“La vixen n’est pas juste une meuf bonne” : rencontre avec Soraya Rhazel, modèle sur des clips de rap

“La vixen n’est pas juste une meuf bonne” : rencontre avec Soraya Rhazel, modèle sur des clips de rap

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© David Delaplace

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Par Pauline Allione

Publié le

Sur des clips de Jok’Air, Nekfeu ou encore Vald, la jeune femme fait grimper la température.

C’est sur une poitrine rebondissant dans un soutien-gorge noir et un plateau d’argent débordant de burgers que s’ouvre le clip de “Mégadose” de Vald. Dans le rôle de la domestique ultra-sexy, Soraya Rhazel apporte au rappeur et à ses invités la malbouffe qui les mènera à l’overdose. Pendant des années, elle a été ce que l’on appelle une vixen, soit une femme qui gravite autour des rappeurs dans les clips. Entre leurs poses lascives, leur plastique généreuse et leur hypersexualisation, les vixens (“renardes” en anglais), actrices majeures de la culture hip-hop, incarnent visuellement l’univers des artistes. Retour sur la carrière de la vixen la plus célèbre de l’Hexagone, devenue directrice de casting et directrice de production.

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Après une enfance passée dans le 92, la carrière de Soraya Rhazel se dessine rapidement. À 14 ans, celle-ci tombe par hasard dans le mannequinat, et est vite poussée à poser dénudée. “On m’a très tôt sexualisée, et du fait de ma morphologie, je me suis retrouvée à faire de la lingerie” rembobine la directrice de casting. Mais avec le temps, la jeune modèle se sent de moins en moins à l’aise dans le milieu. On lui laisse entendre qu’elle est trop grosse alors qu’elle ne pèse que 49 kg pour 1m68, et surtout, elle remarque qu’elle est l’une des seules filles racisées parmi les modèles qu’elle croise sur les shootings. “J’ai réalisé que je représentais un quota, le milieu de la mode me tolérait mais ne m’acceptait pas. J’étais l’Arabe aux gros seins, la beurette”.

Backstage du clip “ASAP” de Gazo (© CESTPASUNFILM)

“Quand tu tournes un clip au fin fond du 93 avec 40 mecs autour de toi, t’as pas peur de reprendre un mec qui t’emmerde dans le bus”

Quand on lui propose de travailler sur un clip de rap, autour de 2010, Soraya accepte malgré la mauvaise réputation de ce style musical (le genre n’est pas encore le plus écouté de l’Hexagone) et le cachet dérisoire. Elle qui ne connaît rien du rap vit alors un véritable “coup de foudre”. “Je m’étais rarement sentie aussi bien quelque part. J’étais avec des gens qui me ressemblaient, des jeunes de banlieue, et je me suis sentie belle dans leur regard. Ça a été pour moi une vraie révélation, le rap est ma plus grande histoire d’amour”.

De la mode au rap, la tendance s’inverse : la minorité de femmes racisées et avec des formes en shooting devient la norme sur les clips, et Soraya découvre une sororité entre les modèles. Et si l’on retient surtout des vixens l’image de filles qui twerkent en club ou dansent sur le capot d’une voiture, le métier est loin de se résumer à la danse : certaines sont comédiennes, performeuses, spécialistes de la pyrotechnie, gymnastes… “La vixen est une artiste à part entière, pas juste une meuf bonne. Moi, je faisais beaucoup d’attitudes caméra. J’ai eu quelques rôles, j’ai joué une meuf qui pleure, une meuf qui se fait braquer… Il y a autant de vixens qu’il y a de personnalités, et je me suis créé un personnage en y mettant tout ce que j’aimais et que je n’étais pas.”

Backstage du clip “ASAP” de Gazo. (© CESTPASUNFILM)

Pour construire son identité de vixen, Soraya regarde du côté des pin-up des années 1950, emprunte à l’image de la Parisienne avec les bas résille et les gants en dentelle, s’inspire du maquillage de Joséphine Baker… Pour ne pas avoir à subir la sexualisation permanente de son corps, la vixen s’en empare, et prend le pouvoir à travers celle qu’elle incarne face caméra. “Quitte à jouer avec mon image, autant ne pas me mettre à nu complètement. Mon personnage m’a permis de mettre une barrière entre celle que j’incarne et celle que je suis réellement”.

Dénudée aux côtés de rappeurs, Soraya trouve paradoxalement sa place, et gagne la confiance en elle qui lui manquait jusque-là. “Devenir vixen m’a permis d’être à l’aise avec mon corps et mon image. J’ai appris à m’aimer à travers mon personnage, et je me suis appuyée dessus à plein de moments de ma vie. Quand tu tournes un clip au fin fond du 93 avec 40 mecs autour de toi, je te garantis que t’as pas peur de reprendre un mec qui t’emmerde dans le bus”.

“En vrai de vrai, on est grave vos sœurs”

Dans un milieu rap très majoritairement masculin et dont l’histoire s’inscrit dans le sexisme et la misogynie, les vixens peinent à être reconnues à leur juste valeur. “Aujourd’hui en France, les vixens sont toujours considérées comme un accessoire, telle que la voiture ou l’appartement du rappeur”, rappelle Soraya. Souvent réduites à des “bonnes meufs”, les vixens restent largement méconnues, mais bénéficient de bien plus de reconnaissance outre-Atlantique où il existe une véritable culture du métier et des stars du milieu comme Karrine Steffans, Melyssa Ford, Gloria Velez ou Lola Monroe dans les années 2000.

Mais en France, les modèles et performeuses ne sont que rarement créditées dans les clips. “Ceux qui regardent beaucoup de clips peuvent reconnaître le visage d’une fille, mais personne ne connaît leurs noms”, constate Soraya. Les rares fois où la vixen a vu son nom apparaître dans les crédits, c’est uniquement parce qu’elle officiait également en tant que directrice de casting et avait insisté pour que les modèles soient créditées.

Cover de l’album “LA FIÈVRE” de Jok’Air. (© David Delaplace). Après son titre “Bonbon à la menthe”, le rappeur a remis à Soraya Rhazel un disque d’or destiné aux vixens qui avaient travaillé sur le clip. Une reconnaissance rare dans le milieu.

Pour œuvrer à la reconnaissance du métier, lutter contre des conditions de travail souvent trop floues et offrir un cadre plus sécurisé aux vixens, Soraya Rhazel est peu à peu passée de l’autre côté de la caméra pour devenir directrice de casting et directrice de production, toujours dans le rap. Une façon de défendre le métier sur le terrain, mais aussi de le revendiquer face aux critiques et stéréotypes qui visent les performeuses. “Quand il y a des scènes un peu sexy, tu verras toujours ce commentaire sous la vidéo YouTube : ‘Starfoullah pour les gens qui ont vu leur sœur dans le clip’. Mais en vrai de vrai, on est grave vos sœurs. On représente une beauté du quartier, une beauté de chez nous, une beauté que tu ne verras jamais à la télé”.

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