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Bac de français : on te sauve si t’as pas lu Manon Lescaut de l’Abbé Prévost

Bienvenue au pays des red flags

Bac de français : on te sauve si t’as pas lu Manon Lescaut de l’Abbé Prévost

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(© Konbini)

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Par Michel Sarnikov

Publié le

Un résumé et surtout des clés pour mieux comprendre l’œuvre de l’Abbé Prévost.

Tu as “oublié” de lire Manon Lescaut et le bac de français, c’est demain ? Pas de panique, on te résume le livre, et au passage, on te donne quelques pistes de lecture qui feront, à n’en point douter, leur petit effet auprès des interrogateurs.

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Alors…

S’il y a bien une chose que la littérature sait faire, c’est parler d’amour toxique : Roméo et Juliette, Belle du Seigneur, L’Éducation sentimentale, autant de chefs-d’œuvre foisonnants de red flags sur lesquels cracher en public et fantasmer en privé. Et dans cette prestigieuse liste, discret mais bien là, se trouve Manon Lescaut de l’abbé Prévost.

Manon Lescaut est le 7e tome des Mémoires et aventures d’un homme de qualité qui s’est retiré du monde, sorte de mémoires fictionnels d’un homme nommé Renoncour. Et dès la publication de ce bouquin en 1731, tout le monde va vouloir l’interdire et le brûler, parce qu’on a taxé son histoire de scandaleuse.

À l’époque, quand on trouve que quelque chose est scandaleux, on ne fait pas un tweet révolté ou une interview sur Konbini : non, on prend le quelque chose en question et on le crame, en fait. Comment ça peut être scandaleux si c’est en cendres ? Problème réglé.

Ça parle de…

La folle histoire d’amour entre le chevalier des Grieux et Manon Lescaut, un couple très Nabilla/Thomas, très Megan Fox/Machine Gun Kelly. Mais cette aventure passionnée, ce n’est ni Des Grieux, ni Manon qui la relate, mais Renoncour, un mec qui passe dans le coin et qui se trouve être le narrateur du roman. Commode.

Donc Renoncour se balade et aperçoit un convoi de prostituées qu’on va envoyer en Amérique. Il remarque qu’un jeune homme, Des Grieux, suit le convoi comme une âme en peine : il va le voir, lui demande pourquoi il a l’air si tristoune et le pitchoune, peuchère, il répond qu’il est love d’une des filles du convoi, qu’il veut à tout prix la libérer, mais qu’il n’a plus d’argent. Renoncour est attendri par cette histoire : il donne 20 balles à Des Grieux et lui souhaite bon courage.

Deux ans plus tard, Renoncour retombe par hasard sur Des Grieux. Tout va mieux, il a repris des couleurs depuis la dernière fois qu’ils s’étaient croisés. Du coup, ils s’attablent en terrasse et Des Grieux se met à raconter sa vie.

À 17 ans, Des Grieux avait un avenir radieux : tout lui souriait, et tout aurait continué à lui sourire s’il n’était pas tombé éperdument amoureux de Manon Lescaut. Manon Lescaut, elle est bien mignonne, mais elle est chaotique as fuck, à tel point que ses parents veulent la faire enfermer. “Incarcérée pour cause de chaos total”, c’est un peu stylé, mais elle préfère prendre la fuite avec Des Grieux, son nouvel amoureux.

Les deux s’installent dans un petit appartement parisien et y vivent une idylle parfaite jusqu’à ce que l’argent vienne à manquer. Manon dit à Des Grieux de ne pas s’inquiéter, mais bon, connaissant la bête, quand elle dit de ne pas s’inquiéter, il faut plutôt beaucoup s’inquiéter. Et ça ne manque pas : quelques jours plus tard, Des Grieux la surprend en train de michtonner. Des Grieux exige des explications, mais Manon sort la carte “chouinage de petit chat d’amour en sucre”. Ça fonctionne : tout est pardonné.

À ce moment-là, le père de Des Grieux vient chercher son fils et le ramène à la maison, de force, comme l’addict qu’il est. Et de fait, il se désaccoutume peu à peu de Manon Lescaut, se remet de sa peine de cœur, lit, va à la salle, traîne avec son BFF, Tiberge, qui lui répète, en bon BFF : “Mec, oublie cette tchoin”.

Mais juste au moment où Des Grieux commence à respirer un peu, Manon revient, cette vilaine petite chipie. Elle lui dit que tout est terminé avec le vieux riche, qu’elle a pris tout son argent et qu’elle l’a quitté, qu’elle est désolée, qu’elle veut que tout soit à nouveau comme avant.

Et là, j’aimerais vous dire que le pauvre bougre répond : “Sur ma vie, une fois, pas deux”, mais en fait, il craque presque tout de suite et les deux reprennent un appartement. Sauf que cette fois, en plus, le frère de Manon vient s’installer chez eux. Quels méga cassos, ces Lescaut…

Bien entendu, ils se mettent si vite dans la merde que Manon et Des Grieux finissent en prison, et que le frère est assassiné par un mec à qui il devait de l’argent. On dirait la fin de Requiem for a Dream, c’est un délire. Le père de Des Grieux fait libérer son fils et fait en sorte que Manon soit exilée en Amérique.

Et là, la boucle est bouclée, on en revient à la première rencontre entre le jeune homme et Renoncour : Manon est dans un convoi de prostituées en direction de l’Amérique et Des Grieux la suit, désespéré.

Temporellement, c’est presque aussi compliqué qu’un film de Christopher Nolan, mais on s’y retrouve. Des Grieux parvient à s’incruster sur le bateau de Manon et s’installe avec elle à la Nouvelle-Orléans, en Louisiane. Là-bas, pour une fois, tout semble se goupiller pour le mieux, mais un mec du coin tombe amoureux de Manon et provoque Des Grieux en duel.

La guigne de ces gens ? Des Grieux le blesse, pense l’avoir tué, fuit dans le désert avec Manon et là, badabim badaboum, elle meurt, cela va de soi. C’est triste. Tiberge sauve Des Grieux de justesse et le ramène en France. Et là, Des Grieux rencontre pour la deuxième fois Renoncour et lui raconte sa vie. La boucle est rebouclée.

Et c’est intéressant parce que…

C’est un récit dans un récit.
Alors même si Manon Lescaut fait partie des pseudo-mémoires d’un homme nommé Renoncour, l’abbé Prévost insère dans son roman un nombre assez important d’éléments autobiographiques. En particulier dès qu’il s’agit des détails bordéliques de sa vie : l’abbé Prévost avait beau être prêtre, il avait un enfant avec femme de son éditeur et entretenait une relation avec Hélène Eckhardt, une très capricieuse femme qu’il adorait et qu’il couvrait d’or qu’il n’avait pas.

Donc l’abbé Prévost raconte comment Renoncour raconte comment Des Grieux raconte sa propre histoire. C’est ce qu’on appelle un récit enchâssé (en l’occurrence un récit enchâssé particulièrement compliqué) mais l’intérêt pour l’auteur, c’est que, d’une part, ça lui permet de raconter sa vie sans trop se mouiller, et d’autre part, il n’a pas à donner son avis, puisque ce n’est pas lui qui raconte vraiment. Du coup, c’est au lecteur de se débrouiller avec son opinion, sa morale et sans doute ses contradictions.

C’est un roman d’amour.
Manon Lescaut et Des Grieux sont consumés par leur passion. C’est pour ça qu’ils se mettent en marge : leur amour les jette dans un gouffre sans fond. La raison, incarnée par Tiberge et le père de Des Grieux, les incite à cesser cette folie, mais rien ne peut les arrêter : ils vivent leur passion jusque dans le désert et dans la mort, où la marginalisation est totale, morale et physique.

C’est une histoire qui questionne la morale.
Dans un sens, Manon Lescaut est un roman libertin, où les deux personnages principaux se mettent en marge pour leur propre plaisir. Mais quel commentaire devrait-on faire en fermant le livre : les deux amants sont punis pour leur folie ? La passion mène forcément au mal, à la prostitution, au mensonge, à la corruption” ? “La société écrase toute forme de réel sentiment ? À vous de voir. Mais n’en voulez pas trop à Manon d’être un peu trop confuse, ou à Des Grieux de ne pas être assez rancunier : on ne sait jamais, ça pourrait aussi vous tomber dessus un jour.