Shay : “L’état actuel du rap féminin ne me plaît pas”

Shay : “L’état actuel du rap féminin ne me plaît pas”

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Par Naomi Clément

Publié le

“Le rap, c’est arrivé un peu par hasard”

Konbini Pour mieux comprendre ton histoire, j’aimerais retourner en arrière. Qu’est-ce que tu écoutais quand tu étais plus jeune ?
Shay | Adolescente, j’écoutais énormément de R’n’B, du TLC, du Aaliyah… J’ai aussi beaucoup été influencée par mon grand cousin, avec lequel j’ai grandi, et qui écoutait beaucoup de rap avec des artistes comme Tupac, Biggie, P. Diddy… toutes les grosses têtes du rap US des années 1990, quoi.
Mais mon père écoutait aussi de la chanson française, du Michel Sardou, donc je connaissais toutes ses chansons par cœur. Et il y avait aussi énormément de rumba congolaise chez moi, à cause de mon grand-père, le chanteur Tabu Ley Rochereau. D’ailleurs, c’est lui qui m’a donné ce surnom, “Shay”. Ça veut dire “celle qui apporte la lumière” dans la langue de son village.
Tu es déjà allée au Congo ?
Ouais, j’ai même vécu là-bas un an et demi quand j’étais adolescente. Depuis, j’y retourne souvent, et c’est important pour moi, car c’est un pays qui m’a beaucoup touchée. Je m’y suis rendue tard, quand j’avais déjà 15 ans. Donc j’ai découvert ce pays alors que j’avais grandi ici et… c’était dur. Mais ça m’a appris beaucoup de valeurs, et je me suis quand même sentie chez moi. C’est pas qu’en Belgique je ne me sentais pas chez moi, mais quand je suis arrivée là-bas, il s’est passé un truc que je ne peux pas expliquer… Je me suis sentie accueillie. 
Du coup, comment as-tu commencé à rapper ?
En fait, j’ai toujours fait de la musique. Avant de savoir parler ou écrire, j’enregistrais déjà des sons, grâce à mon grand-père notamment, qui nous offrait toujours des radiocassettes à moi et à mon grand frère, pour qu’on s’enregistre.
Mais le rap, c’est arrivé un peu par hasard. Un jour, je devais avoir 18 ans, et mon grand frère me dit : “Viens on enregistre un morceau, j’ai acheté une caméra comme ça je te filme.” Donc on a fait ça, et il s’avère qu’un de mes amis, qui a trouvé la démo cool, était en contact avec Booba à ce moment-là, donc la maquette s’est retrouvée chez Tallac Records. Booba a kiffé, et un an plus tard, il m’a appelée pour faire “Cruella” sur Autopsie Vol. 4. C’est là où je me suis dit que je pouvais en faire un métier. 

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“L’image doit prendre le relais là où la musique s’arrête”

Cet été tu as sorti “PMW”, le premier single de ton album Jolie Garce, qui t’a réellement propulsée sous le feu des projecteurs. Tu t’attendais à un tel succès ?
Non. Pour moi, “PWM” était un bon morceau, j’en étais fière et j’avais foi en lui, mais après… je suis du genre pessimiste. Même si je le fais écouter à tout mon entourage, et qu’ils sont 30 à kiffer, au final ça ne fait que 30 vues. Je ne pouvais pas imaginer qu’il y aurait des millions d’autres personnes qui allaient cliquer.
Le morceau a aussi été acclamé pour son clip. À quel point es-tu impliquée dans la direction artistique de ton projet ?
Ça dépend. Pour le clip de “Cabeza” par exemple, qui est sorti il y a pas longtemps, j’ai tout écrit. Après quoi, le réalisateur a refait un peu à sa sauce, en se basant sur ce que j’avais écrit. Mais pour “PMW”, j’ai laissé carte blanche aux réalisateurs [M + F, ndlr]. J’avais totalement confiance en eux.
L’image est super importante pour moi. Elle doit apporter quelque chose en plus au morceau, et prendre le relais là où la musique s’arrête. Mais vu mes connaissances et mes centres d’intérêt, parfois je peux être limitée dans ce domaine, tu vois ? Ce que j’ai kiffé avec les réal’ de “PMW”, c’est qu’ils viennent d’un tout autre milieu que le mien, et donc ils ont apporté d’autres idées. J’étais hyper admirative, du genre : “Ah ouais vous sortez des trucs comme ça vous ?” [rires] Du coup, je leur ai dit : “Faites ce que vous voulez.” J’ai tout validé avec mon équipe bien sûr, mais je les ai laissés faire.

“Le rap représente la jeunesse, et dans la jeunesse, il y a aussi des femmes. Il faut qu’elles soient représentées”

Dans le clip de “Cabeza”, que tu as donc écrit, on sent que tu es très à l’aise avec ton corps. Comment cette image de jeune femme qui s’assume est selon toi perçue dans le rap game, qui est un monde plutôt très masculin, où les femmes n’ont pas toujours été mises en valeur ? 
Moi, de toute façon, je pense que ma position est légitime, donc les gens peuvent dire ce qu’ils veulent : je ne m’en préoccupe pas. Et j’ai la chance de travailler avec des gens, notamment Booba, qui eux n’ont aucun problème avec ça. 
Pour moi, le rap représente la jeunesse, et dans la jeunesse, il y a aussi des femmes. Il faut qu’elles soient représentées. Du coup je suis là. Ma présence est justifiée, point à la ligne. 
Tu penses que ta musique pourrait encourager d’autres femmes à se lancer dans le rap ?
Je l’espère ! J’ai cette ambition en tout cas. L’état actuel du rap féminin ne me plaît pas. Savoir qu’il est inexistant, je ne trouve pas ça normal. Les femmes doivent être davantage représentées. Même pour moi, en tant qu’auditrice, je n’ai pas envie de n’écouter que moi ! J’ai envie d’écouter d’autres femmes, de savoir ce qu’elles ont envie de dire.
Tu vois chez les mecs, il y a plein de raps différents, qui s’adressent à plein de catégories différentes. Moi, je fais un rap qui parle à une certaine catégorie de meufs, donc forcément je ne peux pas représenter toutes les meufs. Donc elles sont où les autres ? Il faut qu’elles soient là.
À qui s’adresse ton rap, du coup ? 
Aux jolies garces [rires]. Pour moi il y a deux groupes bien distincts de femmes dans le monde : d’un côté, il y a les femmes “normales” ; et de l’autre, il y a les jolies garces. Et ce qui différencie les deux groupes, c’est que les jolies garces, elles sont ambitieuses. Et quand tu es ambitieuse et que tu es une femme, tu es toujours en rapport de force pour obtenir le respect. Les jolies garces, c’est les femmes qui arrachent le respect. Et moi, c’est à elles que je m’adresse.

Le premier album de Shay, Jolie Garce, est disponible depuis le 2 décembre sur iTunes ou Spotify.