Ces jeunes peintres repérés sur Instagram qui partent à la conquête du marché de l’art

Ces jeunes peintres repérés sur Instagram qui partent à la conquête du marché de l’art

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© Dmitry Kuznetsov/iStock/Getty Images Plus/Getty Images

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Par Konbini avec AFP

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"Ma vie s’est beaucoup améliorée, mais je vise encore plus haut." Tous repérés sur Instagram, ces jeunes peintres brésiliens, issus d’un milieu modeste, gagnent le monde de l’art.

Son chevalet est installé devant une fenêtre avec vue imprenable sur l’iconique Pain de Sucre, à Rio de Janeiro, mais le jeune artiste brésilien Jota préfère dessiner les modestes favelas où il habitait autrefois. Les œuvres de ce peintre autodidacte de 22 ans sont très prisées par les collectionneur·se·s, au Brésil comme à l’étranger.

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Et il n’est pas le seul : une nouvelle vague de jeunes artistes noir·e·s issu·e·s des favelas ou des banlieues pauvres de Rio commence à s’imposer dans les foires d’art contemporain et dans de prestigieux musées. Le plus célèbre d’entre eux, Maxwell Alexandre, a exposé au Palais de Tokyo, à Paris, fin 2021.

L’univers des toiles de Jota, de son vrai nom Johny Alexandre Gomes, c’est la favela du Chapadao, où résonnent souvent les fusillades. La ruelle qui mène à son modeste deux-pièces n’est pas accessible en voiture : des narcotrafiquants ont installé des blocs de béton pour empêcher l’entrée de véhicules de police. Jota dénonce les violences policières, peignant des habitant·e·s portant un corps enveloppé d’un drap ensanglanté ou des agents avec des têtes de porc.

“Pas un effet de mode”

“Ce sont des choses qui doivent être montrées”, confie-t-il. Mais il tient aussi à transmettre “un autre regard” sur la favela, comme le charme des “petites maisons empilées les unes sur les autres” au milieu des cocotiers. À 16 ans, Jota aidait son oncle maçon sur des chantiers, et c’est sur des cartons ou des planches de bois ramassées sur ces chantiers qu’il a réalisé ses premières œuvres, avec de la peinture acrylique bon marché.

Mais tout a basculé quand il a publié des photos de ses œuvres sur Instagram : il a tapé dans l’œil de Margareth Telles, fondatrice de la plateforme MT Projetos de arte, qui lui fournit son matériel et un atelier en centre-ville et gère la vente de ses œuvres.

À chaque foire annuelle d’art contemporain ArtRio, les toiles de Jota ont été vendues en quelques heures. Lors de la dernière édition, en septembre, il fallait débourser au moins 15 000 réaux (environ 2 700 euros) pour l’une de ses œuvres. Il a ainsi pu s’acheter une maison à 100 mètres de celle de sa mère, au Chapadao. “Ma vie s’est déjà beaucoup améliorée, mais je vise encore plus haut”, dit à l’AFP ce jeune artiste qui a déjà exposé à Amsterdam en 2021, après avoir remporté le prix du Fonds Prince Claus.

Pour Margareth Telles, l’émergence de jeunes artistes noir·e·s comme Jota n’est “pas un effet de mode”, mais un “mouvement durable”, qui a notamment pour origine la prise de conscience suite à l’affaire George Floyd, cet Africain-Américain tué par un policier blanc en mai 2020. L’an dernier, Jota a vu l’une de ses œuvres exposée au musée MASP de São Paulo, aux côtés d’un tableau du moderniste Candido Portinari, l’un des peintres les plus renommés du Brésil.

“Aujourd’hui, la référence de la plupart des jeunes artistes noirs de Rio, ce n’est pas Picasso”

Un autre représentant de cette nouvelle vague, O Bastardo (“le bâtard”), vient d’inaugurer sa première exposition individuelle au Musée d’art de Rio (MAR). Ce peintre de 25 ans, qui ne souhaite pas révéler son nom et a fait ses armes dans le graffiti, se distingue notamment par ses représentations de personnalités noires comme le couple Jay-Z et Beyoncé, Basquiat ou Martin Luther King, sur un fond bleu roi.

Comme Jota, il a été élevé par une mère célibataire (d’où son nom d’artiste), et a été découvert sur Instagram, en 2021, par des collectionneur·se·s italien·ne·s. “J’étais à Paris après avoir décroché une bourse aux Beaux-Arts, mais je n’avais pas un sou et je dormais sur le canapé d’une amie”, raconte cet artiste qui a grandi à Mesquita, banlieue pauvre au nord de Rio.

Sa renommée internationale a fait écho au Brésil, et il a ensuite été représenté par de grandes galeries de son pays. Aujourd’hui, O Bastardo a du mal à répondre à la demande : “Avec toutes les commandes que j’ai reçues, j’ai du travail pour au moins cinq ans.” Cet artiste peint lui-aussi des scènes du quotidien de son quartier, mais avec des références qu’il puise tous azimuts, parfois bien au-delà des frontières du Brésil.

Dans le Salon de Tia Nenê, un salon de coiffure, on voit par exemple “une chaise où s’est assis Kanye West durant un défilé de mode à Paris et du carrelage d’une maison détruite en Syrie” qu’il avait vue dans la presse. “Aujourd’hui, la référence de la plupart des jeunes artistes noirs de Rio, ce n’est pas Picasso, c’est la culture hip-hop. C’est une révolution sociale, qui remet en question les canons de l’art”, estime Marcelo Campos, curateur en chef du MAR.