Dans les coulisses du Flow Festival d’Helsinki, on a voulu creuser un peu pour voir ce que la scène rap finlandaise avait à nous offrir.
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On aime à le rappeler : le rap est le genre musical le plus écouté au monde. Signe d’une ouverture grandissante au fil des décennies, il n’a aujourd’hui plus de frontières, qu’elles soient stylistiques ou géographiques. France, Belgique, Canada, Suisse et même Japon : des exemples parmi tant d’autres de scènes internationales bien ancrées dans le paysage musical du rap. La preuve que la devise “Peace, Unity and Having Fun” s’est largement exportée du New York qui a vu émerger le genre dans les années 70. Parmi tous ces pays, la Finlande place habilement ses pions sur l’échiquier du rap mondial.
Globalement, la scène rap finnoise est plutôt méconnue. Pour mieux la découvrir, nos guides seront deux MC’s originaires du Pays des Mille Lacs : Paperi T & View, qu’on a rencontrés au Flow Festival à Helsinki.
Pour les situer, Paperi T est né à Poroo et est actuellement considéré comme le meilleur dans son pays. Avec son rap doux, amer et mélancolique, il est parvenu à hisser trois de ses albums au top des charts finlandais. Venu de Pori, “une des pires villes de Finlande” selon ses dires, View est, quant à lui, une figure phare de la scène underground. Dans son rap plus sombre dans l’interprétation et l’ambiance, il raconte surtout sa vie et ses expériences personnelles. Maintenant que le décor est planté, entrons dans le vif du sujet.
Le rap finlandais : mitä se on ?
“Qu’est-ce que c’est que ça ?” Sans doute est-ce la première réflexion que se feront certains auditeurs à l’écoute d’un rap en finnois. Les sonorités de cette langue ne nous sont pas familières, et pourtant leur clarté auditive surprendra nos oreilles. Rien n’était joué d’avance, et le rap finlandais aurait bien pu mourir dans l’œuf tant les premiers MC’s locaux peinaient à obtenir du crédit de la part du public. C’est ce qu’explique Paperi T :
“Au départ, les gens ne prenaient pas du tout le rap au sérieux. Dans les années 90, les premiers groupes de rap faisaient plutôt une espèce de dance européenne marrante, dont certains pensaient qu’elle ruinait la réputation du hip-hop finlandais qui, lui, voulait s’affirmer.”
Dans le lot de ceux qui se prenaient au sérieux, on trouve les pères fondateurs du rap finlandais, les MC’s Elastinen et Iso H du groupe Fintelligens, originaire de la capitale Helsinki. Ils ne sont pas les premiers à rapper, mais les premiers à le faire en finnois. “Avant eux, tous les MC’s rappaient en anglais”, se rappelle View.
Nous sommes en 2000 lorsque leur premier album, Renesanssi, débarque dans les bacs. À l’écoute, on retrouve des sonorités aux teintes soul, voire funk, très boom bap dans l’esprit : l’influence américaine se fait clairement ressentir. D’ailleurs, View explique avoir découvert le rap avec Illmatic de Nas : “C’est le meilleur album de tous les temps. Il m’a donné envie de faire du rap”. Pour Paperi T, c’était All Eyes on Me de Tupac.
Depuis que Fintelligens a posé les premières pierres, on a trouvé dans son sillage une flopée d’artistes désireux de se faire une place dans ce foutu rap game. Les plus populaires étant Likanen Etelä et Cheek (mais ce dernier a récemment tiré sa révérence avec une tournée d’adieux sold out en Finlande). Paperi T nous confie :
“Ces dernières années le rap a vraiment pris de l’importance en Finlande. La majorité des artistes qui ont du succès en Finlande sont des rappeurs, et ils monopolisent le top des ventes, qu’ils soient finlandais ou américains. Pendant des années, le rap était cette espèce de musique marginale bizarre. Les grands médias s’adressaient à nous en disant ‘Yo Yo ! What’s up rapper guy ?’ (Yo Yo ! Ça va monsieur le rappeur ?). Mais c’est devenu tellement populaire que les médias sont bien obligés de le prendre au sérieux. Maintenant, ça ne surprend plus personne quand quelqu’un veut devenir rappeur.”
Historiquement, l’histoire du rap en Finlande n’est donc pas si différente de ce qui s’est passé ailleurs dans le monde, et les rappeurs finlandais en ont assimilé les codes contemporains. C’est ainsi qu’actuellement, les tendances nationales sont à la trap et au mumble rap. Un aspect que Paperi T déplore par ailleurs :
“Dans la nouvelle scène hip-hop finlandaise, il y a beaucoup de jeunes artistes qui en font. C’est comme tout, il y a du bon et du mauvais. Je trouve plus intéressant de s’inspirer de quelque chose qui existe en se l’appropriant pour en faire quelque chose de nouveau, plutôt que d’essayer de copier le style des rappeurs américains. Sinon ça n’aboutit qu’à une version finnoise du rap américain.”
View acquiesce : “Dans le hip-hop qui domine les ventes, il est beaucoup question de faire la fête. C’est chiant et ce n’est pas la vraie vie.” Mais ne soyons pas défaitistes, car le rap finlandais sait aussi se démarquer. À l’image de son pays, il est unique en son genre.
La Finlande, terre d’influences
Forcément, la couleur du rap finlandais a ses spécificités. Déjà, la musicalité globale du rap mainstream s’inspire grandement de ce qu’on appelle “Iskelmä”, une ancienne musique populaire locale. Instrumental catchy, refrains entêtants… Bref, tous les ingrédients pour faire un hit made in Finland.
Mais par opposition à ce rap mainstream, il existe en Finlande une mouvance plus underground, qui se veut très sombre. Presque logique dans un pays où il fait nuit 9 mois par an. “Le hip-hop underground en Finlande est très mélancolique. Parce qu’il fait souvent froid et sombre ici”, analyse View. “Il fait nuit 9 mois par an puis le soleil ne se couche pas pendant 3 mois“, ajoute Paperi T.
Au-delà de la musique, la vie et le quotidien en Finlande sont aussi des éléments indissociables de la teinte sonore du rap. Paperi T a son avis sur la question :
“Je pense que si je vivais dans un autre pays, ma façon de voir les choses et mes paroles seraient complètement différentes. Être Finlandais me donne une perspective particulière. […] Pour moi, le rap finlandais le plus intéressant est celui qui a quelque chose d’unique, parce qu’il est imprégné de notre culture. Bien sûr, nos influences viennent de partout mais c’est important d’utiliser notre propre expérience, le fait que nous soyons nés dans cet endroit bizarre pour des raisons qui nous échappent, et ce sont ces spécificités qu’on injecte dans notre art.”
La langue a également son importance. Aujourd’hui, les rappeurs sont assez nombreux à poser en finnois plutôt qu’en anglais. “Pour être un-e grand-e artiste en Finlande, il faut chanter en finlandais maintenant”, prévient View.
Mais alors quel avenir pour la Finlande sur la carte du hip-hop mondial ? Sera-t-elle la prochaine nation à exploser au-delà de ses frontières ? Impossible de le savoir, mais une chose est sûre, Paperi T est plein d’espoir : “Il y a des tas de nouvelles choses qui apparaissent ici en Finlande. Mais pour réussir, il ne faut pas essayer de ressembler à un genre qui existe déjà. J’ai l’impression que la jeune génération l’a compris, je l’espère en tout cas.”