“Il ne faut pas lier ma sexualité à ma transidentité” : on a discuté avec Ouryel de Frenchie Shore

“Il ne faut pas lier ma sexualité à ma transidentité” : on a discuté avec Ouryel de Frenchie Shore

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Par Nassima Azizi

Publié le

Notre interview de l’icône de Frenchie Shore, en version longue.

Dès les premiers épisodes de Frenchie Shore, Ouryel a été remarquée pour son franc-parler et son coming out trans. C’est un “non-événement” devenu une scène iconique de cette téléréalité.

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Konbini | Ça fait quoi d’être l’une des rares femmes trans que l’on voit dans la téléréalité française ? Peux-tu nous raconter ton expérience dans l’émission ?

Ouryel | Effectivement, les femmes trans sont une minorité à la télé française. Il y a eu Sanaya il y a quelques années, puis Jade plus récemment. La transidentité est très peu montrée à la télé française, je pense que les productions ont peur de mettre des femmes transgenres à l’écran car elles ne savent pas comment ça sera reçu. Pourtant, dans les autres pays, c’est quelque chose de très démocratisé. Pour moi, c’était important de le dire, de l’assumer, de faire de la transidentité un sujet léger parce que ça permet de faire avancer les choses. Je voulais que mon coming out soit un non-événement pour qu’on n’en fasse pas toute une affaire. L’objectif était de montrer que les femmes trans sont des femmes comme toutes les autres femmes. Le passé est différent, mais la finalité est la même, c’est le message que je voulais transmettre dans Frenchie Shore.

Beaucoup de femmes trans t’ont repost dès le début de l’émission dans leur story, qu’est-ce que ça fait d’être une représentation, voire “une star” pour la communauté trans ?

J’avais de l’appréhension puisque notre communauté subit beaucoup de jugement, donc on veut toujours avoir une belle représentation, ce qui est normal puisqu’on n’est jamais représenté·e·s dans les médias. Je suis très contente que la communauté trans, même LGBTQ de manière générale m’ait validé. J’avais peur que l’on me dise : Tu es une femme trans, tu as ce côté hypersexuel, tu retombes dans les clichés”. Je pense que tout le monde a compris que j’assume mon corps, j’assume qui je suis. La communauté LGBTQ, c’était la première communauté que je voulais avoir avec moi” puisque j’en fais partie. Je voulais qu’iels aient une représentation qui les rende fièr·e·s donc I feel great !

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Quels ont été les retours sur ton coming out ? On voit sur les images que les réactions étaient plutôt positives, mais était-ce la même chose hors caméra ?

Honnêtement, c’était hyper-positif et pas uniquement devant les caméras. Tout le monde était respectueux, j’étais considérée comme une femme, point. On n’en a jamais reparlé, c’était un non-événement, c’est ce dont je suis la plus fière. Je voulais vraiment que ça se passe comme ça, c’est pour ça que je l’ai dit d’une manière “pédagogique”, j’ai vraiment juste voulu axer sur le changement physique pour les éduquer parce qu’aucun·e des habitant·e·s n’était éduqué à la transidentité. J’ai dû jouer la maman, c’est d’ailleurs ce qu’on dit beaucoup sur les réseaux, I’m a mother ! On peut dire beaucoup de choses par rapport aux habitant·e·s, même par rapport aux hommes qui ont ce côté très charo, mais ils sont tous très ouverts d’esprit, très tolérants. Je suis très fière de dire qu’ils sont éduqués à la communauté trans grâce à moi !

Tu dis que “beaucoup de personnes de ton entourage ne le savaient pas”. Depuis la diffusion de l’épisode, y a-t-il eu de l’hostilité venant de tes proches ? Si oui, comment as-tu géré cela ? Pourquoi avoir attendu l’émission, était-ce par manque d’occasions ou de courage ?

Tous mes ami·e·s proches et ma famille le savaient, mais les gens que je côtoyais en soirée, les personnes qui me suivaient sur les réseaux, ne le savaient pas forcément, sorry ! C’est vrai que je n’ai pas toujours trouvé le timing. C’est dur, quand tu rencontres un garçon, d’aborder ce sujet. J’ai travaillé avec beaucoup de collègues qui ne le savaient pas. Il y avait quand même un sacré cercle autour de moi qui, je pense, s’en doutait, mais c’était quelque chose de mystique dont on n’avait jamais réellement parlé. J’attendais le bon moment pour le dire, je savais qu’il y aurait ce moment où ça sortirait. Ça s’est présenté avec Frenchie Shore, je l’ai dit de manière très claire. Jusqu’à présent, je n’ai pas eu de retours négatifs, personne n’a été traumatisé de mon annonce.

Penses-tu qu’avoir fait un coming out à la télé permettra à d’autres personnes d’avoir le courage de le faire ? Était-ce peut-être aussi l’une de tes intentions ?

Sanaya l’avait fait il y a quelques années, mais je pense qu’aujourd’hui, on est dans une société qui offre plus de visibilité, c’est aussi pour ça que mon coming out a beaucoup fait parler dans les premiers épisodes. Je l’ai fait pour être honnête avec qui je suis et être honnête avec tout le monde. Mais aussi pour les jeunes et les moins jeunes, puisqu’il n’y a pas d’âge pour se sentir dans le mauvais corps et pour se lancer dans une transition. C’était important pour moi de montrer que malgré ce qui se dit, il y existe des gens ouverts, cool, que personne n’est seul·e et qu’ensemble, on peut faire évoluer les mentalités. Il ne faut pas baisser les bras. La preuve : je suis là, j’ai 25 ans, je suis dans Frenchie Shore et je les ai tou·te·s mangé·e·s ! *rires*

Que penses-tu de la représentation des femmes trans, ou de la commu trans en général ? Est-ce que ta participation à l’émission était aussi pour toi un moyen de faire entendre ta voix, de te rendre visible et d’ainsi donner de la visibilité à d’autres femmes trans pour qu’elles puissent se sentir représentées ?

Moi, j’ai un point de vue qui n’est pas partagé par tout le monde, mais je pense qu’il ne faut pas non plus tomber dans la propagande, il ne faut pas insister sur le sujet et forcer en mettant des personnes de la communauté LGBTQ. Je pense que pour les gens qui ne sont pas ouverts, ça peut faire l’effet inverse. Il n’y a pas beaucoup de représentation dans les médias, mais je pense que la représentation que je donne, c’est une représentation positive, puisque les choses sont dites clairement et simplement. Il y a tellement de transphobie, d’attaques physiques comme verbales envers la communauté trans que de voir autant de légèreté, ça redonne un peu d’espoir dans ce monde qui n’est pas forcément ouvert.

Il y a eu énormément de transphobie sur les réseaux sociaux lors de la diffusion de cette scène, comment l’as-tu vécu ?

La transphobie était au rendez-vous, mais je m’y attendais. Je réunis pas mal de critères de ce que les gens aimes critiquer dans la société française : une femme sexuellement assumée, bien dans son corps, qui dit les choses de manière crue, qui ne représente pas forcément l’élégance, le chic à la française, donc qui ne rentre pas dans les cases… En plus, je suis une femme trans ! Je savais que j’allais être attaquée. J’ai surtout été attaquée sur le fait que je sois une femme trans, puisque ça dérange. Au début, je lisais les commentaires pour avoir un peu les retours. Puis quand je vois que ça radote autour d’un même sujet, je préfère arrêter de regarder, me dire : “Tu n’es pas une femme”, c’est quelque chose qui ne va pas me servir. Je sais qui je suis, je suis bien dans mes baskets. Les commentaires transphobes qui me mégenrent, pareil, c’est de la provocation. Ce n’est pas trois petits clochards sur Internet qui vont changer mon avis sur qui je suis !

Tu commences ton discours en parlant de chirurgie. Pour toi, était-ce une étape obligatoire pour être une femme ? Comprends-tu que l’on peut être une femme sans passer par là ?

Ce que je dis souvent, c’est qu’il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises transitions. Le suivi hormonal, psychologique, chirurgical, rien n’est obligatoire. Le tout, c’est de faire une transition qui te ressemble, de faire des choses qui te permettent d’aller mieux. Ce que tu as entre les jambes ne définit pas qui tu es, ça, on le répète ! Dans ma tête, la conception que j’avais de la femme, c’était des seins et un vagin, mais c’est ce qui me permettait, moi, de me sentir bien. Ce n’est pas parce que vous n’avez pas envie de faire ces opérations que vous êtes moins légitime en tant que femme. Toute transition est OK et le tout, c’est de se regarder dans un miroir, de s’aimer et de slay !

Melvin a dit “Ça rajoute du piment”. Ça montre l’image que les hommes cis ont des femmes trans, as-tu été plus sexualisée dans Frenchie Shore après ton coming out ? Ou au contraire, as-tu senti moins de jeux de séduction après ça ?

Le regard des garçons après l’annonce de mon coming out n’a pas changé. Ils ont chacun eu des réactions différentes. Tristan était plus en retrait. Melvin, lui, a verbalisé de façon plus crue que ça ne lui posait pas de problème. Cependant, rien n’a changé, je n’ai pas été plus sexualisée ou plus en retrait, le jeu de séduction est resté identique.

Les femmes trans subissent énormément le fait d’être l’objet de fétichisme, participer à Frenchie Shore, une téléréalité axée sur le sexe, tu ne trouves pas que ça participe à la sexualisation de la femme trans ?

C’était l’une de mes premières interrogations, j’avais peur que l’audience fasse ce rapprochement entre l’hypersexualisation et la transidentité. C’est important de souligner qu’encore aujourd’hui, les gens lient la transidentité à la pornographie ou aux travailleuses du sexe. Non, je ne pense pas avoir participé à la fétichisation de la femme trans. Moi, j’ai fait l’émission en étant une femme comme les autres. Je ne souhaitais pas alimenter les clichés, je suis comme ça de nature. Je suis une femme qui aime la sexualité et effectivement, je suis trans. Mais il ne faut pas lier la sexualité, qui je suis et ce que je fais à ma transidentité.

Avais-tu des “modèles” de personnalité trans (dans la téléréalité mais pas seulement) qui t’ont inspirée dans ton parcours identitaire ?

Ma transition, je l’ai faite il y a presque sept ans, on en parlait moins il y avait beaucoup moins d’informations à ce sujet-là, donc je me suis forgée toute seule. Mais le livre d’Inès Rau m’a inspirée, d’ailleurs c’est en lisant son livre que j’ai décidé de faire ma vaginoplastie au Canada. Il y a aussi Gabrielle Marion que je regardais au début. Puis finalement je suis partie au front toute seule et j’ai fini par m’inspirer de moi-même.