Du reggae au dancehall : l’expo “Jamaica Jamaica !” retrace l’évolution de la musique jamaïcaine

Du reggae au dancehall : l’expo “Jamaica Jamaica !” retrace l’évolution de la musique jamaïcaine

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Par Naomi Clément

Publié le

Une histoire passionnante, à découvrir à la Philharmonie de Paris du 4 avril au 13 août 2017.

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Lorsqu’on évoque le mot “reggae”, l’image de Bob Marley vient instantanément heurter nos esprits. Et pour cause : ce kid de Trenchtown, un quartier brûlant de West Kingston, est celui qui a porté ce courant musical majeur au-delà des côtes de la Jamaïque. À ses débuts entouré de Peter Tosh et Bunny Wailer, avec qui il forme un temps le groupe Bob Marley & the Wailers, Bob Marley devient, avant sa mort en 1981 à l’âge de 36 ans, la première star internationale issue du tiers-monde, offrant à son pays natal une renommée mondiale.

Pourtant, il ne faudrait pas réduire le reggae (et ses nombreux dérivés) au seul Bob Marley. C’est ce que démontre aujourd’hui l’exposition “Jamaica Jamaica !”, installée à la Philharmonie de Paris du 4 avril au 13 août 2017. Réunissant instruments, photographies, peintures et films rares, cette dernière révèle les multiples facettes de la musique jamaïcaine, où cœur de laquelle se mélangent les noms de Bob Marley bien sûr mais aussi ceux de Lee Perry ou Haïlé Sélassié Ier, ainsi que de nombreux styles musicaux tels que le burru, le mento, le ska ou le dub, et des mots comme “deejay”, “sound system” ou “remix”.

Le but ? Raconter l’extraordinaire histoire d’une toute petite île caribéenne, à peine plus grande que la Corse, dont l’influence continue, encore à ce jour, de se répandre à travers l’industrie musicale contemporaine.

Du mento au reggae

L’exposition s’ouvre sur le passé colonial de la Jamaïque. Annexée par l’Espagne à la faveur de Christophe Colomb, qui y débarqua en 1494, l’île est finalement conquise par les Anglais en 1655, qui en font une des plateformes de la traite négrière. C’est dans cet héritage de l’esclavage que naît, à la fin du XIXe siècle, le mento, la première forme de musique créole jamaïcaine, qui se nourrit aussi bien des danses et chants de peuples d’Afrique de l’Ouest que de pratiques coloniales comme le quadrille, une danse de cour très populaire en Jamaïque.

Célébré jusque dans les années 1950, le mento finit par laisser place, dans les années 1960, à un nouveau courant musical : le ska. Ce dernier, qui mélange des traditions musicales locales aux R’n’B et jazz américains, devient officieusement la bande-son de l’état souverain de la Jamaïque, qui acquiert son indépendance en 1962. Porté par les Skatalites, un groupe de jeunes laissés-pour-compte formés à l’Alpha Boys’ School (une école fondée par des religieuses), le ska va devenir, entre 1960 et 1966, le premier phénomène musical jamaïcain de portée mondiale.

Le mento et le ska sont en fait les prémices d’une musique plus lente, caractérisée par un rythme binaire syncopé, qui finira par devenir la plus populaire des expressions musicales de l’île caribéenne : le reggae. Apparu à la fin des années 1960, ce nouveau son symbolise le vent de la liberté soufflé par l’indépendance récente du pays. Plusieurs salles sont dédiées à l’histoire de cette musique, dont une qui illustre ses débuts peu connus, et une autre qui retrace la vie de sa plus grande légende : Bob Marley.

Les stations de radio : instrument de cohésion sociale

En parallèle de retracer les diverses mutations des courants musicaux de la Jamaïque, du mento au dancehall, “Jamaica Jamaica !” s’attache à nous faire revivre l’effervescence des premiers studios d’enregistrement musicaux. Après nous avoir replongé dans l’histoire de Lee “Scratch” Perry, fameux producteur considéré comme “le Salvador Dalí jamaïcain”, l’exposition nous invite à pénétrer la reconstitution du Studio One. Créé par Clément Seymour “Coxsone” Dodd (1932-2004), ce studio a lancé la carrière de centaines de chanteurs et autres musiciens jamaïcains, dont Bob Marley & The Wailers, Burning Spear, Ras Michael ou Alton Ellis.

L’exposition revient également sur le rôle essentiel des stations de radio, dont la Jamaica Broadcasting Corporation (JBC), créée en 1959. Non seulement les stations de radio constituent un instrument de cohésion sociale essentiel, mais en outre, elles sont le premier maillon de la chaîne de production de disques en Jamaïque : grâce aux radio-crochets, les producteurs de l’époque repèrent les futurs talents de l’industrie. C’est d’ailleurs dans le télé-crochet pour enfants “Cavity Fighters Club” de la station RJR que s’est fait remarquer, en 1981, le jeune Rappa Robert. Dans une séquence mythique, ce dernier a rendu un hommage appuyé aux jeunes filles croisées dans la rue – sous le regard médusé des animateurs Marie Garth et Neville Willoughby, habitués à des thèmes moins osés.

Les sound system, la voix du peuple

La Philharmonie revient également sur l’émergence et la multiplication des sound system apparus dans les années 1950 – et depuis devenus un élément incontournable de cette fascinante culture. À l’époque, les Jamaïcains se réunissent autour des quelques chanceux équipés d’un poste de radio capable de capter les dernières nouveautés des stations de La Nouvelle-Orléans, ou de Floride. Pour les diffuser au plus grand nombre, une poignée de jeunes entrepreneurs décide d’organiser des bals en plein air : le sound system, “la discomobile de rue”, est né. Instantanément, il devient la voix du peuple, avant de s’imposer comme le véritable instrument de la musique locale.

Mais “pour ‘survivre’, un sound system doit sans cesse se démarquer”, peut-on lire sur un écriteau de l’exposition, qui précise :

“Les innovations techniques, stylistiques et musicales issues de cette compétition vont jeter les bases de la culture DJ contemporaine, du sound clash aux dubplates (morceaux exclusifs pressés sur acétate), en passant par le remix.”

En retraçant les infinies ramifications de la musique jamaïcaine, du mento au dancehall en passant par le ska, le rockitsteady et le reggae, et en détaillant la façon dont les sound system, les studios d’enregistrement, les stations de radio et autres concours de “dancehall queens” ont fait de la Jamaïque une véritable exception dans l’histoire de la musique, “Jamaica Jamaica !” nous interroge : quel est l’ADN profond de la musique jamaïcaine ? Cette dernière est-elle sacrée ou profane ? Militante ou légère ? Voix des sages Rastafari ou des rude boys du ghetto ? À la réflexion, elle est sans doute un peu tout cela à la fois.

L’exposition “Jamaica Jamaica !” de la Philharmonie de Paris est à découvrir du 4 avril au 13 août 2017. Plus d’infos sur le site.