Bon, j’avoue, le titre est racoleur : je ne déteste pas Taylor Swift. Je vous mentirais d’ailleurs si je vous disais que “Love Story” et “You Belong With Me” n’ont pas tourné en boucle dans ma chambre de préado alors que je récurais le tartre de mon appareil dentaire en pensant à Martin, mon amour impossible de jeunesse. C’est juste que depuis cette période de ma vie plus ou moins honteuse, je n’ai pas forcément suivi le phénomène et que le succès monumental que connaît aujourd’hui Taylor Swift à travers le monde demeure pour moi un mystère total. Bien décidé à répondre à mes questions, j’ai décidé d’aller la voir en concert… au cinéma.
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Gros succès du box-office
C’est en effet au Grand Rex que je suis allé découvrir la magie Taylor Swift: The Eras Tour, à l’occasion de la sortie dans les salles françaises du film de “The Eras Tour”, sa tournée colossale entamée en mars dernier aux États-Unis et qui fera escale en France les 9, 10, 11 et 12 mai 2024 à La Défense Arena de Paris, et les 2 et 3 juin au Groupama Stadium de Lyon.
Le film, qui bénéficie d’une sortie mondiale, a déjà battu des records en se hissant au sommet du box-office nord-américain, avec 96 millions de dollars de recettes générées pour son week-end de sortie, faisant de lui le film-concert aux recettes de sortie les plus rentables, devançant les films de Justin Bieber (Never Say Never en 2011) et Michael Jackson (This Is It en 2009). Derrière ce succès, on retrouve les swifties, nom donné à la fanbase de la chanteuse états-unienne, réputée pour être l’une des plus voraces et ferventes communautés de fans. Accompagné de mon ami Akim, détenteur de multiples doctorats en swiftologie (s’ils existaient), je me suis plongé dans la culture Swifties et je n’en suis pas ressorti indemne.
Il est 14 h 30. À cette heure-là, on ne s’attend pas à un monde de fou et encore moins à voir les fans danser debout, gorges déployées. On a tort. On entre dans l’impressionnante grande salle du Grand Rex, pile poil pour l’ouverture du show et, alors que les couleurs criardes à l’écran nous éblouissent et qu’on distingue le sourire éclatant de la chanteuse, on aperçoit un parterre de fauteuils rempli du premier au dernier rang, et surtout le grondement du public qui l’occupe. J’ai débarqué dans une autre dimension. Je dégaine mon téléphone et la seule chose qui sort de ma bouche est un vilain “Oh my god”.
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Les Swifties, t’as peur
Le film, tout comme le show, est divisé en neuf parties, appelées “eras” (ères, en français), correspondant aux neuf albums de la chanteuse sortis sur les 17 dernières années. Dans l’ordre du show : Lover, Fearless, Evermore, Reputation, Speak Now, Red, Folklore, 1989 et Midnights. “Chaque era a sa couleur, sa tenue et son micro” me partage scolairement mon compatriote Akim. Les chansons s’enchaînent, j’en reconnais certaines, d’autres pas, mais le reste de la salle ne loupe aucun mot.
Je me laisse surprendre par les cris de mes voisin·e·s. “J’ai raté quelque chose ?” “Tu n’as pas vu ? Elle a tourné sur elle-même !”. Chacun des épiphénomènes opérés par Taylor Swift est bon à célébrer pour les Swifties. La première partie du show, plongée dans l’ère Lover, est mignonne. Un peu trop. Voilà ce qui me dérange dans sa pop : un côté Disney un peu cringe, avec des sourires figés qui me font décrocher. Ou bien serais-je tout simplement devenu trop grave et cynique que pour accepter un monde sans tracas le temps d’un concert ? Je n’ai pas le temps de me perdre dans mes pensées que les sièges devant moi se vident. Qu’est-ce qu’il se passe ?
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Les gens partent ? Déjà ? Au contraire : alors que résonnent les premières notes de “Fearless”, issu de l’album du même nom (un des favoris des fans, me confie mon ami swiftologue), les fans se ruent devant l’écran pour célébrer ensemble leur idole à frange. C’est sur ce même album que se retrouvent “You Belong With Me” et “Love Story”, alors autant vous dire que la version prépubère de moi-même ne s’est pas gênée pour se joindre aux fans en délire et beugler les paroles de ces bops intemporels alors que les agents de sécurité de la salle tentent de rasseoir la foule. Gérer une horde de Swifties, ce n’est pas le rêve pour un dimanche en début d’après-midi.
Au fil des eras
Les eras se succèdent et ne se ressemblent pas vraiment, à ma grande surprise. Moi qui pensais que la pop de Taylor Swift se limitait à des univers cotonneux faits de pop générique et aseptisée (à l’image de Shake It Off ou Blank Space), je découvre avec joie l’ère Reputation. Sulfureuse, sexy, cunty, vengeresse, la chanteuse interprète “Look What You Made Me Do” et, enfin, j’aperçois une Taylor Swift à qui je veux ressembler quand je serai grand.
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Je découvre aussi les albums Evermore et Folklore et leurs ambiance victoriennes, parfois même teintées de sorcellerie. C’est d’ailleurs pendant l’era Evermore que Taylor annonce avec émotion le morceau “Marjorie”, dédié à sa grand-mère maternelle et mon ami Akim est dans tous ses états. “Je vais pleurer.” J’hésite à le suivre pour me fondre dans la masse.
Quelques minutes avant, notre voisine de gauche s’est vue réprimandée pour avoir enclenché le flash de son téléphone. “Le flash est interdit au cinéma !” Cinq minutes plus tard, alors que “Marjorie” résonne sur toutes les lèvres, la salle entière fait balancer son flash de gauche à droite. Les Swifties sont en pleurs, les vigiles en sueur.
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On ressent la même émotion sur “All Too Well”, impressionnant titre long de dix minutes (!), religieusement récité au mot près par l’assemblée. Frissonnant. Près de trois heures plus tard, on ressort du Grand Rex avec les mêmes sensations que nous aurait procuré un vrai concert, sans les maux de pieds. Les mêmes palpitations, les mêmes airs de musique dans la tête, les mêmes embouteillages à la sortie de la salle et le même début d’acouphènes dans les oreilles. On a carrément droit aux vendeurs de posters qui nous attendent à la sortie de la séance pour nous marchander leurs merveilles à l’effigie de Taylor Swift à prix déraisonné. On s’y croit vraiment.
Alors, le “Eras Tour”, j’en pense quoi ?
Je me suis trompé sur Taylor Swift. Pendant près de trois heures, celle que l’on surnomme Miss Americana m’a prouvé que le live était son terrain de jeu. Merveilleusement filmé et monté, le film m’a plongé dans les différents univers de la chanteuse et m’a fait comprendre le phénomène qui l’entourait : une pop facile, accrocheuse, et universelle. Alors, non, tout n’est pas parfait : les chorégraphies et la puissance vocale ne semblent pas être les points forts de l’artiste. Mais elle semble en avoir conscience, et comble le manque par une expressivité captivante à la sympathie contagieuse et attachante, et surtout des scénographies absolument bluffantes qui crèvent l’écran, et qui doivent probablement être encore plus impressionnantes dans la vraie vie.
La vraie force de show demeure ce lien précieux avec son public, allant jusqu’à offrir des surprise songs uniques à chacune des dates pour récompenser les fans présent·e·s chaque soir. Le show est davantage dans le public que sur scène, tant la ferveur des Swifties fait chaud au cœur — et un peu peur aussi. Si le film n’a pas fait de moi un néo-Swiftie, la pop de Taylor Swift n’étant définitivement pas la pop que j’aime me glisser dans les oreilles, il m’a tout de même donné envie de découvrir le show à Paris ou à Lyon. De la production aux décors, en passant par l’énergie dépensée sur scène : difficile de ne pas reconnaître le “Eras Tour” comme l’un des événements pop historiques de ces deux dernières décennies. Swiftie ou pas, c’est un immanquable, par amour de la pop.
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