Denis Ménochet et le réalisateur des Survivants, Guillaume Renusson, nous racontent comment ils ont fait un western très fort sur une migrante

Denis Ménochet et le réalisateur des Survivants, Guillaume Renusson, nous racontent comment ils ont fait un western très fort sur une migrante

Image :

(© Marion Bernard)

photo de profil

Par Arthur Cios

Publié le

Ils nous racontent ce western contemporain un peu à part dans le paysage du cinéma français, entre arrêt de tournage dû au Covid-19, la galère de tourner dans le froid et plus.

À voir aussi sur Konbini

Le cinéma français a déjà traité, à plus d’une reprise, la question des migrants débarquant en Hexagone après avoir fui la guerre. C’est même un thème assez courant, mais toujours sous le prisme du pur drame. C’est là que réside la grande force des Survivants, le nouveau film de Denis Ménochet et Zar Amir Ebrahimi – actrice iranienne récompensée à Cannes pour son rôle dans Les Nuits de Mashhad et qui a dû fuir son pays natal.

Ce long-métrage, le premier du réalisateur Guillaume Renusson, raconte comment un homme habitant dans la montagne près de la frontière italienne, toujours en deuil mais sans engagement politique, décide d’aider une femme à passer côté France malgré l’environnement hostile et les militants farouchement opposés à la présence de migrants.

Le film glisse alors doucement vers un film de genre, un film de survie. Loin des drames habituels se dessine un autre type de fiction, qui décrit la réalité de bon nombre de personnes.

Le réalisateur et Denis Ménochet nous racontent ce western contemporain un peu à part dans le paysage du cinéma français, entre arrêt de tournage dû au Covid-19, la galère de tourner dans le froid et les inspirations concrètes.

Konbini | Cette volonté de faire un film qui parle des migrants, mais dans un cadre de film de genre, de survie, dans un environnement qu’on peut imaginer un peu hostile, était le point de départ du film. Pourquoi ? Pour se différencier des autres productions sur ce sujet-là ? Ça a dû être compliqué à faire…

Guillaume Renusson | Je ne sais pas si c’est compliqué à faire en France. C’est vrai que dire dans une même phrase en financement “western” et “exilés”, il y a un mélange de genres qui interpelle. Mais on l’a présenté en parlant de ce que j’ai vécu là-bas, quand j’ai travaillé pour une association, en me rendant sur place ou dans les discussions. C’était ce côté un peu organique dans l’histoire, de dire “si on traite des gens qui sont sans cesse traqués au cinéma et qu’on fait une fiction, justement en faisant un film de traque”.

J’ai fait des films pour l’association avec ces personnes-là, qui se racontent. Dans leurs récits, à chaque fois, il y avait cette dimension de devoir tout le temps se cacher, de devoir fuir, être traqué entre la police, d’autres personnes, les regards dans les villes, être perdus, traverser trois continents, passer la Méditerranée, arriver. Il y a déjà ce côté des gens qui sont des survivants quand ils arrivent en France ou quand ils sont aux portes de la France.

Ça m’avait marqué, c’était quelque chose de très physique.

Dans la notion de difficulté, effectivement, ce n’est pas le chemin de toutes les migrations, mais la montagne rajoute une difficulté supplémentaire et le froid visuellement. Il se passe quelque chose. Est-ce que le choix de ce lieu avait un but cinématographique ?

Guillaume Renusson | Parce que je trouvais ça dingue que des paysages aussi majestueux soient en train de devenir des cimetières. C’est comme quand on regarde de loin la Méditerranée. Ça nous glace. Et aussi, c’était pas mal de pouvoir traiter la montagne comme un huis clos.

Justement, la difficulté en montagne, c’est aussi d’être confronté au froid. Toi, Denis, en tant qu’acteur, qui t’impliques souvent physiquement dans tes rôles, avec la notion de froid dans cet environnement un peu hostile, as-tu trouvé ça plus difficile ?

Denis Ménochet | C’était difficile, même pour toute l’équipe, donc on était ensemble dans cette difficulté-là. Si ce n’est que pour nous, les acteurs, il y avait des choses en plus, par exemple reprendre le souffle d’une traque qu’on avait dû abandonner pour remettre la caméra à un autre endroit. Mais en fait, ça, c’est plus une aide. On n’aurait pas pu le faire si ce n’était pas à fond, pour de vrai, dans le froid. Il fallait absolument être 100 % dedans.

Moi, ce qui m’interpelle, c’est de voir quelqu’un qui joue dans la douleur et qui réussit malgré tout à faire ressortir l’émotion du personnage quand il souffre physiquement. Comment on fait quand on arrive à dissocier les deux ?

Denis Ménochet | En fait, non, je ne dissocie pas du tout. Mon métier, c’est de vivre sincèrement, à 100 % les circonstances imaginaires que sont le scénario et l’histoire. C’est mon travail. Donc je vais vivre avec le prisme de mon humanité et la construction du personnage dans son passé pour pouvoir être présent à 100 % comme le personnage à ce moment-là. C’est mon travail, c’est ce que je dois faire là-bas.

Guillaume Renusson | Il y a deux choses que je souhaiterais rajouter. La première, c’est que je pense que pour toute l’équipe, les comédiens y compris, il y avait la prise de conscience que ce que l’on tournait s’est passé, qu’on était dans le réel. À 40 kilomètres de là, on avait de vrais passages, de vrais gens qui passaient par la montagne.

Et la deuxième concerne la douleur. Il y a un moment dans le film où il lui donne ses gants parce qu’il est allé en bas et s’est caché. Elle a peur de lui, se méfie de lui. Et Denis avait eu la très bonne idée dans la lecture de se dire “Ben pour la convaincre de me suivre et de passer par plus haut, je lui donne mes gants”. Sauf qu’à ce moment-là, ce n’était pas à la moitié du scénario et on tournait dans l’ordre du film, dans une forme de continuité. Donc s’il faisait ça, il n’aurait plus de gants sur le reste du film…

Il le savait en te disant ça ?

Guillaume Renusson | Bien sûr, mais surtout parce qu’il me disait : “Guillaume, tu fais un film de survie ou tu fais pas un film de survie ?

Denis Ménochet | [rires]

Le tournage a duré combien de temps en termes de jours de tournage ? Parce que je sais qu’il y a eu une longue interruption au milieu.

Guillaume Renusson | Cinq jours en mars 2020 puis, bien plus tard, 25 jours, donc 30 en tout.

Denis Ménochet | Avec dix mois d’écart.

Guillaume Renusson | Il y a des moments dans le film, entre deux plans, qui peuvent être de dix mois. C’est la magie du cinéma.

Cinq jours et ensuite 25, des mois plus tard. Quand on tourne en extérieur, on est dépendant de la météo, des conditions et il fallait retrouver le même paysage fait qu’il y avait quantité de neige. Ça a été un problème ?

Guillaume Renusson | Quand on a repris, j’ai pu redémarrer, moi, une prépa, à savoir refaire des repérages. Je n’avais pas encore vraiment de décor sur la première session qu’on a pu relancer des repérages. J’ai pu retourner là-bas pendant un mois pour retrouver des décors, des nouveaux décors et des décors aussi plus cohérents avec la façon dont on travaillait. C’est un peu comme si la première semaine de tournage avait servi d’entraînement à la suite et qu’on a pu beaucoup plus se préparer pendant la pause.

Denis, toi qui as tourné un paquet de films, je trouve que 25 jours, ce n’est quand même pas énorme.

Denis Ménochet | Ce n’est rien. J’ai déjà fait un film en 23 jours, c’est vraiment à l’arrache. Là, c’est un tour de force. Un film en 25 jours, c’est vraiment un tour de force, surtout dans ces conditions-là. Mais maintenant, la beauté, c’est l’équipe. Et puis c’est d’avoir un capitaine de bateau, qui connaît les prénoms de tout le monde, la vie de tout le monde. C’est un des meilleurs groupes WhatsApp, celui des Survivants – qui est toujours en activité.

C’est vrai ?

Denis Ménochet | Oui, on a même des T-shirts. C’est une très, très, très forte expérience dans l’équipe.

Il y a aussi une actrice qu’on ne connaissait pas à l’époque du tournage. Je sais que Guillaume, tu voulais justement quelqu’un qu’on ne connaissait pas en France. Entre-temps, il y a eu un prix à Cannes, un film assez incroyable, politique en plus. Ça change la donne pour toi ?

Guillaume Renusson | On avait la volonté, au début, de trouver un visage que l’on ne connaissait pas. Au final, c’est aussi une chance pour le public de pouvoir vraiment découvrir un duo identifiable. Je trouve ça très fort, mais ce qui est beaucoup plus troublant encore, au-delà de connaître ou pas le visage, c’est surtout qu’on a travaillé avec une comédienne, Zar, qui était comme Chehreh dans la vie. Son histoire, que l’on connaît maintenant, d’avoir dû fuir l’Iran et tout recommencer ici, elle qui était une actrice de renom.

Ce que nous racontait Chehreh sur le tournage, c’était Zar qui nous parlait aussi. Et ça, c’était vraiment émouvant.

Denis Ménochet | C’était puissant. Franchement, il y a eu des moments où moi, j’avais demandé au Zar de ne pas avoir raconté son histoire jusqu’au moment où je le découvrais dans le film. Et ça, je me suis vraiment pris en pleine gueule parce que oui, c’était là, c’était Chehreh, on avait déjà tourné longtemps. On était en haut d’une montagne pour raconter ça. C’était une puissance, un souvenir gravé à jamais.

Ça reste à Zar de raconter son histoire. Mais qu’est-ce qu’on a eu comme chance de travailler avec elle.

Quelques semaines avant de voir Les Survivants, j’ai découvert, par hasard, Le Grand Silence de Sergio Corbucci. Et le parallèle entre les deux est assez fort. Tu avais des références précises en tête ?

Guillaume Renusson| Oui, Le Grand Silence, bien sûr. Je trouve que le côté western, la traque aussi de Trintignant vers Kinski, sa folie, cette histoire d’amour. Il y a une histoire de deuil aussi pour la femme. Donc c’est un film que j’avais découvert en ayant en tête ce projet-là ; on m’en avait parlé et je l’ai vu. Et forcément, c’est le genre de film qui vient nourrir la réflexion en images, les apparitions des personnages.

Il y avait aussi Essential Killing de Jerzy Skolimowski, The Revenant d’Iñárritu. Tout ça. Il y a un film de duo que je trouve vraiment touchant et très beau, Dersou Ouzala d’Akira Kurosawa. Une rencontre entre un cartographe russe et un trappeur mongole au début du XXe à la frontière sibérienne. C’est complètement fou, et c’est vraiment un film sur un duo qui doit se faire confiance dans l’urgence des conditions météo, et l’urgence de survivre aussi. À un moment, on doit se faire confiance et se reconnaître dans la douleur. Ça m’a aidé aussi à cette idée d’avoir ce côté histoire d’amour pur. D’à aucun moment céder à une forme d’érotisme, de concupiscence. Tout ça, l’idée d’aller vers ça, c’était surtout raconter un geste solidaire.

Un geste nécessaire, largement.

Entretien effectué le 14 décembre 2022.