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La folle histoire de “Gangsta’s Paradise” de Coolio, un des plus gros tubes de l’histoire de la pop

La folle histoire de “Gangsta’s Paradise” de Coolio, un des plus gros tubes de l’histoire de la pop

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Par Aurélien Chapuis

Publié le , modifié le

Vous connaissez forcément ce morceau mais connaissez-vous toute l’histoire derrière sa conception ?

En 1995, le DJ Paul Stewart et le producteur Doug Rasheed habitent à Hollywood, et leur coloc, dans laquelle se trouve un petit studio d’enregistrement, est devenu un passage obligé de tous les rappeurs indépendants de Los Angeles : The Pharcyde, The Alkaholiks, King Tee, South Central Cartel et… Coolio, dont Paul est le manager.

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Paul et Doug ont mille vinyles chez eux et ils adorent fouiller dedans. Un jour, Doug prend Songs in the Key of Life de Stevie Wonder et joue le morceau “Pastime Paradise”. Ils sont tous les deux en transe et décident d’en faire une version street. Doug s’occupe de la prod et il pense tout de suite à un interprète : L.V.

L.V. est un membre du groupe South Central Cartel, il a une voix grave et une interprétation très gospel, et repose le refrain de Stevie Wonder en changeant le “Pastime Paradise” en “Gangsta’s Paradise”. L’idée de “Gangsta’s Paradise”, vient de L.V., donc. L.V. propose même que son collègue Prodeje du South Central Cartel s’occupe des couplets, mais celui-ci n’est pas chaud. Il dit carrément : “L.V., fais le morceau seul, il est parfait pour toi !” Un conseil qu’il suivra bien plus tard sur son album solo.

C’est alors que Coolio passe par là pour récupérer un chèque de son manager, Paul. En partant de la coloc, il entend la version street de “Pastime Paradise” qui tourne en fond. Et là, il bloque : “Ce titre est pour moi !” Paul et Doug se disent : “Pourquoi pas !” Coolio vient d’avoir un bon hit, “Fantastic Voyage”, ça peut être l’interprète parfait. Direct, Coolio s’assied dans le studio et écrit d’une traite les trois couplets. Coolio dira ensuite qu’il pensait avoir eu l’inspiration divine, comme si les paroles étaient déjà prêtes et sortaient toutes seules de sa bouche. Bon.

Rap et cinéma, le grand amour des années 1990

Avec cette démo, Paul et Doug proposent le titre comme thème pour des films. Ce sont des gars de Hollywood, c’est pour ça. Et beaucoup mordent à l’hameçon. Faut dire que c’est la mode, les bandes-sons rap, en 1995. À cette époque, Don Simpson et Jerry Bruckheimer sont intéressés pour Bad Boys, mais n’ont pas assez d’argent. Ils ont un deuxième projet plus bancal, Esprits rebelles, avec Michelle Pfeiffer. Parce que Michelle, c’est une star, à l’époque, c’est carrément Catwoman.

Mais les projections test sont catastrophiques, tout le monde trouve le film nul. Don et Jerry flippent. Donc ils veulent une chanson titre exceptionnelle. Ils mettent une option sur “Gangsta’s Paradise”. Problème, le morceau n’est pas du tout fini. Et il y a un artiste qui s’appelle Stevie Wonder qui n’a pas du tout donné son accord.

Après plusieurs passages en studio, le morceau prend forme. Les voix sont définitives, les rythmiques aussi. Mais Stevie Wonder entend parler du morceau et dit juste : “Hors de question que je laisse mon morceau être repris dans une version gangster.” Aïe. À l’époque, la femme de Coolio connaît le frère de Stevie (oui, oui) et lui demande si Coolio peut rencontrer Stevie Wonder, pour lui expliquer que le morceau vaut la peine.

Après ce petit arrangement, les deux artistes se rencontrent et Stevie accepte finalement “seulement si les paroles ne comportent aucune insulte ni blasphème”. Coolio retourne en studio et enlève les quelques mots problématiques. C’est bon, Stevie accepte. Mais ce que Coolio ne savait pas, c’est qu’il accepte aussi parce qu’il a demandé 95 % des droits d’édition du morceau. Ça fait beaucoup.

Esprits rebelles est produit par Don Simpson et Jerry Bruckheimer pour Buena Vista Pictures alias Disney. Donc ils ont l’argent. Ils achètent le morceau et le testent directement dans de nouvelles projections test d’Esprits rebelles. Miracle, le taux de satisfaction passe de 40 % sans le morceau à 75 % avec. Coolio vient de sauver un film à gros budget. “Gangsta’s Paradise” vient de garantir un futur à Michelle Pfeiffer.

Jerry se dit alors : “Go tourner un clip !!”, et il demande au jeune Antoine Fuqua de le réaliser. Antoine est spécialiste des clips, à cette époque, notamment pour la vague new jack, R’n’B, post-funk de l’époque, comme Zhané, Toni Braxton, Mint Condition ou Chanté Moore. Et ce qui est plutôt marrant, c’est qu’un des derniers clips tournés juste avant “Gangsta’s Paradise” en 1995 était “For Your Love” pour… Stevie Wonder ! Coïncidence ?

Antoine Fuqua et Coolio n’ont pas la même conception du clip. Coolio veut de la street avec des lowriders, Antoine veut remettre le contexte du film dans le clip et demande à Michelle Pfeiffer d’être présente. Elle accepte de reprendre son rôle, des mois après la fin de tournage du film. Antoine pense au Scarface de De Palma, l’alliance est parfaite. Le clip explose. Le film sort, les critiques ne sont pas bonnes, mais tout le monde va le voir. C’est un énorme succès qui déboulera sur une série.

Et “Gangsta’s Paradise” reste treize semaines dans le top 10 du Billboard, avec plusieurs semaines à la première place. Ce fut le morceau de l’année 1995 pour Billboard, la première fois qu’un titre rap arrive à cette place. Grâce à un chèque, des insultes en moins, une intervention divine et un film pas ouf. La folle histoire d’un tube qui n’a jamais fini de nous étonner.