Les 23 de 2023 : Sara Montpetit, la relève du cinéma québecois

Les 23 de 2023 : Sara Montpetit, la relève du cinéma québecois

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© Marie Rouge/Unifrance

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Par Arthur Cios

Publié le , modifié le

"Je me trouvais nulle en audition et j’entendais des choses qui faisaient mal. Et c’est quand j’ai voulu arrêter que j’ai récupéré mon premier rôle."

Depuis plus de 15 ans, Konbini va à la rencontre des plus grandes stars et personnalités de la pop culture dans le monde entier, celles et ceux qui nous font rêver au quotidien à travers leur passion, leur détermination et leurs talents, afin de vous livrer tous leurs secrets.

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En 2023, la rédaction de Konbini a décidé de faire briller avant tout la jeunesse et la création francophones à travers 23 portraits de jeunes talents en pleine bourre, à suivre dès maintenant et dans les prochaines années. Des acteurs et actrices prometteur·se·s aux chanteur·se·s émergent·e·s, des chefs qui montent aux sportifs et sportives en pleine éclosion en passant par des artistes engagées de tout horizon, Konbini vous présente sa liste des 23 personnalités qui vont exploser en 2023.

La fiche d’identité de Sara Montpetit, actrice, 21 ans :

  • Lieu de l’interview ? Facetime, dans son appartement à Montréal.
  • Son signe astro ? Vierge ascendant Sagittaire — soit le même signe et même ascendant que Charlotte Le Bon.
  • Le meilleur moment de son année 2022 ? La présentation de Falcon Lake à Cannes, “ça, c’était une expérience incroyable, je suis comme sortie du Québec, je n’ai pas beaucoup voyagé, alors aller dans un autre pays, rencontrer énormément de gens dans le cinéma, c’est cette richesse qui était passionnante.”
  • Une personnalité qui l’inspire aujourd’hui ? Elle aime beaucoup Patti Smith, Frances McDormand, et aussi Pierre Falardeau — un réalisateur québécois militant mort il y a 10 ans, qui l’inspire plus par ses paroles que par ses films : “je lis son livre en ce moment”.
  • Son plus grand fan ? Son chat, Patty.
  • Sa dernière recherche Google/Insta ? “Pour voir à quelle heure on allait faire l’interview [rires]. J’ai écrit ’16 heures Paris’, ça a marqué ’10 heures Montréal’. Et avant, c’était sur un film d’horreur que je voulais voir bientôt, Ne dis rien.”

“C’est la seule chose que j’ai toujours voulu faire.”

Portrait. Tout a démarré par un message sur Instagram en 2020. Une phrase postée en story, en pleine pandémie et, en l’occurrence, pendant le confinement, par une certaine Charlotte Le Bon. Cette dernière cherche une jeune fille québécoise pour son premier film en tant que réalisatrice. Au départ, Sara ne voit pas le message. C’est un ami qui lui envoie, d’autant plus que l’audition consiste simplement à envoyer un rêve récent.

Au départ, elle bloque. “Des fois, je suis tannée d’auditionner“, dit-elle. Une peur symbolise en réalité la crainte d’essuyer un refus pour un projet qu’elle trouve chouette. “Parce que j’ai un ego surdimensionné”, s’amuse-t-elle. Mais confinement oblige, n’ayant pas grand-chose à faire, elle se lance et enregistre une pastille dans laquelle elle raconte :

“J’ai raconté un vrai rêve que j’avais fait quelques semaines avant. Je disais que je dansais avec des amis dans un champ, sauf qu’au fur et à mesure, on commence à se rendre compte qu’on est remplis d’égratignures et de marques. On remarque qu’on est en fait dans des ronces. On saigne partout, des jambes, des bras, mais on continue à danser, dans la douleur.”

Sans surprise, Charlotte Le Bon aime beaucoup et lui répond illico. Elle demande à Sara de lui envoyer une scène. Une scène où la jeune adolescente du film discute avec l’autre personnage central, un jeune garçon dénommé Bastien. Sara est confinée chez sa mère et “avec son accent argentin, ça ne fonctionne pas”. C’est sa sœur de six ans qui lui donnera la réplique — avec brio, puisque ni une ni deux, la cinéaste demande à la rencontrer.

Cette rencontre sera une accumulation de hasards, de points communs faussement anodins. À commencer par le fait que Le Bon a grandi dans les Laurentides, une région habitée de montagnes et de forêts autour d’immenses étendues d’eau, où le père de Sara vit — et où elle se trouve quand le rendez-vous est établi. Un coin qui ressemble à l’endroit où le film sera tourné par la suite. Et ce n’est que le début.

Il se passe quelque chose entre les deux, dès le début. Sara raconte “J’étais habituée à un travail froid, avec une distance. Pas elle. On s’est même baignées à cette première rencontre. J’étais un peu gênée, elle était hyper à l’aise et décontractée. Ça aide, c’est sûr. […] C’est l’une de mes plus belles rencontres.”

Quand j’étais petite, j’étais très petite, j’étais la petite mignonne.”

Quand elle dit qu’elle était habituée à une autre forme de relation professionnelle, c’est que Sara est dans le monde de l’art depuis longtemps. Depuis sa naissance même, pourrait-on dire. Ces deux parents sont professeurs de tango argentin à Montréal (sa mère est argentine immigrée au Québec), et lui ont “toujours montré leur amour pour l’expression et l’art”. Cela passe par des cours, une inscription à une école de théâtre alors qu’elle n’est qu’en primaire. “C’est la seule chose que j’ai toujours voulu faire”, se souvient-elle, avant de se replonger dans sa première fois sur scène.

“J’étais en équivalent CP, et il y avait un spectacle à faire avec la troupe autour du petit chaperon rouge. La classe était séparée en deux, et la pièce aussi — histoire que tout le monde puisse avoir du temps de jeu. Et le responsable de la troupe m’a demandé si je pouvais jouer dans les deux parties. Dans l’une, j’étais le Chaperon, et dans l’autre, le loup.

Et cette sensation de jouer le loup, avec une peau, d’avoir fait peur grâce à son costume, était inédite. Quand j’étais petite, j’étais très petite, j’étais la petite mignonne. Là, c’était comme un super-pouvoir, de réussir à me transformer, à montrer autre chose. C’était comme une révélation, un sentiment d’accomplissement intense.”

Elle continuera sur cette voie, passant par du théâtre plus classique, tout du long de ses études — qui sont, en réalité, centrées et tournées autour de cet art qu’elle chérit. La transition de Sara vers les écrans se fera via l’intermédiaire d’une tierce personne ; en l’occurrence, sa voisine. Cette dernière est propriétaire d’une petite agence, qui va signer la jeune Sara à 15, 16 ans. Sauf que cette aventure a failli lui faire tout arrêter.

“J’auditionnais pour des pubs et de la télévision, beaucoup. Et je détestais ça. Surtout qu’après un an, je n’avais rien eu. J’étais hyper-déprimée, parce que je voulais vraiment viscéralement le faire mais je me prenais que des refus, je me trouvais nulle en audition et j’entendais des choses qui faisaient mal. Et c’est quand j’ai voulu arrêter que j’ai récupéré mon premier rôle.”

Ce premier rôle n’est pas anodin. Certes, le film n’était pas encore sorti quand Charlotte Le Bon l’a sélectionnée, mais tout de même. On parle d’une adaptation de Maria Chapdelaine, un classique au Québec (basé sur le roman de Louis Hémon du même nom, qui raconte la vie d’une famille dans les années 1910, devant la caméra d’un certain Sébastien Pilote ; qui n’en est pas à son coup d’essai. Elle récupère au passage le rôle principal, après un an (!) d’auditions — “on était 1 300 auditionné·e·s [rires], ça a été une grande aventure“.

Autant dire qu’être la grande élue, la meilleure, la réconforte et apaise ses doutes. Au moins au début. On parle d’une actrice qui n’a connu, jusque-là, que les planches ou presque. D’un coup, elle se retrouve sur le tournage d’un film d’époque, avec son budget confortable, et son lot de techniciens. Pour sa première scène face à la caméra, elle est coincée dans une toute petite boutique d’époque, avec deux comédiens, les machinistes et… un chili con carne.

“Je venais du théâtre, où il y a un sens du sacré que j’aime beaucoup. Un silence, une concentration, personne ne fait rien d’autre que la scène. Là, on était à l’étroit, quelqu’un mangeait un chili, et je me rappelle d’avoir été hyper-dérangée par l’odeur. Sans parler du fait que l’équipe, et c’est normal, mais ça ne l’était pas pour moi, ne regardait pas nécessairement la scène. Je ne comprenais pas.”

Sara doit se créer sa bulle. Essayer de retrouver cette bulle qu’elle a trouvée au théâtre, pour rester concentrée, entrer dans son personnage à 200 % et y rester. Et c’est loin d’être simple. Mais au fil du tournage, scindé en deux (une partie en hiver et l’autre en été), elle réussit à trouver son rythme, son ton, sa bulle. C’est peut-être ça qui lui sera le plus utile sur le film de Charlotte Le Bon.

Il y a eu trois histoires d’amour sur ce plateau.

Elle reprend confiance au point, pendant une pause de tournage du fait du Covid, de répondre à la simple requête Instagram de Charlotte Le Bon. Et on sait à quoi cela mènera. Sauf que rapidement, Sara est confrontée à la même chose : ce besoin de s’isoler. “J’ai dû avoir l’air d’être une antisociale qui ne parle à personne, parce que vu qu’on tournait beaucoup à l’extérieur, je m’isolais pour rester dans ma bulle alors que je voyais bien que certains comédiens voulaient sympathiser.”

Le fait est que l’expérience Falcon Lake est à part, selon Sara. “Le film raconte un été qui change la vie de Chloé, et cet été a un peu changé le cours du reste de ma vie aussi”, s’amuse-t-elle à clamer, avant préciser les différences entre les deux expériences sur le plateau.

“On était isolés, on restait entre nous. On avait une équipe pas mal jeune qui bossait, pour la plupart, sur leur premier long. Ils avaient toutes et tous la trentaine ou moins, que ce soit devant ou derrière la caméra. On était soudés, comme dans un camp de vacances. Et comme c’était la fin du premier confinement, on était proches. Il y a eu trois histoires d’amour sur ce plateau. C’était particulier et riche. Et moi, ça a vraiment été quelque chose de très marquant comme expérience. Sans parler de ma rencontre avec Charlotte, aussi.”

À la fin de cette expérience unique, Sara décide de reprendre ses études, de rejoindre l’École Nationale du Canada à Montréal. C’est quand elle est dans la dernière phase, en stage, à deux doigts de conclure un an de travail pour atteindre cette dernière audition, qu’elle reçoit un coup de fil d’un des producteurs lui annonçant une nouvelle qui ferait rêver à peu près n’importe qui, sauf peut-être, à ce moment-là, elle-même : le film est sélectionné à Cannes, en l’occurrence dans la sélection de la Quinzaine des réalisateurs. Alors forcément, son cœur balance.

“Je ne réalisais pas trop. Je devais choisir entre le stage, et Cannes, donc je me disais tant pis pour Cannes. Cela faisait un an que je bossais pour arriver ici. Il m’a fallu du temps, beaucoup de discussions, pour comprendre que Cannes, c’est peut-être qu’une fois dans une vie, alors que l’école serait encore disponible plus tard pour moi.”

De son propre aveu, elle a bien fait d’aller à Cannes, même si elle a vécu cet événement comme “un vortex” où elle a l’impression d’avoir passé un an, et en même temps à peine deux jours. Pourtant, ce n’est pas sa première expérience sur un grand festival. Son film précédent — son premier, pour rappel — a été présenté au Festival international du film de Toronto (TIFF) en 2021. Sauf qu’on était encore dans une configuration post-Covid. Or, l’édition 2022 signait le grand retour de Cannes d’avant Covid. “Rien à voir, vraiment”.

Quand elle se replonge sur cette expérience, Sara demeure perplexe. D’un côté, la première du film était “magique”. La salle est remplie, rit au point d’applaudir durant la scène de masturbation, et se termine par une standing ovation de sept minutes — “c’était tellement vivant”.

Mais de l’autre, l’actrice voit un envers du décor, qu’elle trouve hypocrite et étrange.

“Malgré tous les bons côtés, c’était vertigineux. Tu côtoies des célébrités qu’on ne connaît pas, tu es entourée d’influenceurs qui montent les marches. Tu as les fêtes, les yachts, le champagne, l’argent. Ça m’a fait mal au cœur. Bon, nous, on était à la Quinzaine donc c’était plus vrai, avec des passionnés. Mais c’est un festival où l’on voit toutes les facettes de l’humanité et de cette profession. Je voyais bien que Charlotte me protégeait comme elle le pouvait, mais en même temps, elle enchaînait les interviews et était épuisée. C’était un microclimat un peu bizarre.”

Cela étant dit, si on lui proposait à nouveau cette chance, elle n’hésiterait bien évidemment pas une seconde.

“Je ne veux pas utiliser cette passion comme un fast-food.”

Sara n’a pas repostulé à l’École Nationale cette année. La raison ? Un nouveau film, qui devrait faire parler de lui dans les prochaines semaines/mois. Un premier long d’une jeune cinéaste québécoise, Ariane Louis-Seize — qui a déjà présenté des courts au TIFF et à la Berlinale —, et qui se présente comme une comédie noire. Elle se déroule, en partie, dans les années 1980 et raconte l’histoire d’une vampire qui n’arrive pas à mordre et qui va rencontrer un suicidaire prêt à s’offrir à elle. Un nouveau film de coming of age pour Sara, mais bien différent cette fois.

Le tournage de ce Vampire humaniste cherche suicidaire consentant était bien différent — “chaque tournage est différent, non ?”. Le fait est que son expérience autour de Charlotte Le Bon l’a aidée à appréhender les projets suivants, à la rendre plus prête, ou à lui permettre de savoir qu’elle devait faire ou ce qu’on allait lui demander. Elle ne s’attendait pas à la fatigue qu’amène un tournage de nuit en revanche — les deux premières semaines n’étant que de nuit en extérieur —, mais qu’importe. Sara prend plaisir à découvrir de nouveaux personnages et à continuer des projets marathons comme ceux-là, du genre où l’on a que peu de temps pour tourner beaucoup et dans des endroits différents chaque jour.

On pourrait se dire qu’avec ce début de CV, à 21 ans, la carrière de Sara Montpetit est lancée sans difficulté. Mais ce serait mal connaître l’artiste. Cette dernière pense avoir besoin de formation et cherche à rejoindre le conservatoire à nouveau — et pour de vrai. “Le théâtre me manque, mais j’ai besoin d’apprendre plus encore de choses sur le jeu. Et puis, j’aime la stabilité des études. Il y a un truc très sportif dans les écoles, les entraînements.”

Cette humilité se traduit en réalité dans sa vision de l’art, et de son éducation. Elle raconte que ses parents n’ont toujours vécu que par passion, l’argent n’étant jamais un accomplissement en soi. Donc Sara prend son temps, choisit bien ses projets, n’auditionne pas pour n’importe quoi. “Je ne veux pas utiliser cette passion comme un fast-food”, avoue-t-elle, même si cela implique ne pas avoir de tournage pendant deux ans — “je suis prête à bosser dans un café ou un restaurant le temps de trouver des projets qui me plaisent vraiment — cela étant dit, je n’aurai pas le choix.”

Car la difficulté, et c’est elle qui le reconnaît, est qu’il n’y a pas tant de tournages que ça au Québec. “Pas comme à Paris où il y en a beaucoup plus”. Dans ce contexte particulier, que Sara récupère le rôle principal de ces trois premiers films, dont les deux premiers ont bien “fonctionné” (du côté de la critique comme du public), est une chance selon elle. Ou une évidence, vu son talent.

Car n’oublions pas : ce n’est que le début.

Les recos de Sara Montpetit

  • Une série : La Nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé, de Xavier Dolan, diffusée sur Canal+ et MyCanal.
  • Un livre : Un très mauvais ami, de Pierre Falardeau.
  • Un film : Birth, de Jonathan Glazer, et Aftersun, de Charlotte Wells.
  • Un album : PICTURA DE IPSE, d’Hubert Lenoir, ou l’EP Love and Hate in a Different Time, des Gabriels.
  • Une app : Instagram, Letterboxd et Mail.

Pour suivre la carrière de Sara Montpetit, vous pouvez la retrouver sur Instagram.