J’ai vu (seul) le film Renaissance de Beyoncé au ciné et c’est ma nouvelle réalisatrice préférée

Spielberg peut aller se rhabiller

J’ai vu (seul) le film Renaissance de Beyoncé au ciné et c’est ma nouvelle réalisatrice préférée

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Youtube / Parkwood Entertainment

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Par Flavio Sillitti

Publié le , modifié le

Écrit, produit et réalisé par Beyoncé elle-même, le film Renaissance a fait trembler les murs du Grand Rex et son public de 2 700 personnes.

Ce week-end encore, dans la grande salle du Grand Rex de Paris, Beyoncé l’a prouvé : elle et elle seule peut créer un sanctuaire pour des communautés qui en ont cruellement manqué pendant trop longtemps. J’arrive seul au docu-concert de Beyoncé, projeté exceptionnellement au Grand Rex pour deux soirées. Le fait de ne pas être accompagné ne m’inquiète pas forcément, la BeyHive (nom donné aux fans de Queen B) n’est pas du genre à exclure ses abeilles.

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Pendant près de trois heures, la superstar se raconte, sans filtre (ou en tout cas moins de filtres que d’habitude) au rythme d’impeccables séquences de concert, captées avec toute la finesse que cela demande — je ne me remets pas des transitions subtiles qui font changer les tenues de Queen B et ses danseur·euse·s en un claquement de doigts.

À mon arrivée au Grand Rex, un pré-show s’occupe d’échauffer la salle. Je n’y assiste pas, trop occupé à braver la queue de l’enfer devant le stand de pop-corn. Et si mon addiction au sucre pourrait justifier ce sacrifice, c’est surtout que le Grand Rex propose une formule qui inclut le seau à pop-corn de Renaissance, et que mon portefeuille n’en a visiblement jamais marre d’engrosser les poches de ma reine Beyoncé.

La BeyHive, élue meilleure communauté de fans de la planète

Je m’installe pile à temps pour le début du film et, étant seul, je n’ai pas trop de mal à trouver une place. Je m’assois à côté de Christelle (aucune idée de son prénom mais Christelle ça lui va bien), qui va devenir ma meilleure copine de ciné-concert. Le film commence, je hurle.

Pour avoir assisté au show de Taylor Swift dans cette même salle quelques semaines plus tôt, je sais qu’elle est parfaite pour danser. Mais étant solo, je me demande si des pas de danse ne seraient pas cringe de ma part. Heureusement, Christelle me rassure en un regard : ce soir, c’est une célébration. “I’m That Girl” résonne et ça y est, mon bassin est en feu — la salle aussi.

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Parler de Renaissance, c’est évidemment parler de l’influence électro house du disque, des superbes tenues de la tournée, de la voix ineffable de Beyoncé et de son charisme immaculé, mais c’est aussi et surtout parler d’esprit de communauté. Et ce soir, au Grand Rex, les différentes communautés se côtoient avec une alchimie frissonnante et rarement témoignée — dans une salle de cinéma ou même ailleurs.

Pour ma part, je suis un fan timide. Beyoncé représente beaucoup, et aussi bien mes streams personnels que l’argent que j’ai déboursé dans son projet musical ces dernières années en témoignent. Mais je n’ai pas encore le “gène fan” qui me ferait sortir de chez moi et affronter le métro parisien avec un chapeau disco sur la tête. Pour autant, j’admire l’audace et l’élégance des fans qui ont sorti leurs tenues de paillettes et autres outfits sexy et moulants pour l’occasion.

C’est d’ailleurs l’une des raisons qui font qu’aucune autre fanbase ne me donne autant envie d’appartenir à quelque chose. Car si Queen B n’a ni les streams, ni les records affolants des autres stars mainstream de la pop, elle a cependant ce que trop peu ont réussi à engendrer ces dernières années : l’impact culturel. Les communautés queers et noires de Paris semblent s’être donné rendez-vous dans la grande salle du Grand Rex ce soir, et vous dire que les larmes ne sont pas montées à la vue de cette salle bondée, colorée et fière, serait vous mentir.

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“Look around, everybody on mute”

Je décrivais plus tôt dans l’année la tournée “Renaissance” comme le plus grand show pop de l’Histoire. Je le pense toujours. Mieux : j’ai aujourd’hui des preuves en 4K de ce que j’affirmais. Et s’il y a évidemment un moment que je m’impatientais de voir retransmis sur l’écran géant, c’est le fameux mute challenge du morceau “Energy”. La date bruxelloise du “Renaissance World Tour” à laquelle j’ai assisté arrivant en début de tournée, j’ignorais encore que le “Look around, everybody on mute” du morceau induisait un silence total du stade. Oui, je fais partie de celles et ceux qui ont hurlé pendant le mute challenge de Bruxelles, je l’assume.

Quelques mois plus tard, le défi est un incontournable pour les fans qui s’amusent à partager le moment sur les réseaux sociaux. Ou comment Beyoncé et son énorme cerveau qu’on adore ont réussi à transformer un moment du concert en trend TikTok. Au Grand Rex, alors que débute le morceau “Energy”, la salle se prépare, et hormis quelques cris étouffés au moment d’apercevoir Cardi B à l’écran, l’ensemble de la salle a totalement dead le mute challenge, et le résultat me fait encore frissonner.

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“Je n’ai plus rien à prouver à personne”

Ce qui fait réellement la force de ce film, ce sont les séquences de documentaire, intelligemment intégrées au fil des morceaux du show — malgré la légère frustration du public d’être coupé dans son élan festif, le film lui rappelant qu’on est dans une salle de cinéma et pas au Stade de France. Contrairement au docu-concert Homecoming de 2019, lui aussi écrit et réalisé par Beyoncé, Renaissance ne suit pas de façon chronologique l’avancée des préparatifs du show avec un décompte qui sert facilement de squelette à l’ensemble.

C’est ici beaucoup plus diffus, on fait quelques allers-retours, ce qui se passe sur scène est davantage une allégorie de ce que Beyoncé compte aborder dans la partie documentaire : la famille, le dépassement de soi, la décadence, le perfectionnisme, le lâcher-prise, la communauté queer, le retour aux sources, son rapport au temps. Le film est un patchwork d’idées et de pensées de la chanteuse, qui se répète parfois, certes, mais qui a le mérite de creuser en profondeur. En ce sens, le film est plus complexe, mais semble aussi plus personnel.

En sachant que les longs-métrages de la superstar sont ses seuls moyens de communication, on pouvait craindre une espèce de campagne ultra-glossy et dithyrambique à la gloire de Beyoncé. Sauf que non, elle ose la transparence. Elle se dévoile aussi imparfaite qu’inspirante, et le fait avec une finesse de réalisation qui épate. Depuis son premier documentaire autobiographique Life Is But a Dream en 2013, la chanteuse n’a fait qu’écrémer sa vision cinématographique, et délivre aujourd’hui la preuve que non seulement elle est une autrice de talent, mais aussi que le cinéma n’est qu’un rouage de l’art total qu’elle défend dans son projet et sa carrière.

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À la fois léché, subtil, mordant, léger, dramatique aussi (l’effet de tension au moment de l’incident sur “Alien Superstar” est tout bonnement ingénieux), le film Renaissance offre toutes les émotions qu’un bon blockbuster ne parvient parfois pas à procurer, et le fait avec style et pétillant. Entre deux mouvements de bassin frénétiques, le Grand Rex verse même quelques larmes face à des séquences touchantes qui font déborder nos cœurs, que ce soit celles de Beyoncé avec ses enfants (la séquence sur Blue Ivy m’a achevé de tendresse), avec sa mère Tina, ou avec elle-même, face à tout le poids que ce pouvoir, ce talent et ces responsabilités font peser sur la star de la pop.

Une fois les larmes essuyées, impossible de ne pas sortir de la salle sans le sourire et la force galvanisante que Beyoncé s’efforce de transmettre à ses fans. Alors que résonne “My House” et défilent les crédits de fin, les frissons me traversent. Je regarde Christelle : “C’était dingue”. Je la remercie d’avoir accompagné ce voisin un peu paumé et accro au sucre venu seul à cette projection.

À travers elle, je réalise que Beyoncé a cette force de frappe unique, qui permet à des inconnu·e·s de se rassembler un soir de décembre dans la plus grande salle de cinéma d’Europe, pour un instant de communion rare et salvatrice, sur fond d’excellence cinématographique. La casquette de réalisatrice de l’année n’était pas forcément celle que je m’attendais à lui attribuer, mais c’est un fait : Steven Spielberg peut aller se rhabiller. Merci, Beyoncé.