“Écrire, c’est faire sa propre propagande” : on a discuté avec Joey Soloway, Prix Konbini de l’Engagement à Canneséries

Les temps forts de sa master class, modérée par Konbini

“Écrire, c’est faire sa propre propagande” : on a discuté avec Joey Soloway, Prix Konbini de l’Engagement à Canneséries

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© Mathilde Audoire pour CANNESERIES

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Par Delphine Rivet

Publié le

Joey Soloway (Six Feet Under, Transparent) est revenu sur sa carrière et son activisme lors d’une master class qui s’est tenue à Canneséries.

Après Laurie Nunn, la showrunneuse de Sex Education, et l’équipe de SKAM France, cette année, Konbini a choisi de récompenser Joey Soloway, scénariste, producteur, réalisateur et auteur engagé pour l’ensemble de sa carrière en lui remettant le Prix Konbini de l’Engagement lors de la dernière édition du festival Canneséries.

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Pour l’occasion, nous avons pu revenir avec lui sur son parcours professionnel et créatif, et son infatigable activisme lors d’une master class exceptionnelle d’une heure, qui s’est tenue à l’espace Miramar de Cannes, ce mercredi 19 avril. Voici les moments forts de cette rencontre.

De petites mains des séries à auteur militant de renom

Joey Soloway est une personne non binaire, qui s’identifie aussi comme “trans-masculin”. Avec son accord, et parce que la langue française est inadaptée pour tout ce qui concerne la non-binarité, nous utiliserons donc des pronoms masculins à son égard.

Élevé devant les séries, et en particulier les sitcoms, depuis sa plus tendre enfance, Joey Soloway a toujours eu un amour prononcé pour la télé.

“C’est différent du cinéma. Quelqu’un m’a dit un jour ‘quand tu vas au ciné, tout est plus grand que toi. Tu y vas pour te perdre. Mais devant la télé, c’est plus petit que toi, et tu es chez toi’. Ma famille a passé tellement de temps à regarder le poste de télé, que je me suis dit, à un jeune âge, ‘je ferais mieux de rentrer à l’intérieur de cette télé puisque tout le monde la regarde’.”

© HBO

Après avoir commencé tout en bas de l’échelle, dans les salles d’écriture de séries comme The Steve Harvey Show et The Oblongs, Joey Soloway a peu à peu gravi les échelons. Il se fait repérer par Alan Ball (Six Feet Under, True Blood) après avoir écrit un “spec script” (un scénario inspiré ou non d’une série existante et pas destiné à être diffusé) au titre improbable, Courteney Cox’s asshole. Nous sommes en 2002, et le voilà dans la writer’s room de Six Feet Under. Quelques années plus tard, il intègre l’équipe de United States of Tara et devient le showrunner de la saison 2 de la série imaginée par Diablo Cody.

Entre-temps, il y a eu aussi Grey’s Anatomy et Dirty Sexy Money, puis How to Make It in America… Autant d’expériences qui l’ont conduit à, enfin, créer sa propre série, la sublime Transparent. Une véritable lettre d’amour à sa famille, et en premier lieu à son propre parent trans, sa Moppa :

“J’aime dire qu’écrire, c’est faire sa propre propagande. C’est ce qu’était Transparent pour moi. C’était une façon d’écrire ce que je comprenais de la transidentité de mon parent.”

En 2016, Joey Soloway est invité par le Toronto International Film Festival à s’exprimer sur une notion dont on vous parlait ici : le female gaze. De son long-métrage Afternoon Delight, sorti en 2013, en passant par Transparent et I Love Dick, son œuvre est une ode à ce fameux regard féminin, qui replace la femme en tant que sujet, et non plus comme objet du désir masculin.

“J’ai eu une discussion lors du festival South by Southwest il y a quelques années, durant laquelle j’essayais de définir ce que j’appelais le female gaze. On vit dans une société patriarcale, dans un système où, évidemment, le cinéma et la télévision perpétuent le fait de placer les hommes blancs, hétéros, cisgenres, dans le fauteuil de celui qui regarde.

[…] C’était si rare de trouver des femmes dirigées par des femmes, je n’arrivais pas à y croire. Le patriarcat et la suprématie blanche sont presque invisibles. Et quand on combine les deux, c’est encore pire, parce que c’est un système de privilèges qui nourrit l’industrie culturelle : qui regarde qui, qui critique, qui montre ? Si vous n’êtes pas un homme, vous dépendez du bon vouloir d’un homme blanc puissant.”

© Prime Video

Et bien sûr, on ne saurait parler de Joey Soloway sans évoquer son militantisme pour la cause trans. À l’heure où cette communauté particulièrement vulnérable subit des attaques à ses droits sans précédent, en particulier aux États-Unis, le scénariste et réalisateur a du mal à cacher sa colère :

“La situation pour les personnes trans dans mon pays est grave. Vraiment. C’est horrible. On grignote peu à peu les droits des personnes trans et de la communauté drag. […] La binarité a toujours été une alliée du fascisme. Le fascime a besoin de cette division binaire : homme/femme, blanc/noir, cis/trans. J’aimerais que les gens s’interrogent sur la façon dont leur caméra, leur regard, sert en fait le patriarcat et la suprématie blanche. C’est maintenant ou jamais.

Il faut que vous, les personnes cis, ayez conscience de vos privilèges, et que vous aidiez les femmes, les personnes trans ou qui explorent leur genre, à se faire une place dans cette industrie. Pas juste en devenant leurs allié·e·s, mais en devenant leurs complices dans la révolution qui s’annonce.”

Après avoir passé en revue quelques souvenirs de ses années sur Transparent, et avoir annoncé que le finale de la série allait bientôt revenir, dans une version revisitée sur les planches de Broadway et sous la forme d’une comédie musicale, avec de nouvelles chansons, Joey Soloway nous a dévoilé en exclusivité son prochain projet : un docu-série nommé The Godyssey, dans lequel il part aux quatre coins du monde pour remonter la piste des femmes effacées des livres sacrés et autres divinités oubliées.

Transparent et I Love Dick sont toutes les deux disponibles sur Prime Video.