Bac de français : on te sauve si t’as pas lu L’Île des esclaves de Marivaux

Presque une téléréalité du XVIIIe siècle

Bac de français : on te sauve si t’as pas lu L’Île des esclaves de Marivaux

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(© Konbini)

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Par Michel Sarnikov

Publié le

Un résumé et surtout des clés pour mieux comprendre l’œuvre de Marivaux.

Tu as “oublié” de lire L’Île des esclaves, et le bac de français, c’est demain ? Pas de panique, on te résume le livre, et au passage, on te donne quelques pistes de lecture qui feront, à n’en point douter, leur petit effet auprès des interrogateurs.

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Alors…

Marivaux est un auteur du XVIIIe siècle, aka le 18e siècle pour ceux qui ont un doute, aka le siècle des Lumières, aka le siècle où on remet en cause les rois, la religion, le système, et tutti quanti, et comme beaucoup d’auteurs du XVIIIe siècle, Marivaux se demande : “Osti d’criss de tabarnac d’calisse de viârge, mais c’est quoi cette société de marde ?*”

Alors pour répondre à cette vaste question, il écrit des comédies où il dénonce l’hypocrisie, l’injustice et l’obscurantisme de sa société, des comédies où reviennent inlassablement les thèmes de la morale et de l’amour, des comédies parmi lesquelles, en 1725, on compte l’Île des esclaves.

Ça parle de…

Iphicrate et de son esclave Arlequin qui sont sur un bateau. Ils font naufrage et se retrouvent sur une île où les esclaves sont libres et les maîtres asservis. Un renversement de situation en bonne et due forme donc, comme les aime Marivaux, dans un lieu clos où tout est possible.

Tout ça arrive très vite, en une scène d’introduction parfaite : tout en même temps, Marivaux nous présente l’endroit, les personnages, leur raison sociale, la situation, et tchou tchou, c’est parti, on est déjà dans le feu de l’action.

Et comme L’Île des esclaves se passe en un seul acte court (ce qui vous met, j’en suis certain, autant en joie que moi), il y a fort à parier que ça va se boucler rapido presto, cette histoire.

Bref, Trivelin entre en scène. Sur l’île, c’est lui, le boss, et il confirme que sur son île, les maîtres deviennent esclaves et que les esclaves deviennent maîtres. Coup dur pour ces derniers qui ne cachent pas leur seum, mais il y a une clause au contrat : s’ils sont assez gentils, ils pourront être libres à nouveau.

Trivelin présente alors Euphrosine et Cléanthis. Sur l’île, Cléanthis est la maîtresse et Euphrosine l’esclave, et si vous avez bien suivi, ça veut dire qu’avant, Euphrosine était la maîtresse et Cléanthis l’esclave. Je veux juste que ce soit parfaitement clair, pour vous comme pour moi, parce que là, il va falloir s’accrocher.

Trivelin demande à Cléanthis et à Arlequin de caricaturer leurs anciens maîtres, et là, ça dit les termes : ça balance sur leur violence, leur hypocrisie, leur vanité, leur narcissisme, etc., avec une allégresse telle qu’on dirait que c’est Marivaux lui-même qui dénonce les travers de ses contemporains.

Puis Cléanthis avoue à Arlequin qu’elle kiffe Iphicrate, l’ancien maître d’Arlequin, et Arlequin avoue à Cléanthis qu’il kiffe Euphrosine, l’ancienne maîtresse de Cléanthis. Alors Cléanthis ordonne à son ancienne maîtresse de s’offrir à Arlequin, et Arlequin ordonne à son ancien maître de s’offrir à Cléanthis.

Vraiment, personne n’ose le dire mais Marivaux, c’est de la téléréalité avant l’heure. Tu fous quatre personnes sur une île, avec un élément perturbateur et un organisateur comme Trivelin, et tu attends de voir si les gens fricotent ou s’entretuent.

Mais en l’occurrence, contre toute attente, les anciens maîtres, Euphrosine et Iphicrate, ne réagissent pas si mal : au contraire, ils se lancent dans un dialogue productif avec leurs anciens esclaves, se montrent très compréhensifs, reconnaissent leurs torts… et finissent par se faire pardonner.

Trivelin réapparaît et en conclut que tout est bien qui finit bien, que les maîtres ont compris la leçon, qu’ils sont devenus plus humains qu’ils ne l’étaient avant d’arriver sur l’île. Tout le monde est content, tout le monde reprend son rôle initial et repart en bateau vers de nouvelles aventures.

Et c’est intéressant parce que…

La pièce a une drôle de structure.
L’Île des esclaves est une “comédie philosophique”, ce qui, à l’époque, est nouveau pour tout le monde. En gros, le principe, c’est de traiter des problématiques contemporaines sur un ton faussement naïf. Là, par exemple, le fait que les personnages se retrouvent sur une île où les rôles sociaux sont inversés est amusant mais permet surtout de dénoncer la violence et l’hypocrisie de l’époque.

C’est une critique sociale.
Le concept de l’île, de l’endroit clos, renvoie à toute la littérature utopique de l’époque, d’imaginer une société idéale : castigat ridendo mores, comme disait Molière, la comédie châtie les mœurs en riant. Là, à la fin de la pièce, on pourrait croire que tout revient à “la normale”, mais en vérité, ce que montre Marivaux, c’est la nécessité du respect et de la générosité dans la société.

Il y a une mise en abyme.
Trivelin est une sorte de double de Marivaux, un metteur en scène dans la pièce, qui décide de qui fait quoi, selon quels termes. On pense par exemple aux anciens esclaves qui font une saynète dans la scène et caricaturent leurs anciens maîtres. C’est un bel exemple de “théâtre dans le théâtre”, procédé cher à Marivaux.

*Marivaux n’était absolument pas Québécois mais si je veux lui donner un accent, qui va m’arrêter ?