Les journalistes chez David Fincher : je t’aime… moi non plus

Les journalistes chez David Fincher : je t’aime… moi non plus

photo de profil

Par Louis Lepron

Publié le

Dans les films de David Fincher, la place des médias est essentielle autant que décriée. De Seven à Gone Girl, petite histoire du journaliste “fincherien”.
Du jour au lendemain, un homme perd sa femme. Disparue, envolée. Tous les soupçons se tournent vers lui. La police, ses proches, ses voisins et les médias ont une même idée : le coincer, preuves à l’appui. Dans Gone Girl, Ben Affleck est cet homme. Choisi pour sa carrure de mec ordinaire, l’acteur a aussi été sélectionné par David Fincher pour une raison particulière : avoir eu une relation avec Jennifer Lopez, entre 2001 et 2004.

Au cours de cette période, les deux stars sont au centre d’un tourbillon médiatique étourdissant : ils incarnent la relation la plus “glamour” et “sexy” au royaume d’Hollywood et des torchons que sont TMZ ou The National Enquirer. On peut comparer ce choix de casting, insidieux, à celui de Stanley Kubrick pour Tom Cruise et Nicole Kidman dans Eyes Wide Shut.
Chez Fincher, autant que pour le réalisateur d’Orange Mécanique, l’art du détail est essentiel. Ce qui nous a amené à en choisir un qui a son importance : la vision des médias selon le cinéaste originaire de Denver. Car Gone Girl a la particularité de critiquer frontalement les journalistes. Une critique progressivement amenée dans Seven (1995), Zodiac (2007), The Social Network (2010), Millenium (2012) puis House of Cards (2013).
Pas étonnant, quand on s’aperçoit que la carrière du monsieur tourne notamment autour d’une obsession : illustrer la communication, qu’elle soit virtuelle (Mark Zuckerberg avec Facebook), codée (le tueur du Zodiaque et ses dessins) ou inconsciente (le narrateur et son double Tyler Durden).

À voir aussi sur Konbini

Seven (1995) : le journaliste complice

Zodiac (2007) : le journaliste codeur

The Social Network (2010) : le journaliste instrument

The Social Network relate la difficile édification de Facebook par un Mark Zuckerberg, jeune, hautain et déterminé. Sur son chemin, les médias. Ils ne sont pour lui que des instruments dont il use pour créer un évènement – qu’il soit faux ou non – et atteindre un objectif.
Un exemple concret : lors d’un procès, l’ancien associé du fondateur de Facebook, Eduardo, accuse son ancien patron d’avoir manipulé une publication par pure vengeance. Le futur milliardaire avait envoyé à The Harvard Crimson, le journal des étudiants de l’université de Harvard, une histoire selon laquelle Eduardo aurait délibérément torturé un poulet.
Absurde, oui, mais le mal est fait, l’information imprimée.

Dans ce film-commande de David Fincher, les médias ne sont qu’un intermédiaire pour créer l’opinion, modeler un fait qui n’a pas forcément de fond. Aucun journaliste n’apparaît. Par contre, sur l’écran des ordinateurs, c’est Facebook qui se construit, progressivement. Avec lui, une réalité, légitimée par ses propres utilisateurs qui viennent remplir les cases “en couple”, “université”, etc. L’information en réseau de Facebook prend la relève d’une information déterminée par les journaux.

Millenium (2012) : le vieux journaliste

Le journaliste de Millénium : Les Hommes qui n’aimaient pas les femmes ne s’en sort jamais. Il est courageux, a la carrure de James Bond dans Skyfall, mais n’arrive pas à ses fins. Du moins, pas tant qu’il n’a pas une aide extérieure. Celle de Lisbeth Salander en l’occurrence, qui le malmène devant un ordinateur et profite de son immobilisme.

Le journaliste héroïque, fantasmé, celui des Hommes du président, celui qu’on pouvait entrevoir dans Zodiac, n’est plus. Il bouge encore mais sous respiration artificielle, succombant sous le poids de la justice. Il a une berline ordinaire. Elle – Lisbeth – a une moto qui fonce. Il regarde – difficilement – des images sur son Mac. Elle pirate son ordinateur, lit ses mails, s’enquiert facilement de ses messages perso, résout une enquête qui l’avait fait couler des mois auparavant. Il n’existe que grâce à elle.
40 ans après le Watergate, David Fincher enterre les vielles gloires du journalisme dans le premier volet de Millenium pour mieux laisser émerger de nouvelles figures, connectées, non journalistes, symboles d’une information sans complexe (ce qui a des avantages comme des inconvénients). On pense évidemment à une personnalité comme Julian Assange ou, plus récemment, à Edward Snowden.

House of Cards (2013) : le journaliste qui se trahit

Gone Girl : le journalisme n’est plus

Journalisme fincherien

De 1997 à 2014, le journaliste chez David Fincher est partout mais n’occupe jamais la même place, de personnage anodin à protagoniste principal. Sa plus grande force réside dans le témoignage, quelle que soit sa valeur. Sa plus grande faiblesse, c’est son incapacité à agir.
Pris avec du recul, le journalisme “fincherien” est en accord avec la perte de confiance de l’opinion pour les médias. Le reporter oublie son éthique (House of Cards), suit la meute (Gone Girl), se sent dépassé (The Social Network, Millenium)… et parfois même soumis (Zodiac).
Pourtant, David Fincher ne peut s’empêcher de l’intégrer dans ses équations scénaristiques. Ils sont tout à la fois : des spectateurs, des passeurs d’info, des curieux, des voyeurs, des fouineurs, des obsédés, des passeurs. Car sans journalistes, pas de miroir de notre société, pas de miroir de… nous.