Avec Vampire humaniste cherche suicidaire consentant, le cinéma québécois se fait définitivement une place au soleil

Avec Vampire humaniste cherche suicidaire consentant, le cinéma québécois se fait définitivement une place au soleil

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Par Sophie Grech

Publié le

Ariane Louis-Seize vient s’ajouter à la liste des réalisatrices et réalisateurs québécois·e·s à suivre.

Dès son plus jeune âge, Sasha se sent en décalage avec le reste de sa famille. Même si elle a le soutien indéfectible de son père, elle voit bien qu’elle n’a pas les mêmes appétences qu’eux. Ils aiment la chasse nocturne et le sang frais, normal pour des vampires. Mais pour Sasha, tuer n’a rien de naturel. Même lorsqu’elle a faim. C’est un drame pour les siens, qui attendaient avec impatience la poussée des crocs carnassiers de la petite dernière. Mais un soir, la jeune vampire croise le chemin de Paul, un adolescent sur le point de mettre fin à ses jours. Peut-être que la solution est là ? Se tourner vers les personnes suicidaires ? La réponse n’est pas si simple, mais cette rencontre va sans aucun doute changer radicalement “sa vie”.

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Le cinéma québécois est de plus en plus visible et distribué sur le territoire français, pour le plus grand bonheur des cinéphiles. Depuis quelques années seulement, des films plus indépendants et plus confidentiels sortent dans des circuits de salles de cinéma plus ou moins restreints. Les Chambres rouges de Pascal Plante, distribué par ESC Distribution, est sorti le 17 janvier dernier et a suscité une adhésion publique et critique, par son sujet glaçant et sa maîtrise formelle impeccable.

Cette prolifération de nouveaux talents québécois, parmi lesquels nous pouvons également compter Anaïs Barbeau-Lavalette (La Déesse des mouches à feu), ou Geneviève Albert (Noémie dit oui), est sans doute le début d’un engouement pour le cinéma francophone d’outre-Atlantique, la preuve étant la consécration de Monia Chokri lors de la dernière cérémonie des César, avec l’obtention du César du meilleur film étranger pour sa comédie dramatique Simple comme Sylvain.

Une rencontre d’outre-tombe

Ariane Louis-Seize vient donc s’ajouter à la liste des réalisatrices et réalisateurs à suivre. Vampire humaniste cherche suicidaire consentant est un premier long-métrage impressionnant. D’une maturité folle, il est toujours juste dans l’exploration des sentiments adolescents et toujours rythmé dans son humour. La comédie horrifique est un art qui demande une maîtrise particulière des dialogues, voire de la punchline aiguisée, nécessitant un sens de l’équilibre tout particulier. Le piège pour Ariane Louis-Seize aurait donc été de reprendre des codes déjà établis (mimiques, accents, costumes) par la comédie de vampires, notamment What We Do In the Shadows de Jemaine Clement et Taika Waititi. Vampire humaniste cherche suicidaire consentant a créé son propre univers cohérent de vampires évoluant dans le Québec contemporain.

Ariane Louis-Seize a su s’entourer de comédiennes et de comédiens de talent à commencer par Sara Montpetit qui incarne Sasha. La jeune femme avait notamment joué dans Falcon Lake de Charlotte Lebon et ici, elle crève l’écran avec sa mine défaite et ses longs cheveux noirs. Elle donne à Sasha l’attitude d’un personnage tout droit sorti de la série Daria, et le mystère de celui de Tilda Swinton dans Only Lovers Left Alive. Dans son équipe technique, on retrouve le réalisateur Stéphane Lafleur, connu pour Tu dors Nicole et plus récemment On dirait la planète Mars, ici au montage. C’est une collaboration qui a du sens, puisque tous deux partagent un goût pour le réalisme magique et mélancolique.

Vampire humaniste cherche suicidaire consentant fait partie de ces œuvres inclassables. C’est un film de vampires, mais c’est plus largement un film de genre, un teen movie, une comédie d’horreur, une romance d’une certaine manière mais c’est avant tout un récit d’apprentissage. Le film s’ouvre sur l’anniversaire de la petite Sasha, déjà beaucoup plus vieille que ce qu’elle n’y paraît. Cet anniversaire est prétexte à la première morsure mortelle que Sasha va faire sur quelqu’un. Sa famille lui fait livrer une offrande : un homme peu habile déguisé en clown. Mais Sasha n’en veut pas, elle ne veut pas prendre la vie d’un innocent, même celle d’un clown pathétique. Elle préfère jouer du piano. Cette marginalité est le sujet du film. Sasha la vampire humaniste et Paul l’adolescent suicidaire sont deux âmes seules qui n’arrivent pas à se fondre dans la masse de leurs pairs. C’est une vraie rencontre d’outre-tombe.

Si Paul a tant envie de mourir, c’est parce qu’il est la proie facile de son lycée. Élève martyrisé, sans ami, sans amour, même ses professeurs le persécutent. Cette envie suicidaire, si sincère, est le point d’union des deux personnages. Cet aspect n’est pas sans rappeler le film Harold et Maude de Hal Ashby. Maude est obsédée par la vie malgré son âge très avancé et Harold par la mort alors qu’il sort tout juste de l’enfance. Sasha et Paul partagent aussi une dynamique semblable et, d’une certaine manière, aussi un grand écart d’âge. Les deux films mélancoliques et humoristiques offrent un regard tendre sur la jeunesse de leur époque, tout en détournant les archétypes de personnages habituels.

Le film est une bouffée d’air frais dans le cinéma de genre. Sa sensibilité et son humour le rendent accessible à un public qui ne serait pas forcément familier des histoires sordides de vampires, et suffisamment drôle et chargé de références au cinéma de genre pour ne pas perdre les aficionados. Il est peu étonnant que le film ait séduit des publics allant de ceux de la Mostra de Venise, où il obtient un prix au Giornate degli autori (équivalent de la Quinzaine des réalisateurs), à ceux du PIFFF (Paris International Fantastic Film Festival) où il remporte l’Œil d’Or du meilleur film.

Vampire humaniste cherche suicidaire consentant d’Ariane Louis-Seize en salle dès aujourd’hui.