Le défrisage, un véritable danger pour les femmes noires

Le défrisage, un véritable danger pour les femmes noires

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Capture d’écran de l’instagram @ladiesofhollywood

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Par Coumbis Hope Lowie

Publié le

Une étude américaine démontre encore une fois que les produits défrisants multiplient les risques des cancers de l’utérus. Alors pourquoi on continue ?

Quand on est une petite fille noire aux cheveux afro, en avoir des lisses est, parfois, un rêve inavouable. Pour beaucoup de ces petites filles, ça équivaut à ne plus souffrir des heures pendant le démêlage ou le tressage et ça permettrait surtout de pouvoir ressembler aux autres enfants de la classe. Elles, elles ont des queues-de-cheval, des couettes, des chignons… et elles peuvent même détacher leurs cheveux quand elles le souhaitent, à n’importe quel moment de la journée, et les laisser à l’air libre. Ce n’est pas grand-chose dit comme ça, mais pour certaines, ça ressemble à la liberté absolue.

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Quand on est plus jeune — et même quand on est grand —, être différent est rarement une force. Quand cette différence peut se montrer extrêmement rebelle, on a encore plus de mal à l’apprécier. Alors dans ces cas-là, le défrisage ne semble avoir que des bons côtés. Tant pis si ça brûle un peu, beaucoup. Ça vaut le coup. En plus, les petites filles sur les paquets d’emballages sont si belles et elles ont l’air tellement heureuses.

Un thread Twitter a retrouvé toutes celles qui nous ont fait rêver plus jeunes, et on était toutes estomaquées en découvrant que la plupart d’entre elles avaient déjà les cheveux très souples de base et n’ont jamais dû défriser leurs cheveux.

Tout comme le fait de s’éclaircir la peau ou de se débrider les yeux, la volonté de se défriser les cheveux est née d’une discrimination, que ce soit dans la communauté noire américaine, africaine ou même dans les autres communautés où les cheveux lisses ne sont pas la norme.

Pendant des siècles (et encore souvent aujourd’hui), la texture du cheveu afro ou très frisé est moquée, jugée, méprisée… Il ne serait “pas assez beau”, “pas assez présentable” et “trop négligé” pour être professionnel. Mais ça n’a pas toujours été le cas.

Dans les sociétés africaines anciennes, la coiffure naturelle et les tresses ont un rôle important. Elles font partie intégrante de la culture d’un peuple. Elles peuvent indiquer le rang social, l’ethnie, l’histoire familiale… Et parfois, elles peuvent même dire à ceux qui nous regardent si on se trouve en période de mariage, de décès ou de veuvage.

Avec l’esclavage et le commerce triangulaire, beaucoup d’Africains apportent avec eux leurs traditions capillaires. Elles seront vite étouffées par l’interdiction de pratiquer leurs anciennes cultures et, ensuite, par la pression que les esclaves affranchis subiront pour s’intégrer à la société américaine.

Ils ne doivent pas faire de vagues et se doivent d’être, littéralement, les plus lisses possibles. Alors au milieu des années 1800, les méthodes pour camoufler les textures trop crépues se multiplient, comme les peignes chauffants, les produits chimiques et autres mixtures. Au début, on utilise un mélange de pomme de terre, de poudre — semblable à celle utilisée pour la lessive — et d’œufs pour lisser les cheveux. Évidemment, cela provoque des douleurs insoutenables et de grosses brûlures au cuir chevelu.

Mais la demande est telle que de plus en plus de marques développent leurs gammes défrisantes. Au début 1900, les premiers fers à lisser voient le jour. Même si, avec les années et les innovations, les produits essayent tant bien que mal de se faire moins nocifs, les composants nécessaires pour lisser un cheveu afro restent très agressifs.

De nos jours, il y a deux types de défrisages. Il y a celui qu’on pourrait qualifier de “doux” et qui utilise la technologie thiolée. Elle est destinée à assouplir les boucles et à agir en surface du cheveu. Elle ne modifie son aspect qu’entre trois et six mois.

Le défrisage fort est, quant à lui, beaucoup plus définitif. Sa technologie alcaline ouvre les écailles du cheveu et modifie sa texture en profondeur. Vous l’aurez deviné, plus le cheveu est frisé, plus le défrisant se doit d’être fort pour être efficace.

Mais les dangers et la douleur n’ont jamais éradiqué l’utilisation des produits défrisants. Ni même les mouvements d’émancipation et de revalorisation, comme le rastafarisme, les Black Panthers ou encore le natural hair movement dit “nappy”.

Tant bien que mal, la communauté noire essaye de se détacher de l’image négative fortement liée aux cheveux afro. Des actrices comme Lupita Nyong’o s’affichent dans tout Hollywood avec des afros impeccables et majestueux, qu’ils soient courts ou beaucoup plus fournis. On en voit de plus en plus dans les films, dans les publicités, sur les podiums de défilé… Le cheveu afro — bien que loin d’être à la mode — est moins diabolisé sur la place publique.

Mais ça ne change pas vraiment la donne. Il y a quelques années, une étude Ipsos affirmait que seulement 3 % des Ivoiriennes et 4 % des Sénégalaises préfèrent les coiffures naturelles, malgré le fait que les dangers du défrisage et des lissages à répétition se font de plus en plus connaître. Dans les années 2010, une étude américaine établit un lien entre l’utilisation des produits défrisants et l’augmentation des fibromes utérins chez les femmes noires, qui en sont les principales utilisatrices. Mais l’étude tombe vite dans les oubliettes et on se demande si elle est vraiment fiable.

Et le 17 octobre 2022, une nouvelle étude, dans le Journal of the National Cancer Institute, indique que les produits de défrisage doublent les risques de cancer de l’utérus. Elle rappelle que ce sont les femmes noires qui en sont les principales victimes : “Parce que les femmes noires utilisent des produits de lissage ou de défrisage plus fréquemment et ont tendance à commencer plus jeunes […], ces résultats pourraient être particulièrement intéressants pour elles”, explique Che-Jung Chang, coautrice de ces recherches.

Les produits de défrisage pourraient favoriser l’absorption des produits chimiques via des lésions ou des brûlures sur le cuir chevelu. Ces produits en contiennent d’autres encore plus dangereux dont des perturbateurs endocriniens qui peuvent avoir un impact sur les cancers hormonodépendants et notamment celui de l’utérus, qui est plus rare que le cancer du col de l’utérus.

On sait que changer l’imaginaire collectif prend du temps. Ça va prendre donc encore quelques années pour que les cheveux afro, très frisés et très bouclés soient considérés, partout et dans toutes les strates de la société, comme les cheveux plus lisses. Mais il faudra combien d’autres recherches et résultats scientifiques pour que ces produits ne soient plus si faciles et libres d’accès ? Et pour que leurs emballages ne soient pas si attrayants, rendant ainsi leur utilisation un peu plus anodine ?