Fabcaro et Didier Conrad : “Créer une aventure d’Astérix, ce n’est pas un boulot normal !”

Fabcaro et Didier Conrad : “Créer une aventure d’Astérix, ce n’est pas un boulot normal !”

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Par Leonard Desbrieres

Publié le

Le dessinateur Didier Conrad et le petit nouveau Fabcaro s’associent pour signer le quarantième album d’Astérix.

Un nouvel album d’Astérix, c’est toujours, et ce sera toujours un événement.

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À l’occasion de la sortie ce 26 octobre de L’Iris Blanc, on a rencontré le duo derrière l’album — le dessinateur Didier Conrad, qui n’en est pas à son coup d’essai sur la saga, et Fabcaro, célèbre auteur qui signe ici sa première aventure gauloise.

Konbini | Honneur au petit nouveau, Fabcaro, comment êtes-vous arrivé dans cette aventure ?

Fabcaro | Un jour, je reçois un mail des équipes de l’éditeur Albert René me disant qu’ils souhaitent me rencontrer. Ne sachant pas que Jean-Yves Ferri voulait faire une pause, je me présente au rendez-vous sans pression, sans trop rêver non plus, en me demandant bien de quoi il en retourne. Et là, très vite, on me dit : “On a pensé à toi pour le prochain Astérix. C’était complètement surréaliste, un feu d’artifice dans ma tête.

J’habite Montpellier, je suis reparti tellement excité que la première mouture du synopsis de L’Iris Blanc est née dans le train une demi-heure après la réunion.

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Quelle place occupe Astérix dans votre vie et votre parcours de dessinateur ?

Fabcaro | J’ai appris à lire avec Astérix. J’ai ouvert mon premier album à six ou sept ans et depuis, je ne fais que les relire parce que ce qui est fascinant, c’est le nombre incalculable de niveaux de lecture. Mes premiers souvenirs de dessin, c’est moi en train de recopier des cases du Combat des chefs.

Après, je n’ai clairement pas le niveau pour faire du Uderzo, donc ma référence dans le duo, c’est plutôt Goscinny et ses scénarios. Pour moi, c’est le plus grand. Même si nos univers ne se ressemblent pas, il a beaucoup influencé mon œuvre. Alors quand à 48 ans, on m’appelle pour me demander si je veux reprendre le flambeau, c’est un rêve de gosse qui se réalise.

Didier Conrad, ça fait dix ans maintenant que vous avez repris le flambeau d’Uderzo, quels conseils avez-vous donnés à Fabcaro ?

Conrad | Je ne connaissais pas Fabcaro. Je vis aux États-Unis depuis longtemps et je ne suis pas du tout au fait des parutions en France. Alors j’ai regardé ce qu’il faisait, j’en ai parlé autour de moi. On m’a dit : “Tu vas voir, il dessine, il écrit des bandes dessinées, des romans, des pièces de théâtre, il est adapté au cinéma, c’est une star !” [rires].

La première chose que je lui ai dite, c’est que ce n’est pas un boulot normal. Notamment dans les conditions de travail. C’est plus proche du travail de studio dans la mesure où il y a beaucoup d’intervenants. Il y a un travail de brainstorming constant qu’on ne fait pas dans le BD en général. Tout le monde donne son avis, tout va être lu, tout peut changer d’une minute à l’autre, tout va être commenté par tout le monde y compris et surtout par des gens qui ne comprennent rien à la BD.

Astérix n’est pas qu’une BD, c’est un phénomène social, tout le monde s’en empare.

Vous vous attendiez à un tel environnement ?

F | Ta première phrase Didier, c’était quelque chose du genre : “Tu viens du cinéma alternatif, bienvenue à Hollywood !”. Je voyais bien qu’Astérix était une aventure hors norme. Je savais que j’arrivais dans une grosse machine et j’ai accepté les règles du jeu avec plaisir. Je savais que je n’allais pas tout gérer de A à Z, comme mes livres.

Comment, concrètement, s’est déroulée la conception de l’album ?

F | J’ai d’abord écrit un synopsis que j’ai fait valider par l’éditeur. Puis j’ai conçu un storyboard mal dessiné d’une douzaine de pages afin qu’on travaille avec l’éditeur pour obtenir quinze pages à peu près potables à envoyer à Didier.

D | C’est le moment où je peux glisser quelques remarques après, on ne me demande plus jamais mon avis [rires].

F | C’est à lui qu’on doit la scène d’introduction ! Avant, on commençait directement par le palais à Rome et cette colère de César contre les désertions à répétition de ses troupes. Mais Didier, avec son expérience, m’a dit que ce serait mieux d’avoir une petite scène pour montrer ça et effectivement, c’est plus fort !

Je découvre le boulot collectif et j’aime beaucoup.

Comment parvient-on à mettre sa patte quand on évolue dans un univers si codifié ?

F | L’important, c’était d’être au service d’Astérix. Je ne pouvais pas faire mes petites bêtises habituelles, hyper absurdes, hyper décalées. Il y a des impératifs qui sont rentrés dans l’inconscient collectif, il faut un peu de jeux de mots, il faut voir les pirates, il faut deux ou trois bagarres. Et dans ce moule, on essaye d’imposer son style parce que si on est venu vous chercher, c’est aussi pour faire ce que vous faites d’habitude.

Tout est une question de dosage, en fait.

Votre patte, elle s’exprime notamment dans le grand méchant de cette histoire, parlez-nous de Vicévertus.

F | C’est une espèce de gourou très charismatique, très doux et en même temps très double, très pervers, très manipulateur qui va venir perturber l’unité du village gaulois. Goscinny avait toujours des méchants super forts comme Détritus ou Acidenitrix mais lui, c’est un méchant particulier parce qu’il n’est pas monolithique. C’est un filou. C’est aussi un clin d’œil un peu moqueur, pas forcément une critique d’ailleurs, à la pensée positive. C’est une parabole des gens qui veulent accéder au pouvoir par la séduction.

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C’est d’ailleurs un des albums les plus satiriques de la série. Vous prenez un malin plaisir à vous moquer des obsessions de la société, c’est aussi ça, la patte Fabcaro ?

F | Ah oui vous trouvez !? Le naturel revient toujours au galop. Les manies, les tendances ridicules, ce sont des choses qui me fascinent. J’ai envie de croquer la vie en société. Dès lors qu’ils vont à Lutèce par exemple, j’avais envie de m’amuser avec le Paris branché, l’art contemporain, la nouvelle cuisine, Saint-Germain-des-Prés, l’invasion des trottinettes.

Ça donne un album rempli de blagues cachées, de petits détails hilarants…

F | C’est presque un plaisir d’enfant. Je suis fan de ces vannes qu’une personne sur dix va voir à la première lecture. Mais c’est aussi un travail collectif, par exemple les pancartes de la manif en arrière-fond à un moment, c’est Didier qui les a suggérées pour rajouter une couche d’humour.

Didier Conrad, est-ce que ce n’est pas trop redondant de dessiner toujours les mêmes personnages ?

D | La magie d’Uderzo, c’est que rien n’est codifié. Il ne fait presque jamais deux fois la même chose. Donc c’est un challenge constant, on ne peut pas s’ennuyer comme ça pourrait être le cas chez Hergé avec Tintin où tout est au millimètre. Prenez par exemple le banquet à la fin, il y a des impératifs mais ce n’est jamais deux fois la même scène.

Et puis, l’excitation passe aussi par les nouveaux personnages. Pour Vicévertus, on voulait quelqu’un qui incarne la prestance, la séduction, le double jeu, on s’est basés sur un mélange de BHL et de Villepin, je me suis régalé.

Il vous ressemble aussi Fabcaro, non ?

F | Décidément ! Depuis ce matin, tu es au moins le troisième à me dire ça ! Ça commence à me faire peur !

D | C’est la boucle d’oreille, je crois !

Une traduction en 20 langues, un tirage à 5 millions d’exemplaires, est-ce qu’on ressent une pression particulière ?

F | Pendant l’écriture, il y avait vraiment zéro pression. Il n’y avait que de l’excitation !

D | Elle va venir à la sortie de l’album, quand tu vas voir les montagnes de livres en librairies. C’est assez bizarre de découvrir des murs entiers d’Astérix. Et surtout, on se rend compte que le succès est le même en Allemagne, en Espagne, au Portugal.

F | Et comme c’est patrimonial, je m’attends à ce qu’on se fasse un peu asticoter parce que tout le monde a son Astérix et ne le conçoit pas pareil.

Dans une interview, vous avez parlé d’intérim tout en laissant la porte ouverte à une collaboration.

F | La décision appartient à Jean-Yves Ferri, qui était parti sur un autre projet pour celui-là. S’il a besoin de souffler un peu, je serais bien évidemment ravi, mais c’est d’abord lui le nouveau scénariste d’Astérix et je ne viens pas pour lui piquer sa place.

Une question piège pour finir : votre album préféré de la série ?

F | Chez Astérix, il y a les albums voyage, qui racontent une odyssée, une aventure en mouvement et les albums village qui se déroulent uniquement en Gaule mais avec un élément perturbateur. Je préfère les albums village, j’aime ce côté douillet chamboulé par un individu qui débarque. Donc je dirais La Zizanie ou Le Devin.

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D | Astérix légionnaire pour la première rencontre avec Falbala ou Astérix et Cléopâtre pour le côté grand spectacle que Chabat a très bien retranscrit dans son film.