retours sur mes assiettes, mais j’ai beaucoup de plats clivants : soit tu aimes, soit c’est touchy. C’est compliqué parfois, ça peut rebuter ou faire flipper, mais c’est ce que je voulais et je l’assume. C’est ce qui m’amuse, mais j’ai conscience de me mettre en danger en proposant de telles associations et goûts à la carte.” La philosophie de Valentin Raffali est aussi celle d’une génération de chefs qui peinent parfois à l’assumer publiquement – par peur de se dévoiler ou de paraître comme quelqu’un de trop ambitieux – : créer des recettes pour soi et les offrir au public qui se les approprie, ou pas. “Je vais difficilement me coucher le soir sans avoir trouvé comment faire aboutir une idée. Je suis complètement hanté par ce que je fais. Je ne pense qu’à ça. Je concentre toute mon énergie dessus et j’espère, ensuite, que les gens aimeront et comprendront. Mais je n’ai pas cette quête d’être accepté et aimé de tout le monde.”

“Si j’avais ouvert Livingston en faisant des calamars frits, des pieds paquets et des pizzas moitié-moitié, on ne serait pas là, en train de faire cette interview. Et on ne serait pas là à se demander si je fais l’unanimité ou pas.”

À 24 ans, Valentin Raffali devenait chef, à la barre de son propre navire. Celui dont il rêvait depuis si longtemps mais qui lui fait porter aujourd’hui de nombreuses responsabilités. Lui qui n’a jamais vraiment eu l’impression d’avoir son âge, tant il a commencé à travailler tôt, s’évertue à ne pas reproduire les mêmes erreurs que ses aînés. “Être jeune et ‘chef’, ça ne veut rien dire, ce qui compte, c’est ce que tu en fais. Incarner le rôle de chef, c’est aussi apprendre à faire de la place aux autres, regarder et se taire.” Au restaurant, des cuisiniers peuvent ainsi se tenir seuls au passe-plat après seulement quelques mois dans la cuisine. “Mon idée était de créer une bande de potes, déterminée, qui avance dans la même direction, mais à la cool. Je voulais prouver qu’on pouvait être discipliné, sérieux, attentif et rigoureux, mais écouter de la musique à fond, boire du mezcal pendant le service et arriver en short au travail. Il faut arrêter de s’imaginer que tout doit forcément se faire dans l’adversité.”

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Il se souvient : “Quand j’étais plus jeune, j’allais au travail avec la boule au ventre car je savais que ça allait mal se passer. Le jour où j’ai ouvert, je me suis dit : ‘Ce n’est pas possible, mon restaurant ne peut pas être comme ça.’ On n’a pas besoin d’autant de souffrances pour faire du bon travail.” Depuis son comptoir, où il aime réfléchir seul, tôt le matin ou tard le soir, Valentin Raffali est en train de bâtir l’un des restaurants les plus libres, ambitieux et riches que l’horizon gastronomique français contemporain puisse connaître. Pas étonnant, donc, que ceux qu’il admire soient de cette même trempe : Guillaume Sanchez, Daniel Morgan, Adrien Cachot “pour les plus jeunes”, Bertrand Grébaut, Greg Marchand ou Simone Tondo “pour les anciens”. Pas étonnant, non plus, que le livre que l’on se transmet de génération en génération dans la famille, et qui a inspiré le nom du restaurant, Jonathan Livingston le goéland, soit une ode à la liberté, à l’idée de franchir de nouvelles frontières et surtout “de penser différemment, pour se distinguer autrement”.

Les recos de Valentin Raffali

  • Une série ? Naruto Shippuden.
  • Un livre ? Jonathan Livingston le goéland de Richard Bach.
  • Un film ? He Got Game de Spike Lee.
  • Un album ? Man on the Moon III de Kid Cudi.
  • Un plat préféré ? Les lasagnes.

Pour suivre les aventures de Valentin Raffali, c’est par ici.