Bac de français : on te sauve si t’as pas lu Juste la fin du monde de Lagarce

Une famille dysfonctionnelle as fuck

Bac de français : on te sauve si t’as pas lu Juste la fin du monde de Lagarce

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(© Konbini)

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Par Michel Sarnikov

Publié le

Un résumé et surtout des clés pour mieux comprendre l’œuvre de Lagarce.

Tu as “oublié” de lire Juste la fin du monde et le bac de français, c’est demain ? Pas de panique, on te résume le livre, et au passage, on te donne quelques pistes de lecture qui feront, à n’en point douter, leur petit effet auprès des interrogateurs.

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Alors…

Jean-Luc Lagarce (héhéhéhéhé) est un homme de théâtre total. Il fait tout : il joue, il met en scène, il dirige, il écrit… Il aurait pu faire le guichetier à l’entrée du théâtre, l’ouvreur, puis le café à la fin de la pièce, personne n’aurait été surpris. C’est un homme extrêmement productif, donc, auteur de dizaines de pièces, de plusieurs récits et d’un roman. En 1988, il apprend qu’il est gravement atteint du sida et part à Berlin pour écrire Juste la fin du monde, une pièce d’inspiration autobiographique, puisque…

Ça parle de…

Louis, 34 ans, qui, après une longue absence, rend visite à sa famille pour annoncer qu’il va mourir. Résumer Juste la fin du monde est une tâche assez délicate puisque comme tout y est sous-jacent et dans les détails, on a envie de se dire que soit rien n’est important, soit tout est important. Difficile, donc, de la faire courte. Mais watch me la faire courte.

Après un prologue où Louis explique la situation, la première partie commence par des retrouvailles embarrassées, où fusent des mondanités gênantes où se tapissent des sous-entendus lourds de sens et de sourds reproches. C’est cringe, quoi. Tellement cringe que Louis se retrouve tout seul, à ne pas savoir quoi faire de son corps, comme s’il venait d’arriver dans une soirée où il ne connaissait personne.

Pourtant, il connaît très bien tout le monde : il y a sa mère, qui n’a pas de prénom dans la pièce (allô, Freud ?), mais que vous pouvez très bien appeler Death Megatron 300 dans votre tête ; il y a Antoine, son petit frère ; la femme d’Antoine, Catherine ; et il y a Suzanne, sa sœur cadette – à Louis et à Antoine, vous suivez ?

Louis et Catherine se rencontrent pour la première fois, se présentent, et c’est là que tout le monde se rend compte d’à quel point ça fait longtemps qu’ils ne s’étaient pas tous vus. Ça met un froid. D’ailleurs, Louis n’a jamais rencontré ses neveux non plus, dont l’un s’appelle, justement, Louis. Ça remet un froid. Puis Suzanne reproche à son frère de ne pas l’avoir prévenue de son arrivée, parce qu’elle aurait aimé venir le chercher à la gare. Ça reremet un froid derrière. Bref, ça commence mal, tout le monde est beaucoup trop passif-agressif, on dirait un épisode des Kardashian.

Du coup, pour mettre tout le monde à l’aise, Suzanne se dit que c’est le bon moment pour expliquer qu’elle a gâché sa vie, qu’elle n’a jamais rien fait de bien, qu’elle regrette le passé, etc. On est donc sur quelqu’un qui n’a pas peur de partager à tout moment sa dépression.

Quant à Antoine, il se met à agresser tout ce qu’il voit : sa sœur, son frère, sa mère, sa femme… Ça tire à vue et à balles réelles, ça incrimine, ça condamne, ça bougonne, c’est très, très ronchon. On est donc sur quelqu’un qui n’a pas peur de partager à tout moment sa masculinité toxique.

Évidemment, les autres réagissent comme ils peuvent, parce qu’ils ont flairé le mauvais coup, même s’ils ne veulent pas l’admettre. Ils sont en crise, comme on dit.

S’ensuit un long monologue où Louis explique à sa famille qu’il a peur qu’ils l’aient abandonné, qu’après avoir trop attendu son retour, ils ne l’aiment plus comme un vivant, mais comme un mort… Bon, tout le monde en a gros sur la patate.

Et maintenant, à vous de jouer ! Après tout ça, croyez-vous que les membres de cette famille vont 1) : s’écouter sainement les uns les autres et discuter jusqu’à ce qu’ils accèdent au cœur du problème, si incompréhensible et évident à la fois, ou 2) : se hurler dessus et se traîner dans la boue pendant une dispute en hors-sujet total ? Pour répondre, je vous laisse 0 minute puisqu’il s’agit bien entendu de la très chaotique deuxième option.

Pendant l’intermède, Louis parle à sa mère, sans réussir à dire ce qu’il veut dire depuis le début et sans qu’elle ne parvienne à vraiment le comprendre. À côté de ça, d’aparté en aparté, les autres personnages débriefent, discutent, tentent en vain de s’expliquer. Ce qui se cristallise là, c’est toute la tragédie de cette pièce : personne n’arrive à dire ce qu’il a sur le cœur. Pourtant, tout le monde essaie, à sa manière, par la tristesse ou la colère, mais personne n’y parvient, peuchère.

C’est pour cela qu’au début de la deuxième partie, Louis décide de partir sans révéler son secret : sa famille est trop dysfonctionnelle as fuck, il s’avoue vaincu.

Toutefois, il parvient à parler un peu avec son frère. D’abord, tous deux se rappellent leurs bagarres, enfants, ce qui ne manquera pas d’attendrir quiconque s’est déjà battu avec son frère ou sa sœur pour décider d’à qui c’était le tour d’avoir la manette. Puis ils reviennent sur leur enfance en général. Dans l’évocation de ces souvenirs, rien ne se règle vraiment ni ne s’apaise, mais au moins, on parle, et au fond, c’est déjà pas si mal.

Dans l’épilogue, Louis est mort et se rappelle une nuit dans le sud de la France durant laquelle il regrette n’avoir pas poussé “un grand et beau cri, un long et joyeux cri”. Juste la fin du monde se termine donc sur un petit regret. Enfin, “petit”… Pas si petit que ça puisqu’il s’agit sans doute de l’arbre qui cache la forêt.

Et c’est intéressant parce que…

La pièce nous offre à voir des mondes en crise.
Jean-Luc Lagarce meurt du sida à 38 ans, en 1995, et Juste la fin du monde raconte son rapport à la famille, à soi et à la mort. C’est bien, comme l’indique le parcours, une “crise personnelle” qui rencontre une “crise familiale”. Le fils, qu’il soit Louis ou Jean-Luc, revient auprès des siens alourdi d’une mauvaise nouvelle qui révèle la crise du monde qui l’entoure. Dans ce sens, il ressemble à un héros homérique : comme Ulysse rentre à Ithaque et raconte son périple, Louis, par de longs monologues, raconte sa crise. Comme dans l’Odyssée, le langage est fondamental et la parole tient lieu d’action.

Louis est un personnage multiple.
Ce peut être un héros homérique, donc, mais aussi un héros tragique. Si la pièce n’a pas le déroulement traditionnel d’une tragédie, ses tableaux et ses monologues donnent accès à l’intériorité des personnages : la solitude, la mort inéluctable, l’impossibilité à communiquer et à trouver du sens sont autant de fatalités qui rappellent la tragédie. Fatalités que Louis ne parviendra malheureusement pas à surmonter.

Lagarce tente de dire l’indicible.
En général, au XXe siècle, on retrouve un peu partout une grande méfiance à l’égard du langage, faute aux traumas de la Seconde Guerre mondiale et à la psychanalyse. Et là, accrochez-vous parce qu’on va partir sur du terme qui ne veut rien dire : à travers l’aposiopèse, l’épanorthose, l’ironie, la langue de Lagarce laisse entendre l’émotion, l’angoisse, la tristesse de ses personnages. Comme il le dit lui-même juste  : “Nous devons conserver au centre de notre monde le lieu de nos incertitudes, le lieu de notre fragilité, de nos difficultés à dire et à entendre.”