“Je célèbre le fait de ne plus haïr mon corps, de ne plus le trouver monstrueux” : par l’art, No Anger œuvre à la représentation du “corps handicapé”

“Je célèbre le fait de ne plus haïr mon corps, de ne plus le trouver monstrueux” : par l’art, No Anger œuvre à la représentation du “corps handicapé”

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© Arsène Marquis

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Par Pauline Allione

Publié le

Dans ses performances, l’artiste articule ses réflexions sur la représentation des "corps handicapés" et de la sexualité, ainsi que les luttes féministe, queer et antivalidiste.

“Peut-être faut-il imaginer Quasimodo heureux ?”, suggère No Anger en introduction de sa performance chorégraphique qui porte le nom du célèbre personnage bossu. Dans ses œuvres, la chercheuse et danseuse qui a doucement glissé vers l’artivisme propose de nouvelles esthétiques du “corps handicapé”, selon ses termes.

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Sélectionnée pour le prix Utopi·e 2023, qui célèbre la création LGBTQIA+, l’artiste lie l’intime au politique et articule les luttes féministe, queer et antivalidiste dont elle est investie dans des performances poignantes et nécessaires. Portrait.

“Quitte à ce que mon corps soit exposé, il me fallait une façon de l’exposer qui me soit plus confortable.”

Docteure en sciences politiques et chercheuse à l’ENS de Lyon, No Anger est presque devenue artiste “sans le faire exprès”. “Je me destinais au métier de la recherche parce que, pendant très longtemps, je pensais qu’une profession intellectuelle – où le corps n’est pas au premier plan – conviendrait mieux, du fait de mon handicap.”

Mais lors de ses premières conférences en tant que chercheuse, elle se sent embarrassée par son corps, en situation de handicap physique, notamment en comparaison à ses collègues valides qui mettent aisément en jeu leur corps, leur voix. “Quitte à ce que mon corps soit exposé, il me fallait une façon de l’exposer qui me soit plus confortable. Ne pas l’engager qu’à moitié, mais l’engager autrement.”

Elle commence à danser et à nourrir ses réflexions de mouvements (et inversement) lors de performances. “J’ai mis très longtemps à me sentir légitime à me dire artiste, parce que, déjà, je n’ai pas fait d’école d’art. Et ensuite, mon corps ne ressemble pas aux corps des artistes et, même si, depuis l’enfance, j’écrivais et je dansais, j’avais du mal à me projeter dans ce mot d’artiste et dans cet imaginaire-là.”

Comédienne, danseuse et performeuse, elle performe en 2015 dans le film My Body My Rules (2017) d’Émilie Jouvet, puis joue pour la première fois Quasimodo aux miroirs, l’une de ses œuvres les plus emblématiques, au MACVAL, en 2018.

No Anger. (© Isabelle Gressier)

“Par cette cérémonie, je célébrais le fait de ne plus haïr mon corps, d’avoir appris à ne plus le trouver monstrueux.”

Danseuse, mais également essayiste sur son blog À mon geste défendant, No Anger aborde dans son œuvre les questions de sexualisation des corps, de représentations des corps en situation de handicap, de rapports de domination, de lesbianisme ou encore d’émancipation des récits normatifs et hégémoniques.

Sur scène, la performeuse traduit ses luttes et réflexions politiques, souvent tirées de sa propre expérience, notamment de son corps, qui se trouve au cœur de son œuvre et de son artivisme. En 2019, pour marquer symboliquement son amour pour son enveloppe corporelle, No Anger se marie à elle-même et se fait tatouer une alliance autour de l’orteil. “Par cette cérémonie, je célébrais le fait de ne plus haïr mon corps, d’avoir appris à ne plus le trouver monstrueux, d’avoir appris à lui rendre justice. Je formulais aussi l’engagement de toujours traiter mon corps avec tendresse.”

“Je pouvais inventer ma propre sexualité, elle pouvait ne pas être figée dans des schémas hétérocentrés et validocentrés.”

C’est quelques années plus tôt que l’idée de réinventer son corps devient centrale pour No Anger. Elle fait alors une rencontre déterminante, une amie avec qui elle fait son virage queer et qui lui fait découvrir Monique Wittig et Mutantes de Virginie Despentes.

“Ces deux œuvres m’ont non seulement confortée sur l’idée de réinvention du corps, mais m’ont aussi permis d’élargir la question de la réinvention à la sexualité. Je pouvais inventer ma propre sexualité, elle pouvait ne pas être figée dans des schémas hétérocentrés et validocentrés”, nous confie-t-elle.

No Anger. (© Arsène Marquis)

Afin de faire passer ses messages sur scène, No Anger mobilise le langage et l’imaginaire dominants, et a souvent recours à l’humour. “Dans une séquence de Quasimodo aux miroirs, je parodie la scène du film Huit femmes où Fanny Ardant enlève ses gants… sauf que moi c’est avec mes chaussettes. Ça marque une sorte de rupture entre cette image hégémonique du corps féminin valide et celle de mon propre corps.”

En perpétuelle exploration de son corps, No Anger vivait au départ l’écriture comme un costume de scène et une armure protectrice vis-à-vis des regards extérieurs. Puis, peu à peu, l’imbrication de l’écriture, de la recherche et de la danse a transformé sa grille de lecture et sa propre appréhension de son corps. “J’ai fait corps avec ce costume et j’ai affirmé, en même temps que je les apprenais, les possibles de mon corps.”

L’exposition des dix artistes du prix Utopi·e se tiendra du 24 au 28 mai 2023, aux Magasins Généraux, à Pantin.

Konbini, partenaire d’Utopi·e.